Sas de décompression

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A la grande surprise de Léto, la soirée s’était terminée sans heurt. Elle soupçonnait que chacun des adultes de la famille Samba avait subi un sermon ante-soirée par leur conjoint respectif afin d’éviter une énième guerre mondiale. Cette famille était une sorte d’atome aux électrons libres et instables qui menaçaient sans cesse l’intégrité et l’unité de la structure. Mami Kani avaient été un noyau solide et sans faille, qui l’avait maintenue pendant plus de cinquantes longues années. Mais la famille Samba sans son noyau réagissait de la même manière que le ferait un atome sans le sien: elle implosait.

Allongée dans le noir complet, Léto essayait de reprendre son souffle d’une manière ou d’une autre. Pas de désastre familial, certes, mais un échec personnel… Elle avait horreur de se disputer avec sa mère. Elle avait horreur de se disputer avec quiconque. Elle avait horreur du conflit.

Son ventre se gonflait puis se dégonflait à un rythme régulier. Léto tentait de remplir le vide en elle en inspirant le plus d’air possible. Inspirer, expirer. Inspirer, expirer… La culpabilité, la rancœur, le dégoût d’elle-même, et la sensation désagréable qu’on lui tordait les boyaux. Expirer, encore et toujours pour purger ce goût amer et métallique laissé par le sang séché dans sa bouche. Il fallait vraiment qu’elle se débarrasse de la vilaine habitude de se mordre la lèvre inférieure jusqu’au sang. La jeune femme leva les yeux vers le plafond de sa chambre. Les étoiles phosphorescentes qui le recouvraient brillaient faiblement comme des lucioles mourantes. Il lui avait toujours semblé qu’elles scintillaient dans la pénombre de sa chambre comme des vraies. Elles étaient trop vieilles, peut-être. Trop épuisées, à force de partager constamment leur lumière. Aussi puissamment qu’elles puissent briller, les étoiles finissent elles aussi par mourir un jour.

Elle avait déménagé il y avait à peine une semaine, et ce qu’elle avait fui de toutes ses forces semblait la rattraper à grandes enjambées. Il fallait qu’elle se reprenne. Une psychothérapeute instable ne peut aider de manière efficace ses patients. Elle se devait d’être là pour eux. L’image de Mathilde Lechanal émerveillée devant la profondeur du bleu de sa boisson lui arracha un sourire. Du thé. La réponse était toujours dans le thé.

Léto se redressa brusquement, non sans jurer contre la bassesse de son lit. La brochure zen sur laquelle elle avait repéré son futon n’avait pas mentionné les douleurs dorsales occasionnées par une distance trop faible entre le lit et le sol. Quasi inexistante, en fait. Léto traversa son appartement. Arrivée dans le salon, elle se dirigea vers un petit coffret en bois de rose. Elle y passa un doigt, comme pour caresser la surface rugueuse du matériau, puis l’ouvrit avec douceur. Des bâtons d’encens se tenaient droits et alignés, comme des petits soldats semblant l’attendre. La jeune femme en saisit un, puis craqua une allumette et le brûla. Une odeur suave de parfum et de bois brûlé emplit la pièce en volutes de fumée. Léto en inspira une à plein poumon. Divin. Elle l’adorait, sa jungle parfumée. Il ne manquait plus que de la musique. Pétard, ce foutu phonographe. Elle hésita à se servir une tasse de thé. La rencontre avec sa prochaine patiente était demain, il était tard, et il faudrait faire la vaisselle. D’un autre côté… Cela lui permettrait de relire sa fiche informative.

Une tasse d’Earl grey fumante sur la table, Léto se plongea dans ses notes. Tournant les pages de son carnet avec soins par peur de les déchirer, la jeune femme mis un certain temps avant de trouver les informations de sa prochaine patiente.

_ Imany Duboy, prononça Léto à voix haute, comme pour mieux faire raisonner tout ce qu’il contenait. Imany Duboy. Beaucoup de i-grec.

Imany Duboy, lycéenne, âgée de dix-sept ans. Motif de prise de rendez-vous : suspicion de trouble du comportement alimentaire. Étrange. Les personnes souffrant de TCA reconnaissent rarement d’elles-mêmes qu’elles ont besoin d’aide. Si c’était le cas d’Imany, le fait qu’elle prenne rendez-vous était le signe d’une grande maturité. Le fait qu’elle choisisse un type de thérapie en lien avec l’alimentation était également intriguant. Il fallait qu’elle creuse. La journée de demain promettait d’être intéressante.

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