Il est bon de laisser couler les eaux qui apaisent

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_ Ça a commencé il y a plusieurs mois. Je n’en pouvais plus, je voulais absolument reprendre le contrôle sur ma vie et sur ce qu’il s’y passait. Tout partait en vrille, et rien de ce que je faisais ne semblait suffir. Aucun de mes efforts n’empêchaient ma vie d’être une catastrophe.

Imany avait rapidement séché ses larmes, et tenait à présent ses pieds entre ses deux mains. Elle les rapprochait puis les éloignait nerveusement, et tentait de se donner une contenance. Une assurance fragile qui s’était envolée dès qu’elle avait avoué ce qu’elle se refusait de dire.

_ Pourquoi tout allait si mal ? demanda Léto d’une voix douce. Est-ce que tu veux bien me raconter ?

Imany se mordit la lèvre, et garda les yeux et la tête baissée. Le jeu avec ses pieds se fit de plus en plus rapide. Il lui fallait une pause.

Léto prit une boîte à thé qu’elle avait gardée à proximité. Imany en reconnut le mauve et sourit intérieurement à ce souvenir. Elle observa sa thérapeute lui préparer son thé avec la douceur et le soin qui la caractérisait. L’adolescente accepta les yeux brillants sa boisson et offrit à Léto un sourire sincère en signe de reconnaissance. Elle but goulûment plusieurs gorgées avant de reposer son bol. Léto en rougit de plaisir.

_ C’était à cause du lycée, reprit Imany avec plus d’assurance. Je commençais réellement à avoir de très mauvaises notes. Je n’arrivai à rien, et je ne me sentais pas à ma place. C’est ma mère qui avait choisi ce lycée. Elle avait aussi choisi mon orientation. Sur huit matières, il y en avait six dans lesquelles mes notes étaient en chute libre.

Jusque là, rien de surprenant, pensa Léto un nœud dans la gorge. Encore une fois, cette situation n'était pour elle que bien trop familière. Elle allait devoir une nouvelle fois réunir toute son énergie pour ne pas se laisser envahir par ses émotions.

_ Je me sentais différente par rapport aux autres. Je suis la seule élève noire dans ma classe. J’entends des horreurs tous les jours. Sur mes cheveux, mes origines… Il n’y a personne qui me ressemble, personne qui ne pense comme moi (sa voix se cassa sur ces mots) . Mon découragement s’est empiré. Je n’avais plus envie d’aller à l’école, ni de sortir de chez moi. J’évitais ma mère comme la peste.

Imany s’interrompit pour changer légèrement de position. Elle replia sa jambe droite sous ses fesses. Une fois plus à l’aise, elle reprit une gorgée de thé avant de poursuivre son récit. Toujours silencieuse, Léto n’osait plus bouger. Elle avait peur que le plus petit de ses mouvements ne perturbe la jeune fille et n’interrompt son rythme.

_ J’ai tout fais pour que maman ne voit pas mes notes. J’avais toujours une excuse. Et comme je restais tout le temps dans ma chambre, elle pensait que je révisais, et ne me posais pas de questions. Mais ça a changé le jour où elle a vu mon bulletin. Elle a piqué une crise. Elle m’a dit que, puisque mes notes étaient aussi mauvaises, elle allait me désinscrire de toutes les activités que j’aime.

Le corps d’Imany se tendit comme un arc alors qu’elle se remémorait ce souvenir douloureux.

_ Elle était furieuse, je ne l’avais jamais vue comme ça. C’est normal, sa parfaite petite fille avait disparu (l’adolescente avait dit cela avec un pointe de dédain dans la voix). Pire, elle avait osé lui mentir. C’était horrible.

De nouvelles larmes coulèrent sur les joues de l’adolescente. De grosses larmes, lourdes d’une douleur et d’une rancune qui jusqu'alors n’étaient pas parvenues à s’échapper. Imany voulut ouvrir la bouche pour continuer à parler, mais des hoquets sortirent à la place des mots. Des hoquets plaintifs et répétitifs, plus éloquents que puissent l’être les phrases les plus élaborées.

Ces larmes retournaient Léto au plus profond d’elle-même. Elle en avait l’estomac noué. Après une légère hésitation, la jeune femme s’approcha d’Imany et la prit dans ses bras. D’une extrême douceur, elle caressa son dos courbé et secoué par ses sanglots.

_ Ça va aller, lui dit-elle doucement près de son oreille. Tu peux te laisser aller, tu ne seras jamais punie pour ça ici. Ça va aller. Il est bon de laisser couler les eaux qui apaisent.

Et dans la lumière déclinante d’un après-midi d’automne, une jeune fille abandonnait la douleur qu’elle retenait depuis si longtemps. La pierre se dissolvait, lentement, dans l’acceptation et la reconnaissance d’une blessure que personne n’avait jugé bon de soigner. Personne avant Elle.

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