Droite devant son miroir, Léto se brossait les dents tout en s’examinant. Elle détaillait ses sourcils épais aux poils noirs et brillants s’étirant en deux barres sombres au-dessus de ses yeux en amandes. Ses iris d’un brun légèrement ambré la fixait avec attention, avec une sorte de curiosité presque craintive. Son long nez s’épatait légèrement à ses extrémités, dessinant des narines parfaitement rondes. Léto se rendu compte que cela faisait un moment qu’elle ne s’était pas trouvée belle. Depuis Caleb, en fait. La jeune femme sursauta en s’entendant penser. C’était la première fois qu’elle prononçait son nom, même en pensée. Elle préférait utiliser les mots lui, il, cette personne. Pour la première fois, le désigner par son nom n’avait pas provoqué en elle un frisson de terreur. Elle jeta un dernier coup d'œil à son reflet. Elle ne pouvait pas ignorer la ressemblance physique avec sa mère. Elle la troublait. Elle aurait préféré ressembler à son paternel. Il n’était pas indigne, lui.

Léto cracha le dentifrice et se rinça la bouche. La voix sensuelle de Sade provenant du salon lui parvenant dans une douce mélopée. Oui, elle ressemblait peut-être à sa mère, mais elle n’avait rien d’elle. Elle remerciait son père de lui avoir transmis son amour pour la musique, pour son prochain, et surtout, surtout, son amour pour le thé.

Léto remonta ses locks dans son chignon négligé habituel, et noua un foulard vert pomme autour. Le poids croissant de sa chevelure lui révéla qu’elle avait énormément poussé. Ca aussi, elle ne l’avait pas remarqué.

La jeune femme soupira et se dirigea vers la petite cuisine. Arrivée devant un placard en bois dont le vernis était partiellement craquelé, Léto fit une pause. Elle se retourna et passa par le salon, puis entra dans sa chambre. Elle grimpa sur son lit et attrapa tant bien que mal un carton qui prenait la poussière sur le sommet de son armoire. Léto posa avec précaution le carton sur son lit et l’ouvrit. Ses yeux pétillèrent quand elle vit le magnifique service à thé bleu nuit. Elle referma le carton, sortit de sa chambre, passa de nouveau par le salon, et installa le carton sur le minuscule plan de travail de sa cuisine. La jeune femme saisit avec précaution deux magnifique tasses de petite taille , sur lesquelles elle attarda son regard. Elle pouvait sentir sous ses doigts la sensation rugueuse de l' argile qui n ‘avait pas été lissée. Elle saisit ensuite de ses deux mains la théière. Elle était particulièrement lourde.

Une vague de chaleur envahit la jeune femme quand elle apperçut un petit papier plié dans la théière. Dans un sourire, elle l’ouvrit avec empressement, ayant déjà une petite idée de la personne qui l’avait cachée là :

Dear,

Je t’offre ce service à thé en espérant qu’il te sera d’une grande utilité durant tes consultations. Je crois en toi.

Ton daddy qui t’aime.

Léto réprima d’un reniflement les larmes qui s'apprêtaient à rouler sur ses joues, et porta son attention sur un gribouillis dans le coin à droite du papier. Elle mit quelques secondes à se rendre compte que le gribouillis n’était d’autre que l’écriture catastrophique de son ami d’enfance.

T’es trop forte, tu vas tout déchirer. Je t’aime.

Le cœur de Léto rata un battement sur la dernière phrase. Jimmy lui avait toujours répété depuis le premier jour de leur amitié qu’il l'aimait. Mais cette fois-ci, ces mots sonnaient différemment. Comme s'ils avaient pris une autre couleur.

La jeune femme fourra nerveusement le petit papier dans la poche de son sarouel et se dépêcha de ranger le reste du service à thé qu’elle n’utiliserait pas. Mathilde Lechanal n’allait pas tarder à arriver, et il ne fallait pas qu’elle tombe sur un cabinet mal entretenu. Et sur une psy complètement troublée.