Chapitre 13 - 2

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Elle se leva en trombe du canapé et attrapa sa sacoche, tandis que Léni prenait sa place dans les plis de son écharpe. Elle allait fourrer le document dans une poche quand son regard accrocha une fine note à l'arrière de la feuille. Rosalie dut la relire deux fois pour en être certaine.

« Transformation du matériau lunaire en magie, partie 2/3. »

Le matériau lunaire. La Lune.

Rosalie réinspecta la formule. Certains passages devenaient plus clairs. La roche lunaire devait être... dissoute ? Non, ce n'était pas ça.

La Lune.

Voler une telle équation peu de temps après les enchères, ça n'avait rien d'une coïncidence.

Rosalie se dépêcha de quitter son appartement. Écharpe remontée sur le nez, elle se pressa pour atteindre la foule sécuritaire du train.

Sur le quai, elle remarqua un homme.

Long manteau noir, lunettes rondes à verres fumés, sombre barbe épaisse. Elle l'avait déjà vu, assis sur l'un des bancs sur le trottoir en face de son immeuble. Tous les jours depuis le cambriolage.

Le train arriva. Rosalie sauta dans le wagon et partit se tasser tout au fond, sur une banquette camouflée par une vitre opaque. Par la fenêtre, elle vit que l'homme avait déserté le quai. Ce n'était pas forcément une bonne nouvelle. Le ventre noué, la mage se pencha pour regarder derrière la vitre. Elle sursauta quand son regard croisa celui de son poursuivant. Rosalie se redressa, se plaqua contre la vitre. Juste en face d'elle se trouvait la porte menant au wagon suivant. Peut-être que si elle se faisait discrète, elle pouvait échapper à son regard avant de le semer en descendant à n'importe quel arrêt. Mais de sa position, il la verrait forcément. Rosalie sentait le poids de son regard sur sa nuque.

Que pouvait-elle faire d'autre ? Rentrer chez elle ? Elle n'y était pas en sécurité.

Pourquoi cet inconnu la filait-il ? Pour s'assurer qu'elle avait bien le document en sa possession ? Mais bon sang, autant la tuer de suite, pourquoi attendre bêtement ?! Il n'avait réussi qu'à se trahir !

Rosalie pouvait aller voir les autorités, sauf que sans preuve ils ne feraient rien. Peut-être qu'un gens d'arme la raccompagnerait chez elle, surveillerait son appartement pour la nuit, mais après ? Il repartirait et l'inconnu aurait de nouveau le champ libre.

Amerius. Lui seul pouvait l'aider. Quelle que soit la nature réelle de ce document, il était assez important pour attirer les convoitises. Donc si Amerius l'avait eu en sa possession, c'est qu'il avait les moyens de le protéger, quels qu'ils soient – du moins, il les avait eus pour un temps.

Rosalie devait d'abord semer cet homme.

Le train s'inclina soudainement vers l'avant pour s'enfoncer dans un tunnel souterrain. Rosalie profita de l'absence de soleil pour l’observer dans le reflet de la porte. Il regardait dans le vide, par la fenêtre. C'était maintenant ou jamais. L’écho du rail dans l'espace confiné du tunnel pouvait couvrir sa fuite.

Elle avait peur de bouger. Ses mains étaient tétanisées autour de la sangle de sa sacoche. Dans son cou, Léni remua, promenant ses petites mains froides là où battait son pouls.

Rosalie regarda de nouveau le reflet. Le train siffla, annonçant la sortie du tunnel. La jeune femme bondit, et d'un pas allongé, se saisit de la poignée qu'elle fit tourner d'une main tremblante. Le claquement de la fermeture lui sembla atrocement bruyant.

Elle n’attendit pas que l'homme se rende compte de sa fuite. Elle traversa le wagon sous la lumière du jour revenu, puis un autre et un dernier, au pas de course. Elle était arrivée au bout du train.

Elle devait sortir avant de se faire attraper. Pratiquement collée à la porte de sortie, Rosalie regardait avec angoisse le paysage défiler, bien trop lentement à son goût. Son cœur menaçait de s'arrêter à force de battre contre sa poitrine.

Le train siffla avant de ralentir. Rosalie avait déjà la main sur la manivelle d'ouverture, moite de sa transpiration.

À la descente elle poussa presque les personnes attendant de monter. Un passant l'invectiva mais elle l'ignora, préférant traverser le quai sans se retourner. Elle courut à travers les rues complètement au hasard, jusqu'à ce que le souffle lui manque.

Rosalie s’appuya contre un mur, main sur la poitrine. Les joues brûlantes, elle retira son écharpe qui l’étouffait. Léni glissa sur le col de son manteau, son visage levé vers elle.

– Ça va, ahana-t-elle.

Un coup d'œil derrière elle lui apprit que l’inconnu n'était plus sur sa piste. Rosalie ne connaissait pas le quartier. Elle marcha durant un quart d'heure jusqu'à ce qu'une dame âgée lui indique une autre ligne de train.

Le plan du quai lui apprit qu'elle aurait deux changements à faire avant de retrouver le quartier industriel.

Une heure et vingt minutes plus tard, elle retrouva les rouages de savon de La Bulle.

La porte arrière franchie, elle se précipita vers le bureau d'Amerius, où elle entra sans frapper.

Il la regarda s'avancer.

– Vous n'étiez censée revenir que demain.

– Je sais, mais c'est important. Je crois que j'ai des ennuis.

Rosalie vit son patron faire une concession à son habituelle expression neutre en fonçant les sourcils. Elle lui tendit la feuille.

– Je l'avais arraché des mains de la voleuse. Je l'avais simplement oublié.

Les yeux d'Amerius s'agrandirent.

– Vous venez de nous sauver, murmura-t-il.

– Pardon ?

Avait-elle bien entendu ?

Amerius se leva et se dirigea vers la porte de son bureau. L'instant d'après, le cliquetis d'une clé tournée résonna.

– Amerius ? Que se passe-t-il ? Si je suis mêlée à quelque chose, je dois le savoir ! Je suis suivie, en ce moment même !

Son patron se figea.

– Suivie ?

– Oui ! Par un homme en noir ! Depuis le cambriolage.

– Ne bougez pas.

Il fila vers le bureau de Rosalie avant d'emprunter la porte menant vers l'escalier extérieur. La jeune femme resta plantée dans la pièce, excédée et effrayée en même temps. Qu'allait donc faire Amerius ? Ramener l'homme par la peau du cou ?

Son patron revint quelques minutes plus tard, suivit par une silhouette au pas traînant. Rosalie recula, apeurée, la main déjà tendue vers la lampe du bureau. Il se tenait derrière Amerius.

– Ne craignez rien. Bartold est là pour votre sécurité.

– Ma... sécurité ?

La peur accumulée explosa soudainement.

– Vous ne pouviez pas me le dire ?! Je pensais qu'il allait m'agresser !

Amerius lui fit la faveur d'une autre réaction. Ses yeux s’étrécirent, tournés vers l'homme.

– Tu as effrayé mon assistante. En plus de te faire remarquer.

– Je suis garde du corps, Amé, pas espion. Les gens que je protège sont censés savoir que je suis là. Faut revoir tes ordres, la prochaine fois.

Amé ? Rosalie avait-elle bien entendu son supérieur se faire appeler d’un sobriquet ?

Elle secoua la tête.

– Mais je ne l'étais pas, siffla-t-elle. Sans doute parce qu'il y a des choses que je dois ignorer.

Amerius fit signe au garde du corps de retourner dehors. Une fois seuls, il posa sur Rosalie un regard pénétrant avant de soupirer.

– Je suis navré de tout ça. Je voulais qu'à vos yeux, ce cambriolage reste anodin. Bartold n'était peut-être pas le meilleur choix, mais je lui fais une confiance aveugle.

– Avec ou sans lui, je me serai posée des questions.

– Pourquoi ça ?

– Votre cambrioleuse. Je crois que je l'ai déjà rencontré.

Amerius resserra la main sur le pommeau de sa canne, le regard préoccupé.

– Asseyons-nous. Et racontez-moi.

– Non. Vous d'abord.

Elle défia son patron du regard, mais celui-ci ne chercha pas à l'en empêcher.

– Bien.

Il prit place derrière son bureau, avant de désigner l’un des fauteuils qui faisaient face à Rosalie.

– Ce document, fit-elle à peine assise, mentionne la Lune. Ou plutôt, quelque chose qu'on pourrait lui faire.

– Vous l'avez lu.

– J'étais curieuse. J'ai failli me faire tuer pour ce bout de papier.

Amerius ne répondit pas. Il instaura un instant de silence qui lui sembla insupportablement long.

– Vous avez raison. Il est bien question de la Lune. Ou plutôt de sa roche. Quelqu'un a découvert que celle-ci possédait des propriétés magiques inédites, mais dangereuses. La formule permet de changer cette roche en magie.

Rosalie fonça les sourcils devant ce choix de mots.

– Changer en magie ? Plutôt, faire de la magie ?

– Non. C'est de pouvoir pur dont je vous parle. Sans passer par des équations, des objets, des fleurs séchées ou du sang de poulet.

Le silence tomba dans la pièce. Léni était le seul à le rompre, allumant et éteignant la lampe du bureau.

De la magie pure, sans catalyseur. Le concept même dépassait Rosalie. Ce n'était pas possible, pas envisageable. La magie avait forcément besoin de quelque chose pour s'ancrer, pour lui servir à adopter des propriétés. Une magie sans catalyseur serait...

Rosalie ne le savait même pas. À quoi cela pouvait-il ressembler ? Et que serait-il possible d'accomplir ?

Sans doute des actes malveillants, pour que cette formule ait été cachée dans une plaque en étain.

– La Lune... murmura-t-elle tout haut.

Bon sang. La Lune.

– Est-ce que tout ça a un rapport avec les étrangers des enchères ?

Amerius lui rendit une expression de surprise – une première.

– Les étrangers ?

– Oui. Ceux avec une broche rouge et que vous n'arrêtiez pas de regarder. Et qui ont demandé à une femme d'acheter une parcelle pour eux.

Amerius croisa ses mains devant son visage, tout en prenant une inspiration.

– Vous êtes très observatrice.

– Et vous, très contrarié.

Il se tût à nouveau. Mais Rosalie n'en avait pas terminé.

– Qui étaient ces...

– Que les choses soient claires, l'interrompit-il. Vous devez vous douter que ces informations ne sont pas les affaires de n'importe qui. Je vous ai révélé une partie du problème, par égard pour ce que vous avez subi. Mais je dois informer les autorités compétentes de notre discussion. À elles de décider quelles mesures prendre.

» À vous maintenant. Vous disiez avoir déjà croisé cette voleuse.

Rosalie insista sur le peut-être, avant de narrer son accident et son sauvetage improbable lors de la fête du solstice, expliquant que sa certitude se basait sur une simple odeur.

– C'était peut-être son masque. Mais je ne vois pas pourquoi il aurait senti le brûlé.

Amerius hocha simplement la tête.

– Je vous remercie pour votre témoignage. Bartold va vous raccompagner chez vous. J'aviserai ma supérieure de la situation.

– Votre...

Rosalie préféra laisser tomber. Avec le recul, elle serait curieuse, mais pour l'instant elle ne voulait surtout pas savoir quelle double vie pouvait bien mener Amerius.

Avant qu'elle ne puisse ajouter quelque chose, Bartold apparut à ses côtés. Il la ramena chez elle dans un fiacre, qu’elle savait propriété d’Amerius. Les deux hommes devaient se côtoyer depuis un moment pour qu'il se permette cela.

À peine arrivés au bas de l’immeuble, Rosalie fut expédiée dans son appartement, dont Bartold referma sèchement la porte. L’instant d’après, il était de nouveau sur son banc, une cigarette en main.

Ces derniers instants avaient été si rapides et intenses en émotions que la jeune femme se demanda si cela avait été réel. Venait-elle vraiment d’entrer en possession d’informations susceptibles de la mettre en danger ?

Elle aurait dû brûler ce papier. Ce n’était pas ainsi que les choses devaient tourner. La jeune femme était venue à la capitale pour vivre et travailler. Elle était trop égoïste pour se soucier des complots d’autrui.

– J’ai rêvé, tu crois ? demanda-t-elle à Léni, dont la tête dépassait de l’écharpe.

Il secoua la tête.

Rosalie soupira.

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