Chapitre 14 - 2

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Un pas résonna dans la galerie. Il était trop léger pour appartenir à Amerius, aussi Rosalie crut-elle avoir affaire à un serviteur ou un employé. Elle releva la tête pour saluer la personne avant de se figer.

La nouvelle venue s'était arrêtée pour la regarder, de ses yeux gris à l'expression sévère. Les ondulations de sa chevelure que Rosalie savait autrefois sombres, s’éclaircissaient en nuances assorties à ses iris.

La femme plissa le front, accentuant les rides de son visage.

– Rosalie BasRose.

Cette dernière se tendit.

– Comment...

– On ne s'est jamais vu, coupa la femme. Mais votre... rébellion, si je puis dire, a circulé au sein de tous les manoirs magiteriens. Astrance s'est donnée beaucoup de mal pour vous effacer de l'arbre généalogique et se dédouaner de votre comportement.

C'était effectivement la première fois que Rosalie rencontrait cette femme. Mais elle la connaissait.

La matriarche des matriarches, celle à la tête de la famille magiterienne à l'origine de toutes les autres.

Virginia Astre-en-Terre.

Celle-ci s'avança plus près Rosalie.

– Votre présence ici m’indispose fortement. Si mes propres descendants avaient ainsi trahi notre héritage, je ne me serais pas contentée d'une humiliation publique. Notre magie est trop sacrée et chargée d'histoire pour qu'on la souille en la confiant à n'importe qui et sur n'importe quoi.

Rosalie planta son regard dans celui de la matriarche.

– L'histoire est naturellement faite pour évoluer. De même que les progrès scientifiques et médicaux, ajouta-t-elle.

Les Astre-en-Terre vivaient au palais principalement en tant que médecins royaux, bien que leurs talents aient été quelque peu évincés par le fameux progrès mentionné par la jeune femme.

Des siècles plus tôt, Ordalie et Ci-Ordalie n'étaient qu'un seul et même royaume. Si la première était une vaste terre préservée, l'autre attisait les convoitises de ses voisins, lui valant d'être petit à petit délaissé, habitants compris.

Le roi de l'époque avait confié ce territoire à son jeune frère pour le punir de sa médiocrité, avec pour mission de la reconquérir. Une mission presque impossible.

Les premiers Astre-en-Terre étaient venus à ce dirigeant malgré lui, mettant leurs pouvoirs autrefois bien plus puissants, à son service en échange d'une place de choix à la cour et dans la société.

Ce dirigeant avait accepté et l'ennemi fut repoussé. Le roi d'Ordalie s'empressa de renouer avec son frère, mais ce dernier s'était entre temps forgé d'autres ambitions. Il revendiqua son propre fief et la Cie-Ordalie naquit en terre indépendante.

Les Astre-en-Terre n'avaient depuis jamais quitté le palais, devenant des résidents aussi anciens que la famille royale.

Avec les années, des membres avaient dû le quitter, fondant leur propre arbre généalogique et héritant d’une partie du savoir-faire de leurs aïeuls. Ainsi s'étaient fondées les autres familles magiteriennes.

Virginia rendit à Rosalie un regard outré. Mais la jeune femme s'en fichait. Elle refusait de se laisser intimider par cette femme au seul prétexte qu'elle était à la tête de la communauté magiterienne et qu'elle résidait au même endroit que la reine. Rosalie avait coupé tout lien avec les siens.

Cette pique tomba comme un couperet sur Virginia. La matriarche lui renvoya un regard venimeux. Rosalie était peut-être allée trop loin, mais elle ne le regrettait pas.

Elle avait passé des années à s’écraser face aux magiteriens. Cela n’arriverait plus.

Virginia prit une longue inspiration.

– Nous nous reverrons, Rosalie.

La magiterienne quitta la galerie, ses bottines claquant sèchement contre le marbre.

La tension se relâcha des épaules de la jeune femme. Si elle se refusait à craindre Virginia Astre-en-Terre, Rosalie devait reconnaître que la matriarche savait s'imposer. Astrance n'était pas si terrible en comparaison.

Quelques instants plus tard, un nouveau pas perturba le silence. Croyant au retour de Virginia, Rosalie se retourna vivement. Mais ce n'était qu'Amerius.

– Venez.

Il fit entrer Rosalie dans un petit cabinet de travail. Un simple bureau de bois blond lui faisait face, entouré de bibliothèques chargées de dossiers. Aucun d'eux n'était annoté, et sur le bureau il n'y avait pour seuls effets personnels qu'un encrier et une pile de feuilles vierges.

L'endroit était propre, mais les chaises et fauteuils n'avaient pas marqué le parquet. La pièce semblait factice ou en attente d'un propriétaire.

L'employé aperçu plus tôt avait disparu. L'une des bibliothèques pivota soudain, porte dissimulée révélant un couloir bien réel. L'employé s'effaça pour laisser entrer une femme avant de refermer la bibliothèque.

La nouvelle venue posa immédiatement un regard inquisiteur sur Rosalie. Celle-ci le lui rendit avant de froncer les sourcils, prise d'un doute important.

Sur l'instant, elle ne l'avait pas reconnue. Elle ne portait pas l'une de ses habituelles robes brodées d'or et d'argent et ses membres étaient dépourvus de bijoux précieux, aux joyaux souvent polis par les Ocrepâle.

Ses boucles auburn tombaient librement sur son buste, recouvert d'une chemise d’équitation.

Mais les yeux, c'était quelque chose qui ne trompait pas. Bleu clair parcouru d'ambre. Le maintien également. Assuré, autoritaire, confiant, pour une femme d'à peine trente ans. Royal.

Rosalie se trouvait face à la plus grande autorité de ce pays.

Galicie VII de Cie-Ordalie.

La jeune femme resta abasourdie. Elle aurait voulu être indifférente. Après tout, la reine était une femme parmi d’autres, une fois sa couronne retirée. Sa présence écrasait tout le reste. Rosalie ignorait de quelle manière réagir. D’après son apparence et sa venue, la souveraine n’était pas ici de manière officielle. Rosalie commença à plier légèrement le genou, hésita, avant de se décider pour poser la question, mais elle n’en eut pas le temps. Galicie VII avait traversé l’espace les séparant, avant de poser un doigt sous le menton de Rosalie. Elle le lui releva sèchement pour que leurs regards se croisent.

– Voici donc notre témoin gênant.

Gênant.

La jeune femme réprima un haut-le-coeur de terreur. Elle se raccrocha à son intuition lui dictant qu’ils n’allaient pas la tuer, pas après tous ses efforts.

Rosalie se déroba vivement avant de reculer. Elle jeta un regard noir à Galicie VII. Reine ou pas, elle n’avait pas à la traiter comme du bétail.

– Je m’appelle Rosalie.

– Je sais.

Et Rosalie ne doutait pas qu’elle savait bien plus que son nom.

– Vous êtes en possession d’informations secrètes. Tôt ou tard, l’étendue de leur signification vous reviendra à la figure. Et vous ne saurez pas comment y faire face.

Rosalie ne baissa pas les yeux.

– Je me doute bien que ma présence vous indispose.

– Au contraire, j’apprécie beaucoup les gens comme vous. Ils n’ont pas d’attaches ce qui les rend aisément sacrifiables. De ce fait, vous ferez tout pour réussir car vous n’aurez aucun poids pour vous défendre si je décide de mettre certains échecs sur votre dos.

Les lèvres de Rosalie esquissèrent un rictus nerveux.

– Alors c’est ça. Je suis en quelque sorte une otage.

– Pas en quelque sorte.

Un poids oppressa la poitrine de Rosalie. Une nuit et une inconnue. Il avait suffi de cela pour qu’elle devienne une ennemie de la reine en personne. Qu’une femme qu’elle n’avait jamais vue soit désormais présente dans l’ombre de chacun de ses pas.

Rosalie s’était débarrassée de sa grand-mère et de son dictat pour obtenir bien pire. Si Galicie VII voulait lui causer du tort, elle n’aurait aucun mal, ni probablement aucun scrupule. Et personne ne l’en empêcherait.

Pas même Amerius.

Mais enfin que croyais-tu ? Il n’est pas ton ami.

La jeune femme avait pourtant pensé pouvoir lui faire confiance. Mais l’avait-il vraiment trahi ? Bien sûr que non, il avait obéi aux ordres. Peut-être même avait-il plaidé sa cause. Rosalie ne pensait pas qu’il soit son ennemi. Mais elle avait besoin d’en vouloir à quelqu’un.

– J’ai bien conscience que vous vous êtes simplement retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, reprit la reine. Mais je ne peux pas mettre tout un continent en danger par pitié envers une seule personne. Soyez cependant rassurée sur une chose : je tiens tout le monde par la coupe.

Rosalie ne put empêcher son regard de bondir vers Amerius. Appuyé sur sa canne, il n’avait pas bougé depuis l’apparition de la reine. Celle-ci prétendait connaître un secret à son propos. Rosalie était soudainement envahie de curiosité. Qu’est-ce que son patron pouvait bien avoir commis de si répréhensible ? À moins qu’il ne fût comme elle : un simple malchanceux.

– Vous savez que vous êtes ma première magiterienne ? Même si vous n’avez plus de relations qu’avec des lettres envoyées à vos parents.

– Cela ne vous regarde pas !

– Tout ce qui se passe dans ce royaume me regarde. Vous pouvez avoir votre utilité. Amerius se chargera de tout vous expliquer. Vous lui devrez obéissance.

Elle fit volte-face pour regagner le tunnel. Rosalie aurait dû la laisser s’en aller pour mettre fin à cet échange qui l’avait ébranlé et écœuré à la fois.

– Ce n’était pas la peine de vous déplacer pour simplement m’intimider.

– Non. Pour vous jauger. Et vous avez réussi.

Elle disparut comme un souffle d’air dans le tunnel. Rosalie resta un instant à fixer la bibliothèque, jusqu’à ce que l’épaule d’Amerius brouille son champ de vision.

–Venez.

– Et où allons-nous cette fois-ci ? siffla-t-elle.

– Parler.

Il n’ouvrit pas la marche. Son regard était fixé sur Rosalie, une lueur de demande dans le regard.

– Vous attendez mon accord ? C’est un peu tard pour ça, vous ne croyez pas ?

– J’ai la main davantage libre sur la suite des événements. Alors, oui. J’attends votre accord.

Rosalie garda le menton droit.

– Je ne vais pas vous assassiner, crut-il bon d’ajouter.

– Je ne pensais pas à ça !

Mais à cause de lui, elle se l’imaginait de nouveau.

Elle soutint encore son regard avant de perdre l’envie de se battre. Ça n’avait pas de sens. Elle soupira et hocha la tête.

– Merci, murmura Amerius.

Sa voix avait cependant été si ténue que la jeune femme n’était pas certaine de l’avoir entendue.

À la sortie du palais, ils retrouvèrent leur fiacre. Lorsque Rosalie monta, Léni se précipita aussitôt vers elle pour se réfugier dans son écharpe. Amerius murmura quelque chose à Bartold et le véhicule fila sur la neige.

– Elle n'est pas aussi terrible qu'elle en a l'air.

Rosalie se tourna vers son patron.

– Qui ça ?

– La reine. Elle vous a intimidé, j'en conviens, mais elle ne peut se permettre des états d'âme. Elle est plus compatissante qu'il n'y paraît.

– Si vous le dites.

Rosalie le croirait quand elle en ferait l'expérience.

– Vous ne m’avez pas répondu. Où allons-nous ?

Amerius tourna la tête vers la fenêtre.

– Chez moi.

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