Chapitre 19 - 1

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Geôles du Palais Royal, 9h22, 4 danubre de l'an 1900.

Rosalie tressaillit quand son corps prit conscience du froid glacial. Elle ouvrit péniblement les yeux avant de serrer ses bras engourdis sur sa poitrine.

Elle reposait sur un matelas spongieux d'humidité – du moins espérait-elle que ce fut bien de l'eau.

Ce sursaut de lucidité la poussa à se redresser vivement. Trop vite pour son corps qui tangua vers le sol. Rosalie se rattrapa juste à temps pour ne pas finir tête la première contre la pierre sombre. La même que celle qui constituait les quatre murs inutilement hauts qui la retenaient. Un maigre carreau de fenêtre se trouvait dans un coin, presque comme une tentative misérable de rébellion – avortée, puisque des barreaux empêchaient de s'échapper, au cas où sa dimension ridicule et sa position à deux mètres de hauteur ne seraient pas suffisantes.

Seule autre concession à une utopique échappatoire : une porte métallique munie d'un passe-plat et d'une trappe au niveau des yeux.

En quittant le manoir familial, Rosalie avait eu comme objectif de vivre de nouvelles expériences, mais n'avait pas envisagé que finir en prison en ferait partie.

La prison du palais royal. Parce que la reine l'y avait mise après avoir débarqué dans son appartement avec ses accusations.

On avait tenté de s'en prendre à Amerius. Rosalie était déjà secouée par la nouvelle, mais en être tenue pour responsable lui donnait envie de hurler. Elle, une tueuse ! Après tout ce qu’Amerius avait fait pour elle ! Après qu'elle ait aidé la reine dans ses affaires politiques !

– La garce !

Son insulte se propagea jusqu'au plafond. Elle se figea aussitôt, craignant d'avoir été entendue. La reine restait la reine et Rosalie devait s'avouer qu'elle n'était pas encore prête à lui dire en face ce qu'elle pensait, surtout si cela pouvait s’ajouter à sa situation désastreuse.

Elle avait encore du mal à croire ce qu'elle avait entendu. Pourvu qu'Amerius aille bien.

La dernière chose dont Rosalie se souvenait après le visage de Galicie VII, c'était le flacon puant qu'on lui avait mis sous le nez pour l'endormir – une recette reconnue comme d'essence magiterienne.

Depuis combien de temps se trouvait-elle dans ce cloaque malodorant ? La fenêtre lui apprit qu'il faisait jour, mais son estomac ne hurlait pas famine.

Rosalie se leva, cherchant la trace d'une visite récente. Rien, à part un seau à commodité et un lavabo. La jeune femme espérait qu'elle n'était retenue ici que le temps de son réveil. Il n'y avait même pas de lumière artificielle et une partie de la cellule était plongée dans l'ombre.

Elle vint se planter devant la porte. Elle frappa fermement le métal. Personne ne se manifesta. Rosalie recommença, une fois, deux fois, sans trop de conviction, craignant que sa réaction soit perçue comme de l'hostilité.

Encore une fois on l'ignorait, on la laissait dans ce sous-sol glauque sans s'inquiéter qu'elle y pourrisse. Ça, finir ici, n'était pas envisageable.

Rosalie frappa de nouveau, plus fort, plus férocement. Et encore, et encore, plusieurs fois, sans s'interrompre, sans se préoccuper de son bras fatigué, jusqu'à ne plus compter, jusqu'à frapper des deux mains. Pour finir, elle hurla et tant pis si elle réveillait tout ce monde !

La trappe s'ouvrit devant elle.

– Ça va pas ?! Tu te crois où, toi ?!

Sans le vouloir, Rosalie recula d'un pas face au regard noir du garde.

– Je veux parler à la reine.

– Tu rêves. Sa Majesté décide elle-même de venir ou non.

– Alors je veux manger. Et une couverture.

Rosalie retint un reniflement.

Évidemment que la reine n'allait pas daigner se montrer. Mais une demande excessive rendait tout autre bien plus raisonnable, de quoi faciliter son succès.

– Tu l'auras quand ce sera l'heure.

Il referma la trappe. Autant pour elle, sa tactique n'avait pas fonctionné. La jeune femme reprit cependant espoir en entendant l'homme ordonner d'annoncer son réveil. On n’en avait pas fini avec elle, ce qui était pour l'heure un soulagement.

Il s'écoula un temps qu'elle ne parvint pas à déterminer. Ses sens lui dictaient que ce n'étaient qu'une heure ou deux, mais les nombreux allers-retours entre les dalles du sol lui avaient semblé une demi-journée.

Toujours est-il que des pas résonnèrent dans le couloir. Rosalie se coucha aussitôt sur le sol dans l'espoir d'apercevoir quelque chose de l’extérieur, même d'inutile. Les pas s'arrêtaient à intervalles réguliers, en même temps que grinçaient des gonds métalliques. Une ronde. Peut-être la tournée de nourriture promise.

Les pas parvinrent enfin jusqu'à Rosalie. Le passe-plat s'ouvrit, dévoilant un plateau et des bottes noires. L'une d'elles fit mine de pousser le plateau, quand un discret bruit résonna à l'autre bout du couloir. Le pied se figea et Rosalie imagina le garde fouiller le couloir du regard. Après un instant, il poussa le plateau et referma le passe-plat. Une lumière s'alluma brusquement au-dessus de la porte. Rosalie ferma les yeux, gémissante. Cette luminosité crue lui brûlait les rétines. Proche de sa source, un minuteur s'écoulait avec empressement. Rosalie se releva, prête à affronter la pitance infâme qu'on lui avait sans doute servie.

Quelle ne fut donc pas sa surprise en découvrant Léni, accroupi entre un bol de riz et une miche de pain.

La jeune femme retint un cri de joie. Elle tendit les bras, et l'automate sauta sur ses genoux avant de grimper jusqu'à son cou. Rosalie le serra contre elle, les larmes aux yeux. Elle n’aurait pas imaginé que quelques heures d’enfermement puissent à ce point lui ronger l’âme. L’automate niché contre elle était un soulagement indescriptible.

– Mon Léni ! Mais comment ?

L'automate s’échappa de son étreinte.

Rosalie crut comprendre qu'il s'était caché dans ses vêtements, mais s'était échappé quand les gardes l'avaient fouillée avant de la mettre en cellule. Il les avait suivis de loin avant d'attendre l'ouverture du passe-plat. Le bruit qui avait distrait le garde était de son fait.

Rosalie resta abasourdie. Sa petite création avait fait des progrès qu'elle n'aurait pas imaginés. Son exploit faisait pourtant partie des choses que la jeune femme n'avait jamais accomplies devant lui. Où avait-il pu l'apprendre ?

Qu'importe, elle le lui demanderait plus tard. Elle venait de céder à l'appel de son estomac. La nourriture ne se révéla pas si terrible. C'était fade, mais chaud. Le pain était presque moelleux et l'eau fraîche et claire. Elle avait même droit à un dessert : une part de marbré, bien qu'excessivement grasse.

Son corps et ses besoins apaisés, Rosalie en revint au sujet qui la préoccupait.

– Tu sais comment va Amerius ?

L'automate secoua la tête.

Rosalie allait soupirer, mais Léni sautilla en désigna la nouvelle excroissance dans son dos. Il signa de ses bras les mots « chercher » et « écouter ».

– Mais le palais est immense ! Si tant est qu'il se trouve ici.

Sauf qu’elle avait besoin d'informations. Si Léni pouvait trouver Amerius et lui demander quelle était la situation, la jeune femme se sentirait mieux. Ne rien savoir et se trouver à la merci des décisions des autres était une de ces sensations que la jeune femme ne supportait pas. Cela lui rappelait trop le manoir et Astrance, quand il fallait se plier à sa volonté.

Rosalie n'eut pas besoin de hocher la tête. Léni lui présenta son dos et elle y récupéra une pièce ronde et plate, semblable à un bouton, qu'elle glissa dans son oreille. Elle activa ensuite l'équation du dispositif d'écoute greffé à l'automate. Les derniers événements l’avaient poussé à en fabriquer un, au cas où il lui arriverait quelque chose. Léni se glissa dans le bol de riz et Rosalie le recouvrit de morceaux de pain. Au même moment, le minuteur s’interrompit et la cellule replongea dans l'ombre. Les gardes repassèrent vers les cellules, devant parfois ordonner que le plateau leur soit donné. Estimant s'être assez fait remarquer, Rosalie colla le sien au passe-plat.

Incertaine et effrayée, elle regarda Léni franchir la porte. Rosalie n'avait plus qu'à lui faire confiance et espérer. C’était peut-être de la folie, il restait un automate à l’esprit enfantin que la mage avait trop tendance à humaniser. Mais quel autre choix possédait-elle ? Il valait mieux essayer qu’attendre.

Elle appuya sur le bouton dans son oreille, mais ne perçut qu'un grésillement mêlé au son étouffé du garde qui achevait sa tournée. Plus tard, des bruits de roues, peut-être un chariot. Des voix principalement féminines et l'acier heurtant le bois, couplé au chant de la céramique qu'on empilait par-dessus l'eau qui s'écoulait. Une cuisine.

Les sons se répétèrent pendant un moment, durant lequel Rosalie supposa Léni prisonnier de son bol. Il y eut soudain un brusque vacarme de vaisselle brisée, très proche. La jeune femme retint son souffle, mais aucun hurlement ne lui parvint. Léni avait peut-être encore fait diversion. Un cliquetis pressé lui apprit que l'automate devait être en train de courir. Les nuisances de la cuisine s'éloignèrent. Léni avançait toujours, mais son pas était plus étouffé. Si le marbre était devenu de la moquette, c'était que l'automate se trouvait dans les quartiers des domestiques. Un détail qu'on trouvait aussi dans les manoirs magiteriens.

Les minutes qui suivirent furent oppressantes. Rosalie entendait Léni courir, esquivant parfois les voix et les obstacles de justesse. Son cœur se calma quand l'automate adopta une allure tranquille accompagnée de silence. Il avait dû trouver un accès au faux plafond, car il semblait à Rosalie qu'il s'était mis à ramper.

Ne disposant toujours pas de visuel temporel, la jeune femme supposa seulement qu'une heure ou deux s'étaient écoulées depuis le départ de Léni.

Un choc résonna soudain contre ce dernier. Rosalie préféra ne pas penser à ce qu'il venait de se passer. S'était-il jeté du plafond ? Après quelques grattements et une possible nouvelle fuite, Léni se tut.

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