Chapitre 19 - 2

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Il s’écoula plusieurs minutes silencieuses.

– Léni ? Léni !

Rosalie l'appela, quand bien même était-il incapable de l'entendre, terrorisée à l’idée qu’il soit encore réduit en miettes.

Une porte claqua du côté de l'automate.

– Tu es réveillé. Il était temps.

Rosalie serra la mâchoire. La reine. Cette garce !

– Merci de ta considération, Galicie.

La jeune femme bondit. C'était la voix d'Amerius ! Il était vivant, son assassin avait bel et bien manqué son coup.

– Arrête, reprit la reine. Il n'a jamais été question d'autre chose que de franchise entre nous.

– Surtout lorsque cela t'arrange.

Rosalie fut presque choquée de cette familiarité. Son patron parlait à sa souveraine sans tenir compte des usages, allant jusqu'à la tutoyer.

Pourtant, le jour où Rosalie avait rencontré la reine, Amerius s'était parfaitement tenu en retrait comme un loyal sujet.

D'un autre côté, il n'avait pas eu l'occasion de parler. Sans doute qu'en public ces deux-là devaient faire comme s'ils ne se connaissaient pas.

Ce qui avait pourtant l'air d'être le cas.

À travers le bouton, Rosalie entendit son patron gémir en même temps que le grincement d'un lit.

– Veux-tu que j'appelle le médecin ? demanda Galicie.

– Ça ira.

L'agresseur n'avait peut-être pas tué Amerius, mais il l'avait sérieusement blessé. Rosalie regretta de ne pas avoir intégré à Léni une équation de vision.

– J'aimerais plutôt que l'on parle de Rosalie.

La reine soupira.

– Ainsi, tu es au courant.

– C'est mon travail d'être au courant, c'est pour cela que tu me préserves tant. Alors ? Qu'as-tu fait de Rosalie ? Ne me dis qu'elle est bel et bien en prison ?

– Si. Jusqu'à ce que lumière soit faite sur cette affaire.

– Bon sang, mais c'est ridicule Galicie ! Rosalie n'a rien d'une assassin !

– Qu'est-ce que tu en sais ?

– C'est mon employée.

– Quand bien même serait-elle ta catin que tu n’y verrais que du feu. Le fait qu'elle soit seulement ton employée joue contre elle. Une fois ses horaires terminés, tu ne sais plus rien d'elle.

– Je l'aurais reconnue si elle m'avait agressé.

– Elle était masquée, Amerius !

– De la même manière que cette voleuse ! Qui ne pouvait pas être Rosalie puisqu'elle était avec moi !

– Une complice !

– Un hasard !

– TAIS-TOI !

Les hurlements s'interrompirent. L'oreille de Rosalie lui faisait mal. Elle avait peine à croire que l'un des deux interlocuteurs soit Amerius et qu'il pouvait s'emporter de cette manière.

– Nous y voilà, fit-il soudain. Quand tu es sur le point du perdre l'avantage tu rappelles que la reine c'est toi, et donc que tu as le dernier mot.

– Mets-la. En veilleuse.

Rosalie entendit la reine se déplacer. Au bout d’un moment, Amerius soupira.

– Pourquoi elle ?

Une pause.

– Parce qu’elle est suspecte. Comme tu l’as dit, elle était présente au moment du vol, une couverture idéale quand on y réfléchit. De même qu’elle est à nouveau celle qui nous offre un indice au moment où l’on patauge, avec ce bout de bois.

– Ou peut-être avait-elle simplement à cœur de mener à bien sa mission, vu que tu l’as menacée de représailles.

– Elle est magiterienne, insista la reine. Elle pouvait donc tout à fait avoir accès aux réserves de bois de sa famille. Tu sais comme moi que les magiteriens rêvent de retrouver leur place d’antan. Et quoi de mieux que de discréditer et éliminer des mages industriels influents ? Peut-être est-elle ici pour cela depuis le début.

– C’est ridicule. Rosalie a coupé les ponts avec les siens. Et comment aurait-elle su que je possédais une équation pareille ?

– Elle a eu tout le loisir de fouiller ton bureau.

– Tu es ridicule, Galicie. Tu te moques pas mal que ton résonnement soit logique. Je crois plutôt que tu vois là une opportunité. Nous avons beaucoup de questions et aucune réponse, et Rosalie est parfaite dans le rôle de la méchante. C’est l’occasion pour toi de discréditer les magiteriens, dont tu rêves de te débarrasser. Tu vas envoyer Rosalie au tribunal pour qu’elle serve d’exemple. Tu espères que le peuple face grand cas de ce procès et se lève de lui-même contre les magiteriens. Je comprends mieux pourquoi tu voulais intégrer Rosalie à nos affaires. Tu attendais une occasion comme celle-ci. Et tu pourrais gagner. Les magiteriens ont peut-être banni Rosalie de leur vie, mais si d’avenir une autre femme ou un autre homme souhaite quitter leur communauté, on ne voudra de lui nulle part, craignant un complot.

– Tu admettras quand même qu’il est étrange que ton employée si vertueuse ait déjà rencontré notre voleuse avant les faits.

– C’était un pur hasard ! Elles peuvent très bien s’être croisées lors du solstice ! Tu sais comme moi que cet événement est le plus important du pays.

– Mais pourquoi sauver Rosalie d’une possible mort ?

– On peut être adepte du cambriolage sans vouloir la mort de qui que ce soit.

– Cette personne a pourtant essayé de te tuer pas plus tard que cette nuit. Les équations de surveillances gravées sur tes murs nous ont montré une silhouette similaire. Je ne dois prendre aucun risque.

– Galicie, je…

– Il suffit Amerius ! J’ignore pourquoi tu défends autant cette jeune femme, mais il faut que tu arrêtes ! Aurais-tu oublié à qui tu dois ton allégeance ? Sans mon père, tu aurais fini ta vie dans l’endroit maudit qui t’a vu naître ! Le roi a eu la générosité de te sauver et de te dispenser une éducation avant de te confier à une bonne famille Cie-Ordalienne !

– Générosité intéressée, puisqu’il a fait de moi un agent de la couronne sans possibilité de partir un jour.

– Ce dont tu ne t’es jamais plaint. Tu n’en serais pas capable. Tu ressentirais trop de culpabilité à nous abandonner après ce que nous avons fait pour toi.

Rosalie l’aurait giflé. Galicie VII n’avait apparemment aucun remords à se servir des émotions d’autrui contre eux. Une souveraine n’aurait pas dû avoir ce genre d’attitude, elle se devait d’être compatissante et altruiste. À moins que Rosalie ne soit trop naïve.

– Raison pour laquelle tu serais bien embarrassée de ne plus m’avoir. Alors, évite de me contrarier.

Il y eut des chuchotements agacés que la mage n’entendit pas. Pour finir, Amerius demanda à la reine de le laisser se reposer.

– Les magiteriens appartiennent au passé, ajouta-t-elle. Ils ont largement démontré qu'ils ne servaient plus à rien et je compte bien retirer de mon pied l'épine qu'ils représentent !

Sur un dernier râle agacé, Galicie VII quitta la pièce d'un pas pressé avant d'en claquer la porte.

Amerius soupira. Rosalie allait retirer le bouton de son oreille, mais son patron en décida autrement.

– Tu peux sortir, Léni.

La jeune femme s'empressa de remettre le bouton en place. Elle entendit l'automate s'agiter.

– Tu es venu chercher Rosalie ?

Léni dut faire signe que oui.

– Qu'est-ce que tu as dans...

Rosalie entendit qu'on touchait directement le dispositif d'écoute.

– Est-ce qu'elle nous écoute ?

Pause.

– Elle est enfermée ici ? Tu l'as vue ?

Une autre pause.

– J'en déduis qu'elle va bien. Rosalie, si vous m'entendez, je vais garder Léni avec moi. Inutile qu'il se mette en danger en faisant le chemin inverse. Je vais vous sortir de là. Ne vous en faites pas.

Un sanglot mêlé d'espoir mourut dans la gorge de Rosalie.

Malgré la situation, la jeune femme remercia l'univers.

Quoi qu'il arrive, elle aurait toujours un allié.

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