Chapitre 20

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Geôles du Palais Royal, 17h14, 6 danubre de l'an 1900.

Si Rosalie était soulagée que Léni soit en sécurité auprès d'Amerius, elle regrettait cependant son absence. La cellule était vide de toute occupation. Le quotidien de la jeune femme était uniquement rythmé par les trois repas par jour que les gardes lui apportaient.

Gardes auxquels Rosalie était parvenue à arracher quelques mots, lorsque l'une d'entre eux comprit que la mage avait été menée ici sans explications.

Les séjours dans ces geôles étaient de courtes durées – quelques jours à quelques semaines – le temps pour la royauté de statuer sur ces cas qui la touchaient directement. Raison pour laquelle les prisonniers n'avaient rien pour s'occuper si ce n'étaient leurs esprits, dont l'imagination était exacerbée par les ombres de leur cellule. Plongée dans la quasi-obscurité une grande partie de la journée, il y avait de quoi retomber en enfance en imaginant les montres se terrer dans les recoins.

Il en allait ainsi depuis des jours, sans compter celui où Rosalie s'était réveillée. Elle avait confiance en Amerius, mais perdait espoir qu'il réussisse. Galicie VII devait pourtant être pressée d'accuser les magiteriens. Quoique le terrain devait être conséquent à préparer. On parlait de se débarrasser d'un symbole vieux de plusieurs siècles, un dessein qui nécessiterait des années.

Rosalie était parvenue à trouver une occupation en visualisant des équations magiques. Le couteau vibrant qu'elle imaginait facilitant la découpe des importantes pièces de viande des bouchers cessa tout à coup de d'opérer quand on frappa à la porte de sa cellule.

Rosalie se redressa en sursaut sur son lit. Un garde entra dans la pièce et la saisit par le bras. Deux autres attendaient dehors, révolvers au poing. La jeune femme se laissa emmener. Chaque pas la rapprochait d'une issue creusant un peu plus la boule d'appréhension dans son ventre. Elle redoutait de voir la reine au bout du chemin, un sourire victorieux sur le visage. Si cela se produisait, Rosalie redoutait de ne pas pouvoir se retenir d’essayer de le lui arracher.

Ils quittèrent les sous-sols du palais par un étroit et interminable escalier avant d'émerger brusquement à l'air libre. L'accès à la prison du palais se trouvait tout au fond des jardins royaux, caché dans un bosquet d'érables. Un fiacre les attendait devant celui-ci. On fit monter Rosalie, qui se retrouva serrée entre deux gardes tandis que le troisième prenait place sur la banquette en face. Les rideaux tirés empêchaient la jeune femme de profiter du soleil qui lui avait tant manqué. Au moins put-elle reposer ses yeux meurtris par ce soudain retour à la surface.

Ils ne roulèrent pas longtemps. Le véhicule s’immobilisa et Rosalie descendit, devant une aile du palais très éloignée des lieux de vie. L'endroit semblait même l'abandon au vu de la saleté qui piquetait les vitres en mosaïques. Les gardes franchirent une porte en verre aux gonds grinçants avant de pousser Rosalie dans une pièce vide aux murs envahis de lierre. Les lustres étaient dépourvus d'ampoules, empêchant la lumière de se refléter sur la couche de poussière soulevée par Rosalie et les gardes. Dans un coin, un lavabo tâché de rouille laissait échapper un maigre goutte à goutte. Peut-être une ancienne serre.

L'un des soldats s'engouffra dans une pièce voisine et adressa un signe de tête à quelqu'un que la jeune femme ne vit pas. Les hommes armés quittèrent la pièce pour patienter dans les jardins.

Une silhouette sortit de l'ombre pour rejoindre Rosalie. Elle soupira aussitôt de soulagement. Amerius se tenait juste là, appuyé sur sa canne, son haut-de-forme vissé sur la tête. Il quitta son expression neutre pour lui adresser une esquisse de sourire.

La jeune femme se retint de pleurer.

– Vous êtes venu m'aider.

– Ne l'avais-je pas promis ?

Il s'avança, mais boitait plus qu'à l'ordinaire. Chacun de ses pas était accompagné d'une grimace qu'il peinait à dissimuler.

– C'est sérieux ?

– Un coup de couteau dans le flan. Rien de vital n'a été touché, fort heureusement. Mais j'aimerais que l'on s’asseye. Venez.

La pièce suivante était toute aussi vétuste que l'autre, mais un canapé dépoussiéré les attendait. Rosalie savoura le moelleux des coussins, loin du ridicule matelas sur lequel elle avait récemment dormi. Sitôt qu'elle fut assise, quelque chose sauta sur ses cuisses. Rosalie reconnut Léni, qu'elle serra contre elle. L'automate vint s'asseoir sur son épaule.

– Je n'arrive pas à croire que je sois accusée de vous avoir agressé !

Elle avait crié un peu fort, mais sa colère avait besoin de s'exprimer – sans crainte d'une riposte des gardes.

– Vous avez entendu notre conversation. Vous n'êtes qu'une opportunité pour une idée qu'elle prépare depuis longtemps, avant même l'abdication de son père.

Rosalie se passa une main sur le visage. Léni lui tapota la joue pour la réconforter.

– Et maintenant ? La reine m'a fait sortir, mais je suppose qu'elle n'a pas lâché l'affaire.

– Je suis parvenu à négocier. Tant que nous n'aurons pas retrouvé la femme m’ayant agressé, qui est sans aucun doute également notre voleuse, vous resterez sous étroite surveillance. Nous avons un mois pour la débusquer. Passé ce délai, vous serez condamnée à sa place. Quant à elle, elle sera présentée comme magiterienne si nous la retrouvons.

– Un mensonge énorme. Les familles seront que ce n'est pas l'une des leurs.

– Ce sera leur parole contre celle de la royauté. Celle-ci possède l'identité de tous les magiteriens. Je sais que vous n'êtes pas la première à avoir fugué, même si les cas demeurent rares.

Rosalie nourrissait quand même de sérieux doutes. Les magiteriens demanderont forcément à voir la prisonnière et cela ne pourra leur être refusé. Mais qu'importe. Ce n'était pas de son ressort. Que la reine essaye donc et se casse la figure ! Tant que Rosalie s'en sortait, elle se fichait pas mal des manigances de la couronne.

– Les gardes vont vous ramener chez vous. Je voulais vous voir pour vous donner la version officielle des événements. Nous avons été renversés par un fiacre qui a perdu le contrôle de ses chevaux. Je vais bien, mais votre jambe et un de vos bras sont cassés, vous obligeant à demeurer chez vous pendant un mois, acheva Amerius.

– Et comment je vais justifier que ce n'est pas le cas aux personnes qui viennent me voir ?

– Vous avez contracté une infection suite aux blessures. Voir d'autres personnes serait prendre le risque d'aggraver les choses.

– Tout ça est bien tarabiscoté. Et bien d'efforts pour ma petite personne, ajouta Rosalie sur un ton amer.

– Ne vous dévalorisez donc pas.

Il se leva en s'appuyant sur sa canne. Péniblement, il se redressa avec l’aide de Rosalie, prête à le rattraper en cas de chute.

– Merci. Je vais vous accompagner jusqu'à chez vous.

Ils prirent place dans le fiacre et le véhicule s'élança dans la capitale. Rosalie grelotta. Sans vêtements d'hiver, elle supportait mal le froid de danubre. Malgré ses précautions, Amerius le remarqua et lui tendit son manteau. La jeune femme refusa. Il était blessé et devait faire attention à sa santé. Comme il insistait, elle accepta pour ne pas le froisser.

Cela fit naître une question incongrue dans l'esprit de Rosalie. Si la reine s'était tenue à sa place, Amerius lui aurait-il donné son manteau ?

La jeune femme avait été très surprise par leur familiarité mutuelle. Peu de gens devaient sans doute s'adresser ainsi à la reine ; peut-être le roi et une préceptrice. Quant à Amerius, Rosalie ne lui connaissait aucune relation. Elle avait cru comprendre qu'il ne parlait plus à sa famille et sa maison avait tout de l'homme célibataire.

Rosalie brûlait d'envie d'en savoir plus au sujet de sa relation avec la reine. Mais cela ne la regardait pas, surtout après ce qu'Amerius avait fait pour elle. Il avait déjà été conciliant en la laissant l'espionner.

Les gardes l’escortèrent jusqu'à son appartement. Ils lui apprirent que trois d'entre eux seraient en permanence au pied de l'immeuble, habillés sans pouvoir être reconnus. La jeune femme avait interdiction de sortir et si elle voulait leur parler, elle devrait s'accouder à la fenêtre et attendre qu'ils se présentent. Amerius récupéra son manteau. Tandis qu'on fixait un bracelet de fer imprégné de magie industrielle à la cheville de Rosalie, cette dernière vit que son patron la fixait d'un air un peu dépité.

– Je suis navré. Je me sens responsable de tout ça.

– Vous n'avez pas demandé à vous faire cambrioler.

Amerius sembla vouloir ajouter quelque chose. Il la regarda ajuster le bracelet avant de se détourner.

– J'ai le droit d'envoyer du courrier ?

– Oui, répondit un soldat. Mais il sera lu. De même que celui reçu.

Dans ce cas, elle veillerait à ne rien poster. Pas question que ces gens fouillent dans sa vie privée. Elle enverrait juste un message à Mona pour lui expliquer la situation dans sa version officielle.

Amerius quitta l'appartement escorté de Bartold, qui les avait rejoints. Le dernier garde à franchir la porte se heurta au regard inquisiteur de Rosalie. Il le lui renvoya, mais détourna la tête le premier.

Dans la rue la jeune femme les vit s'éloigner, mais n'oublia pas leur promesse de se tenir toujours proche.

Que ces types la surveillent donc. Dans tous les cas, elle ne comptait pas rester ici. En ce moment même, il y avait dehors une femme assise sur un trône qui voulait lui faire porter le chapeau. Et une autre, véritablement responsable. Rosalie avait confiance en Amerius et ses capacités, mais elle refusait d'attendre qu'il la trouve, si toutefois il y parvenait. À deux, ils avaient plus de chance et il y avait sous cette histoire quelque chose que Rosalie ne parvenait pas à saisir, et qu'elle comptait bien tirer au clair. Pour cela, il lui fallait interroger elle-même cette voleuse, devenue assassin.

Leur rencontre à deux reprises ne pouvait pas être un hasard.

Le fait qu’Amerius ait failli être tué et Rosalie sauvée ne pouvait pas être un hasard.

La jeune femme avait la sensation qu'on voulait l'impliquer de force dans quelque chose.

Et elle comptait bien savoir quoi.

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