Chapitre 21

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Appartement de Rosalie BasRose, 10h52, 8 danubre de l’an 1900.

Après son séjour en prison, Rosalie avait redouté de subir à nouveau l'ennui. Fort heureusement, Amerius l'avait compris sans même qu'elle eut besoin de le formuler et il s'était présenté dès le surlendemain, les bras chargés de travail. Ainsi que d'un conséquent bouquet de fleurs acheté par tous les employés de La Bulle. Ils y avaient joint des petits mots lui souhaitant un bon rétablissement. S'ils savaient.

Rosalie avait aussitôt interrogé Amerius sur l'avancement de l'enquête. Il avait repris leur piste du bois, élargissant ses recherches aux commerçants étrangers et aux réseaux du marché noir. Il avait aussi creusé celle du vol, mais la mission s'était avérée proche de l'impossible.

De quoi donner à Rosalie des envies encore plus fortes de liberté. Il y existait peut-être des détails qu’Amerius n’avait pas remarqués et qui pourraient tout changer. Si la mage pouvait voir les mêmes choses que lui… La frustration lui donnait des crampes.

En plus du travail donné par son patron, l'une des premières préoccupations de Rosalie fut le bracelet magique à sa cheville. L'équation était codée par une signature assez générique et avec un peu de patience la jeune femme put lire la formule. Pour se heurter à une impasse. Si le bracelet était brisé ou ouvert par le prisonnier, un signal serait envoyé aux gardes, de même si l'on tentait de modifier l'équation.

Rosalie n'avait jamais autant juré de sa vie. Des noms d'oiseaux que Léni avait aussitôt appris à épeler. La jeune femme se retrouvait donc affublée de cette chose qui cliquetait à chacun de ses pas et d'un automate devenu grossier. Foutue pour foutue, Rosalie s'en était donnée à cœur joie, étoffant la liste de grossièretés déjà bien remplie de Léni.

En désespoir de cause, Rosalie avait épluché tous les manuels en sa possession afin de trouver une parade, mais cela n'avait rien donné. Amerius devait revenir dans deux jours et sans solution, la jeune femme allait devoir se résoudre à lui demander de l'aide.

Elle ne voulait pas le compromettre, surtout en sachant quels risques il prenait pour lui accorder ce sursis. Mais voilà, Rosalie avait une piste concernant toute cette affaire et un besoin urgent de l'explorer.

Avec son génie qui s'illustrait dans de nombreux autres domaines que la magie industrielle, l'homme allait forcément trouver une solution.

Le jour venu, Rosalie avait préparé le terrain à l'argumentation. Elle servit son meilleur thé à Amerius en veillant à l'accompagner de gâteaux au beurre, dont, avait-elle remarqué, il possédait toujours une boîte dans son bureau. Les jours où elle était vide, il semblait plus malheureux.

Ce fut donc un Amerius bien détendu, mais certainement pas dupe, qui reposa sa tasse vide. Lui et Rosalie se fixèrent longuement, la jeune femme imitant l'expression neutre de son patron.

– Quoi que vous envisagiez, ne le faites pas.

– Et pourquoi pas ?

– Cela aggraverait la situation.

– Elle est déjà passablement fâcheuse.

– Elle le sera davantage, j'en suis certain.

– Aussi certain que je prépare un mauvais coup ?

– Oui.

– Vous avez largement usé de mon hospitalité avant de me mettre en garde, souligna-t-elle.

– Et vous avez fait en sorte que je sois en condition, releva-t-il.

– Donc, nous aussi bien profité de l'un que de l'autre. Vous voyez à deux, on ferait une bonne équipe.

– Parce que vous avez déjà décidé de m'impliquer ?

– Oui.

– Et si je refuse ?

– Vous ne le ferez pas.

– Et pourquoi cela ?

– Parce que vous avez envie autant que moi de comprendre à quoi rime cette histoire.

– J'en déduis donc que vous avez une idée. Quelle est-elle ?

– Aidez-moi et je vous le dirais.

Rosalie sut qu'elle avait gagné quand Amerius ne répondit pas. Elle s'en voulait un peu de son comportement, mais elle était arrivée à un stade où elle ne pouvait plus se permettre d'hésiter.

– À quoi avez-vous pensé ?

– Noé. Jusqu'à présent, nous l'avons négligé par manque de temps. Oubliez le bois, ça ne mènera nulle part. C'est la formule de Noé qu'on a volé, ce sont ses équations qu'on a copiées, et comme par hasard il est le prisonnier des Basses-Terres. Il est le point central de tout ça, la clé de voûte, le chercher nous mènera à la femme qui semble l'aider.

Amerius l'avait laissé débiter son discours sans l'interrompre, figé dans sa position. En apparence, il n'avait pas l’air d'y réfléchir, mais Rosalie avait appris à repérer ces petits gestes trahissant son humeur. La manière dont ses longs doigts fins se détendaient autour de sa tasse indiquait sa confiance, et son menton se relevait légèrement quand il était curieux ou intéressé.

– Je suis d'accord avec vous. Mais par où commencer ?

– Sa maison. Il n'était pas un vagabond que je sache. Il devait aussi avoir un laboratoire pour ses recherches.

Amerius fit la moue.

– C'est un problème. Quand Noé a disparu, ses biens ont été mis sous surveillance, à cause du danger que ses expériences représentent. N'importe qui ne doit pas mettre la main dessus. On ne pénètre pas dans un tel lieu sans autorisation.

– Je suis sûre que la reine se fera un plaisir de vous l'offrir.

– Pas forcément. Vous êtes une coupable trop idéale.

– Mais vous êtes capable de lui tenir tête.

– En effet.

Rosalie n'arrivait pas à détourner le regard, mais Amerius ne cracha pas le morceau.

– On doit fouiller cette maison.

Son patron soupira longuement, une chose qui ne devait pas lui arriver souvent.

– Si je ne vous aide pas, vous allez vous mettre en danger et aggraver votre cas auprès des autorités.

Rosalie ne put retenir un sourire en coin.

– Cessez cela ou vous pourrez oublier votre prime de fin d'année.

La jeune femme redevint sérieuse.

– Je dois me débarrasser de ça.

Elle agita la cheville pour faire cliqueter le bracelet.

– Je sais comment ils fonctionnent.

Il se leva et se mit à faire les cent pas dans l'appartement. Sa blessure allait visiblement mieux. Amerius aimait les problèmes et réfléchir à leurs solutions. Débarrasser son employée de ses menottes était un défi trop intéressant pour qu'il s'en détourne.

– Nous ne pouvons pas détruire le bracelet ni le modifier. Il faut donc l'enlever de votre cheville sans que l'objet lui-même le sache.

Il réfléchit en silence durant quelques instants avant de soudain revenir vers la table et d’y récupérer ses affaires.

– Je dois partir avant de devenir suspect. Je reviens dans deux jours.

Il quitta le logement en vitesse, marmonnant déjà à propos d'idées. Rosalie resta pantoise sur sa chaise. Cela avait été si rapide qu'elle n'avait même pas eu le temps de réagir.

Elle se rapprocha d'une fenêtre et observa par les rideaux entrouverts son patron monter dans le fiacre conduit par Bartold.

Rosalie était surprise qu'on laisse Amerius aller et venir ici sans autre chose qu'une fouille au corps. D'un autre côté, la reine n'était peut-être pas au courant. Dans ce cas, cela signifiait que les gardes royaux le connaissaient bien et se soumettaient à son autorité.

Qui donc était réellement Amerius Karfekov ? Il ne pouvait pas être de sang royal, autrement pourquoi se serait-on séparé de lui ? D'autant que la reine avait parlé de l'endroit de sa naissance.

Rosalie se détourna. Elle n'appréciait pas vraiment cette facette de sa personnalité, bien trop curieuse lorsqu'elle concernait les autres. Il y avait déjà bien assez de mystères dans sa vie et Amerius n'était pas une menace.

Elle rangea le service à thé et termina de manger les quelques gâteaux qui avaient survécu à Amerius en s'efforçant de distraire son esprit.

Tout du long le bracelet ne cessa de lui rappeler la situation.

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