Chapitre 31 - 2

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Rosalie se retourna vers le manoir, regardant, et voyant ce qu’il était vraiment. Une bâtisse venue de la Lune, au sein de laquelle la jeune femme avait grandi sans jamais se douter de quoi que ce soit. Comment aurait-elle réagi si elle l’avait su après sa cérémonie, comme les autres magiteriens ? Avec émerveillement ? Avec incompréhension ? Aurait-il fallu peu de choses pour qu’elle soit comme Astrance, prête à tout pour sauvegarder l’honneur des familles ?

Elle décida de laisser ses questions sans réponses se disperser dans les jardins. Elle flâna au hasard des sentiers bordés de fleurs d’hiver et retrouva avec plaisir ses vieux réflexes d’antan, qui étaient de retirer les plantes malades ou marcher uniquement sur les pavés des chemins. Dire que tout cela, ce savoir et cette beauté des lieux, seraient perdus si le manoir venait à être démantelé. À moins que la reine ne transforme la propriété en jardin botanique. D’ici là, il n’y aurait plus personne pour s’en occuper, les employés avaient tous été emmenés au palais en tant que témoins potentiels.

Les sentiers des jardins finissaient tous par mener à la serre. Rosalie choisit de ne pas entrer. Même si elle avait été celle qui avait triomphé, revoir cet endroit où on lui avait fait endurer des tourments lui tordait le ventre.

Ce qu’elle voulait retrouver, c’était son seul vrai refuge : sa chambre et ses cachettes secrètes.

Lorsqu’un enfant venait au monde, les BasRose faisaient sculpter la fleur représentant son prénom, ensuite accrochée à la porte de sa chambre. Celle de Rosalie avait été retirée.

De même que la pièce avait été vidée.

La jeune femme se retrouva au milieu d’une chambre anonyme, habillée de meubles sans effets ou décorations. Elle n’était plus habitée et attendait quelqu’un d’autre.

Rosalie ne savait pas ce qu’elle ressentait. Sa vie ici n’avait jamais vraiment été… sa vie. Ce n’était qu’une étape, un entre-deux, un prologue, et elle l’avait toujours su. Astrance avait essayé d’en faire une fin. Elle avait échoué.

Cette pièce si simple resterait toujours un refuge. Ici, elle avait le temps de penser. Et depuis quelque temps, c’était aux autres, et aux relations qui pouvaient changer.

À la manière de le dire.

Les individus avaient toujours été un sujet à part dans sa vie. Rosalie ne souhaitait jamais se rapprocher tout de suite de quelqu’un. Elle attendait de voir comment cela évoluait, comment l’autre était réellement. S’il ne l’appréciait pas, Rosalie n’insistait pas. Elle pouvait reconnaître les signes quand quelqu’un aimait sa compagnie. Et quand c’était réciproque.

L’imposteur qu’ils poursuivaient avait été une de ces personnes. On ne prenait pas autant de risques et de moyens pour un inconnu. Cet homme, quel que soit son nom, avait aimé Rosalie, qui avait dû le chérir en retour. Dans cette réalité, elle ne l’avait pas connu. Il ne représentait que l’ennemi qui leur voulait du mal.

– Rose ?

La jeune femme se retourna vers la porte.

Amerius se tenait dans l’encadrement, les vêtements piquetés de la neige qui venait de tomber.

– Est-ce que tout va bien ?

Il avait l’air très inquiet. Rosalie pivota vers le miroir à sa droite et soupira. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle avait l’air si abattue.

– Ça va. Juste un peu de nostalgie. Et d’inquiétude supplémentaire.

Amerius entra et referma la porte.

– Les enfants vont bien ?

– Ils sont entre de bonnes mains. La médecin a dit que physiquement, ils n’avaient rien. Mais les deux garçons… ils se souviendront de ce qu’il s’est passé. Vous pourriez peut-être nous aider. Vous les avez sauvés et vous êtes magiterienne, ils…

– Pourquoi est-ce que vous me vouvoyez ?

La question provoqua un silence. Mais Rosalie sentait enfin le besoin de la poser. D’être certaine.

– Amerius, c’est ridicule. On a dépassé ce stade, il me semble, mais je reste celle… qui n’a pas droit à la même chose que les autres employés.

– Je ne vous vois plus comme une employée depuis longtemps.

– Raison de plus !

Il ne parvint pas à répondre et fuit même son regard.

– J’en ai assez des incertitudes.

Elle le vit se mordre la joue, agripper nerveusement le pommeau de sa canne.

– Je ne veux pas m’attacher, finit-il.

Rosalie sentit l’amertume lui emplir la bouche.

– Je vois. Que de l’éphémère, c’est ça ?

– Non !

Il agita la main pour la démentir.

– Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, je m’y prends très mal. Ma… ma famille biologique m’a soit abandonnée, soit été arrachée. Mes parents et mon frère adoptifs ne me parlent plus. Mais tous s’accordaient à dire qu’exprimer son ressenti ne servait à rien. Quant à mes amis, ils ne comprennent pas cela, et le fait que je préfère ma passion à la vie en général. Et ils n’ont pas le droit de connaître mon passé. Je crois qu’ils partiraient s’ils le savaient, bien que nous nous soyons déjà éloignés.

– Moi, je ne suis pas partie.

Amerius la regarda comme si elle venait de lui donner la réponse à une énigme longtemps irrésolue.

– Je suis même contente de le connaître. Et j’ai donné le mien en échange. Il me semble que ça compte non ? On ne fait pas ça en guise de premières salutations.

Il se passa une main sur le visage. Rosalie se rapprocha, jusqu’à ce que seule une poignée de centimètres les séparent. Elle leva le visage vers lui, vers ses yeux couleur d’écorce nappée de sève, où venaient se mêler des nuances de feuilles mortes.

– Tu as raison, fit-il.

Il posa une main sur sa nuque et mêla ses lèvres aux siennes. Rosalie lui rendit son baiser et posa une main sur son cou pour l’amener encore plus près d’elle.

Se débarrasser de ce vous, de cette barrière ridicule, avait été l’aboutissement de ce qu’ils avaient enduré. Rosalie songea que leur histoire serait peut-être née sans cela, que leurs épreuves récentes n’avaient été qu’un raccourci, pas une cause.

Un bruit sourd sur sa gauche lui indiqua d’Amerius avait laissé tomber sa canne au sol. Son bras libre vint lui enserrer les reins, tandis que l’autre descendait lentement jusqu’à ses omoplates.

Rosalie glissa une main sur le torse d’Amerius et remonta sous les épaules, là où s’ouvrait son manteau. Elle repoussa l’étoffe, jusqu’à la faire pendre, et il vint en aide en la retirant lui-même, en même temps que ses gants et son chapeau. La jeune femme l’imita, se débarrassant également de son écharpe.

Leurs lèvres se retrouvèrent, mais Rosalie ne se contenterait pas de ça et elle savait qu’Amerius partageait cette envie. Il fit le premier pas, en menant ses mains là où ils le désiraient tous les deux. La respiration de la jeune femme devint plus courte.

– Il faut fermer la porte… parvint-elle à dire.

Amerius ferma le loquet, pendant que Rosalie libérait ses cheveux.

Cet après-midi, la pièce abandonnée retrouva davantage de vie qu’elle n’en avait jamais eu.

Rosalie et Amerius se laissèrent aller, jusqu’à en avoir assez, jusqu’à en vouloir bien plus à l’avenir.

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