Chapitre 32

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Manoir BasRose, 16h01, 3 nafonard de l'an 1900.


Un peu plus tard, Rosalie renoua à contrecœur ses cheveux emmêlés par les mains d’Amerius. Ils avaient été imprudents de rester ici si longtemps alors que Noé menaçait, mais ils avaient eu besoin de ce répit, au moment où cela avait été possible.

Amerius lui tendit son manteau et lui passa lui-même l’écharpe autour du cou, ce qui la fit rire. Ils s’efforcèrent de conserver un air neutre lorsqu’ils croisèrent les gardes, puis Bartold qui les attendaient à côté du fiacre.

– Quand même ! Vous avez trouvé des preuves ?

– Malheureusement non, fit Amerius.

Il fit les présentations entre Rosalie et son homme de main, puisqu’ils n’étaient pas censés s’être déjà rencontrés. Bartold lui accorda une expression sans animosité. Au moins un avec qui repartir sur de bonnes bases.

Dans le fiacre, les mages s’installèrent côte à côte, la tête de Rosalie posée sur l’épaule d’Amerius qui prit sa main dans la sienne.

– Tu as trouvé quelque chose chez les Astre-en-terre ?

– Non. Mais le témoignage des enfants pourrait nous en apprendre beaucoup. J’ai essayé de les faire parler, mais ils sont restés muets. Je crois qu’ils auraient confiance en toi.

La jeune femme hocha la tête.

Une heure et quart plus tard, le fiacre se garait devant les portes du palais. Réalisant qu’elle mourrait de faim, Rosalie reçut une rapide collation avant de se rendre vers le dispensaire, là où se trouvaient les salles de soins et de rétablissements du palais et qui accueillaient chaque année des enfants de la capitale, sans aucun frais. Chaque ville possédait un bâtiment semblable. Celui-ci se trouvait à l’écart, dans un bosquet d’érables qui habillait un petit lac.

Dès son entrée dans le bâtiment fait de bois rouge, Rosalie eut la surprise de découvrir ses parents dans une salle de repos.

– Rose, ma chérie !

Sa mère lui prit une fois de plus dans ses bras.

– Maman ? Qu’est-ce que vous faites là ?

– Notre innocence ayant été prouvée et notre collaboration conséquente, nous avons demandé l’autorisation de voir les enfants d’Annita, pour essayer de les rassurer et de les faire parler.

Pyrius ajouta que ça n’avait pas marché, mais que Rosalie venant ici, ils avaient souhaité l’attendre.

D’après la présence du soldat dans la pièce, ses parents ne devaient pas complètement exempts de soupçons.

Pyrius signa soudain qu’il n’avait aucune nouvelle de son père et de ses frères, ainsi que de ses nièces.

– Ils vont bien, informa Amerius. Seuls les patriarches et matriarches, ainsi que leurs héritiers, sont véritablement soupçonnés de complicités. Nous imaginons mal des dizaines de personnes partager un même secret sans qu’il n’y eût des fuites au préalable.

Pyrius hocha la tête, soulagé. Rosalie fronça soudain les sourcils avant de se retourner vers Amerius, sidérée.

– Mais… tu parles la langue des signes ?

– Je parle sept langues.

Évidemment.

Amerius se dirigea vers une infirmière, tandis que Rosalie héritait des regards surpris et très curieux de ses parents. Elle se racla la gorge avant de suivre Amerius et l’infirmière. Ce n’était le moment de raconter sa vie amoureuse à ses parents.

Les trois enfants avaient été placés dans une même chambre gardée par deux soldats. Ils avaient été soignés et nourris, la petite fille placée dans un berceau où elle dormait profondément. Les garçons jouaient sans bruit avec des figurines de bois qu’ils empilaient sans véritable but, le regard lointain.

L’infirmière s’approcha d’eux avant de leur murmurer qu’ils avaient de la visite. Les petits s’arrêtèrent de jouer pour regarder la jeune femme. Sur l’approbation de l’infirmière, elle s’avança sans geste brusque. Amerius s’installa dans un canapé. L’infirmière resta dans le couloir, les observant par la porte.

Rosalie s’assit sur le sol, les jambes repliées sur un côté. Le plus jeune des enfants lui tendit aussitôt une figurine. Un soldat en armure muni d’une lance. Le petit garçon ne devait pas avoir plus de cinq ans, son frère peut-être sept ou huit.

– Je m’appelle Rosalie. Et vous ?

Les enfants fixaient les jouets étalés au sol. Le plus vieux releva soudain la tête.

– Adara. Et lui c’est Megrez.

Des noms d’étoiles. Les Astre-en-terre aimaient parfois baptiser leurs enfants ainsi.

– Vous avez été très courageux. Vous connaissiez cette cachette ?

Megrez hocha la tête. Les petits avaient abandonné leurs jouets pour la regarder. Un premier contact que Rosalie avait été fière d’avoir établi. Les garçons lui faisaient confiance et elle s’en voulait de ce qui allait suivre.

– Est-ce que vous voulez me raconter ce qu’il s’est passé ?

Megrez ramena ses jambes contre son torse avant de les entourer de ses bras. Son frère trouva le courage de relever la tête.

– Il est apparu au milieu du salon avec quatre femmes à la peau doré.

Des Poupées.

– Elles leur ont fait du mal. Maman nous a dit de courir nous cacher. Il nous a vus, mais n’a rien dit.

Noé n’avait pas touché aux enfants. Il avait donc encore une certaine lucidité.

– Tu peux me le décrire ?

– Il était blond. Et le visage comme celui d’un monstre.

À cause des cicatrices, sans doute déformées par la fureur.

– Je suis désolée, mais j’ai encore une dernière question. Est-ce que le monstre a dit quelque chose ? Un mot, un nom ?

Megrez changea brusquement de position.

– Que c’étaient des traîtres.

Parce qu’ils avaient voulu le livrer aux Basses-Terres.

L’infirmière les rejoignit, annonçant la fin de l’entrevue. Rosalie lui laissa la place et quitta la chambre avec Amerius. En passant la porte, elle se retourna une dernière fois vers les garçons. Adara lui adressa un signe de main.

– Tu as été formidable, lui dit Amerius.

– Je n’ai pas fait grand-chose. Je les ai juste aidés à mettre le méchant en prison.

Elle fut tout à coup préoccupée.

– Est-ce que leur témoignage est recevable ? Et surtout suffisant ?

– Je pense que oui. Cependant, cela ne nous dit toujours pas où se trouve Noé, et c’est là que quelque chose de plus matériel pourrait nous aider.

À l’accueil, ils apprirent que les parents de Rosalie étaient retournés à la chambre qu’on leur avait prêtée.

– Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Elle et Amerius avaient emprunté le sentier menant au lac.

– Attendre, j’en ai bien peur. Nous ignorons où se trouve Noé. Il est déjà miraculeux que soyons certain qu’il se trouve maintenant.

– Attendre, soupira Rosalie.

– Galicie va envoyer ses meilleurs espions parcourir le pays. Ils vont le trouver, j’en suis certain.

– S’il n’est pas trop tard.

Rosalie ramassa un galet sur la rive et le jeta dans le lac. Il fit deux ricochets avant de disparaître sous la surface. Amerius tenta sa chance, mais n’eut droit qu’à un plongeon pataud.

– Reste au palais, s’il te plaît. Je sais que Noé nous a démontré ce matin même que n’y étions pas à l’abri, mais Galicie a fait déployer des détecteurs de magie et renforcer les patrouilles. Je serai inquiet de te savoir à ton appartement. Et tu seras avec tes parents.

Rosalie laissa échapper un rire.

– Tu pouvais aussi dire « avec moi ».

Elle se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa, les mains accrochées à son manteau. Elle sentit le sourire d’Amerius contre le sien. Un brusque souffle d’air glacé les poussa à s’en retourner vers le palais.

– Et pour La Bulle ? Comment on justifie notre absence ?

Bien que la jeune femme ait encore du mal à croire qu’elle avait un travail.

– Ils sont habitués à mes disparitions soudaines. En ce que te concerne, je dirais que tu es malade.

Ils traversèrent plusieurs ailes du palais sans que Rosalie ne sache qu’elle était leur destination. Un escalier à la rambarde ouvragée caché derrière un mur les mena dans un couloir sans décoration. Des portes aux sommets arrondis s’alignaient sur la droite. Amerius se dirigea vers la plus lointaine. Il sortit une petite clé de sous l’élégant tapis déposé devant le pas de porte. Un détail incongru pour un palais qui fit rire la jeune femme. Amerius ouvrit et s’écarta pour qu’elle entre la première.

Rosalie découvrit une chambre presque aussi vaste que son appartement. Le mobilier était simple, mais fait de bois noble. Un baldaquin de soie rouge surmontait le lit, faisant face à une bibliothèque et un bureau. Dans le fond, une large baie vitrée permettait d’accéder à un balcon érigé devant une roseraie.

– C’était ma chambre quand je vivais au palais. Et elle l’est restée. J’y suis chez moi lorsque le besoin s’en fait ressentir.

– C’est très isolé.

Ils n’avaient croisé personne en venant.

– Cette aile sert normalement à accueillir les invités de moindres importances. Comme il n’y en avait que rarement, j’ai demandé à venir ici, par souci de tranquillité.

Il avait posé mon manteau et son haut-de-forme sur un canapé. Sa canne trouva sa place entre une armoire et une commode. Rosalie ouvrit la baie vitrée et s’avança sur le balcon. La roseraie avait été agrémentée d’hellébores aux nuances pourpres, afin de rester en fleur même l’hiver.

– Si on m’avait dit ça.

Amerius la rejoignit et l’entoura de ses bras. Rosalie appuya son dos contre son torse. Ils admirèrent la vue sans rien dire, jusqu’à ce que le coucher de soleil ne les fasse rentrer.

Ils s’installèrent sur le canapé et Amerius lui raconta son enfance au palais, très nuancée entre déboires, craintes et un long apprentissage fastidieux mais enrichissant.

Un domestique leur apporta de quoi manger, non sans jeter discrètement un œil dans la pièce pour tenter de savoir à qui était destiné le second plateau.

Ils mangèrent et reparlèrent, puis vint un moment où ils en eurent assez de discuter. Amerius tira les rideaux du baldaquin pour ne laisser plus qu’eux.

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