Chapitre 33

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Palais royal, 8h23, 4 nafonard de l’an 1900.


Au lendemain, des lueurs écarlates étaient visibles dans les jardins du palais. Des dispositifs de détection de magie industrielle, faits à partir de cette même discipline. Comme pour les lanternes rouges des commerces, les cubes d’acier se mettaient à brailler et clignoter en cas d’intrusion.

Ces lumières réveillèrent Rosalie un peu après huit heures. Elles se reflétaient sur le tissu du baldaquin, en accentuant la teinte elle aussi couleur de feu.

La jeune femme se tourna vers Amerius, encore endormi. Elle passa une main dans ses cheveux lisses, qui tombaient devant ses yeux, débarrassés de la fine couche de cire qu’il y appliquait.

Rosalie repoussa les draps et quitta le lit. Elle n’eut d’autre choix que de remettre ses vêtements de la veille, étalés sur le sol de manière hasardeuse.

Elle s’empara d’un livre dans la vieille bibliothèque d’Amerius et se réfugia dans le fauteuil qui faisait face à la baie vitrée. Elle se perdit dans le récit d’un explorateur de fiction, jusqu’à ce que le bois du lit se mette à craquer. À travers les rideaux, Rosalie vit Amerius s’étirer et se redresser. Sa tête pivota plusieurs fois, sans doute à sa recherche.

Il s’extirpa à son tour du lit avant de s’habiller et de la remarquer. Il la rejoignit sur le fauteuil voisin, après l’avoir embrassé. Les amants eurent à peine le temps de se parler que l’on frappa discrètement à la porte de la chambre.

Amerius partit ouvrir, une expression contrariée sur le visage. Il entrouvrit la porte et discuta avec quelqu’un que Rosalie ne vit pas.

Le battant refermé, il acheva de s’habiller.

– Est-ce que tout va bien ?

– Galicie me convoque pour une réunion d’urgence. Les espions viennent de rentrer de leur nuit de fouille avec des rapports pleins les bras. Nous devons faire le tri, ainsi que le point sur les interrogatoires des magiteriens et décider quoi faire pour garantir la sécurité du pays. Et peut-être contacter nos homologues de l’Union. Tenter de joindre nos agents infiltrés aux Basses-Terres sera sans doute également à l’ordre du jour.

Il lui prit la main.

– Je ne sais pas si on se reverra avant demain matin. Ce genre de réunion peut parfois même nécessiter de dormir entassés dans les salons juste à côté, pour être au plus proche des informations fraîchement arrivées.

Rosalie essaya de l’imaginer en conseiller de guerre.

– Tu as déjà participé à ce genre de réunions exceptionnelles ?

– Pas vraiment. Mais des normales, oui beaucoup, je me suis même déjà rendu à deux sommets de l’Union.

La jeune femme était abasourdie.

– Je ne pensais pas que… Je croyais que tu n’étais que pupille du roi ?

– C’est le cas. Mais les tensions avec les Basses-Terres avaient commencé bien avant notre naissance, et j’y avais déjà reçu une éducation de chef d’état. D’autant que mon père biologique a en partie connaissance de ma nouvelle situation. Tu comprends en quoi je suis important ?

Rosalie avait un goût amer en bouche.

– Tu es une victoire morale. L’enfant héritier retourné contre les siens.

Amerius hocha la tête.

– Et crois-moi que la Cie-Ordalie aime le faire savoir.

Il se leva et l’embrassa. Elle le retint plus longtemps et ce fut le retour du domestique qui les interrompit.

Rosalie trouvait écœurante la manière dont la reine et la Cie-Ordalie le percevaient. Elle-même était en un sens manipulée par Noé, dont elle était la raison de ses choix. Mais Amerius avait toujours été l’instrument des plus puissants que lui.

Son amant lui amena le plateau de petit-déjeuner apporté par le domestique.

– Tu ne manges pas avec moi ?

– Je n’en ai pas le temps. Ce sera pendant la réunion.

Presque à regret, Rosalie s’empara de la tasse de thé fumante. Amerius récupéra sa canne et son manteau, mais la jeune femme l’appela une dernière fois.

– Je peux t’emprunter Bartold, en attendant ?

Amerius était si surpris qu’il faillit échapper sa canne.

– Bartold ? Pour quoi faire ?

– Passer chez moi. Je voudrais récupérer Léni et certaines affaires. Je ne vais pas porter la même robe pendant des jours.

– C’est trop imprudent.

– Noé aurait pu m’enlever depuis longtemps. Mais il ne l’a pas fait. Il avait pour but de me protéger, pas de m’inclure dans ses plans. Et je crois que… Avant il faisait ça pour moi, mais depuis le temps il a dû tout simplement m’oublier à cause de sa folie. De toute façon avec les Poupées je ne suis en sécurité nulle part. Alors autant me faire surprendre dans des vêtements propres.

Sa tentative d’humour n’effaça pas le pli d’inquiétude sur le front d’Amerius. Rosalie lui adressa un regard contrit.

– Fais attention, supplia-t-il.

Elle hocha la tête et se leva. Ils échangèrent un dernier baiser.

– Au fait, si tu souhaites voir tes parents, ajouta Amerius en passant la porte, ils sont logés dans l’aile voisine. Tu ne les as pas revus depuis hier après-midi.

– C’est vrai. Je ne les ai pas revus depuis hier après-midi.

Il savait qu’ils s’inquiétaient pour elle, une chose réciproque.

Ce qu’il ignorait, c’était qu’elle venait de lui mentir.

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