Chapitre 35 - 1

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Rues d'Annatapolis, 10h11, 4 nafonard de l'an 1900.

– Je ne serai pas longue.

Bartold hocha la tête depuis la place du conducteur et s'alluma une cigarette.

Rosalie traversa la rue et entra dans son immeuble. Dès la porte de l'appartement franchie, Léni lui sauta au cou avant de la marteler de ses petits poings, furieux.

– Je suis désolée, j'ai eu quelques problèmes. Mais ça va s'arranger. Toi et moi, on va aller quelque part.

La jeune femme reposa l'automate intrigué sur la table et se dirigea vers son armoire pour se changer.

Sa robe fut remplacée par une jupe-culotte qui s'arrêtait au tibia, assortie d'une chemise et d'un pull. Ses bottines devinrent des bottes hautes et son manteau délaissé pour un modèle plus léger fait de toile cirée. Seuls son écharpe et ses gants furent conservés.

Dans sa sacoche, elle glissa une gourde d'eau et des biscuits, ainsi que deux scalpels de gravure et un kit de premiers soins.

Avant de quitter le palais, elle avait ouvert la cachette secrète dans l'armoire d'Amerius. Il lui avait montré la veille – au cas où. Rosalie s'en allait vers un « cas où ». La cachette comportait plusieurs armes de défense, des couteaux et des revolvers. La jeune femme avait hésité. La dague était moins efficace, mais elle ne savait pas se servir du pistolet. Elle avait finalement pris les deux, désormais chacun passé dans sa ceinture.

Ses affaires prêtes, Rosalie cala Léni dans son écharpe et quitta l'immeuble par le jardin ; une fuite semblable à la première.

Il s'écoulerait peut-être un quart d'heure avant que Bartold ne commence à s'impatienter. Une demi-heure et il monterait prendre des nouvelles.

D'ici là, un fiacre aurait déposé Rosalie à la gare et la jeune femme n'aurait qu'à sauter dans un train qui la déposerait six heures plus tard à Menanopôle, importante ville côtière. Il lui faudrait ensuite se poser la question de comment rejoindre sa destination, où personne ne se rendait volontairement. Cela viendrait en temps et en heure.

D'ici à ce que Bartold fouille le quartier et rejoigne le palais tout en se demandant comment annoncer la nouvelle à Amerius, Rosalie aurait quatre-vingt-dix minutes de plus devant elle. Plus encore si Amerius ne pouvait pas être dérangé et si on ne pensait pas à interroger Jasmine et Pyrius.

Rosalie était accablée de remords à l'idée de les inquiéter ainsi, mais elle seule pouvait espérer arrêter Noé.

L'homme voulait la mort des magiteriens et d'Amerius, le Bas-Terrien de naissance. Ils se feraient tuer, eux et tous les vaillants soldats qui viendraient combattre, munis d'armes inadéquates – qui savait si Noé n'avait pas violé le septième amendement en fabriquant les siennes ?

Jasmine et Pyrius étaient importants pour Rosalie. Et Amerius l'était pour la Cie-Ordalie, bien plus que pour elle.

Elle était la seule que Noé écoutera. S'il avait fait tout cela pour elle, il lui resterait assez de conscience pour la reconnaître.

Ils discuteraient, elle le convaincrait peut-être et sinon... Sinon... elle ferait ce qu'Amerius avait souhaité faire.

Ce n'était pas à lui de se salir les mains.

Avoir inclus Noé dans sa vie avait été le choix d’une autre Rosalie, mais elle ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable, parce qu’elles étaient toutes les deux… Rosalie. Elles ne pouvaient pas être si différentes. Leurs choix possédaient la même source, venaient d’un même esprit.

Même si elle n'avait sans doute joué que de malchance, l’autre Rosalie avait décidé d’inclure Noé dans sa vie.

Noé qui avait souhaité que cette fois-ci, elle vive sa vie. Elle le ferait en se débarrassant de la menace qu'il représentait pour son avenir.

La jeune femme chassa les perles d'eau au coin de ses yeux et accéléra le pas jusqu'à la station de fiacres la plus proche. Des véhicules passaient régulièrement, elle n'aurait pas longtemps à attendre.

Rosalie posa un pied sur le trottoir surélevé quand elle se figea soudain.

– Rose ?

La jeune femme gémit avant de se retourner. Mona lui faisait face, une lueur inquiète dans son regard couleur de glace.

– Qu'est-ce que... que fais-tu là, ma chère ? Tu n'es pas au travail ?

Rosalie chercha le premier mensonge facile.

– Je vais chez le médecin. Rien de grave mais c'est embêtant. Et toi ? Tu as pris un congé ?

– Je vais chez une cliente. Mais je... je voulais passer te voir, ce soir. Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vues. Et... tu n'as pas l'air bien.

Un fiacre fit son apparition au loin. Rosalie monta sur la plateforme et leva le bras.

– Je vais bien. Juste de petits tracas semblables à ceux des autres.

– Une histoire de cœur ?

Rosalie aurait pu échapper un sanglot.

– Il y a de ça, oui.

Le fiacre s'immobilisa à sa hauteur.

– Je dois...

Mona la rejoignit.

– Rose, tu sais que je suis là pour toi.

La mage frissonna. C'était toujours étrange quand Mona mettait un pied dans la réalité et exprimait des sentiments. Elle avait toujours l'impression que ça ne collait pas complètement.

– Je sais. Il faut que j'y aille.

Elle serra son amie dans ses bras et monta dans le fiacre. Elle lui donna d'avance un pourboire pour qu'il se dépêche, peu importe les raccourcis.

Ils arrivèrent à la gare avec dix minutes d'avance.

Les trains pour Menanopôle passaient toutes les demi-heures et le prochain se trouvait déjà en gare. Rosalie acheta un billet auprès du contrôleur et s'installa à une place près d'une fenêtre. Dix minutes plus tard, les roues grinçaient sur les rails.

Rosalie avait pris des livres afin de s'occuper, mais tourner les pages lui semblait difficile. Son regard revenait sans cesse au paysage extérieur.

La veille, Amerius exprimait sa peur de s'attacher aux autres. Rosalie lui donnait raison en l'abandonnant. Mais ne valait-il pas mieux qu'il soit en vie ? Ou la jeune femme lui ferait perdre cette envie ?

Ça suffit, s’accabla-t-elle, il est trop tard pour les remords !

Elle reviendrait. Noé ne la tuerait pas. Elle reviendrait.

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