Chapitre 36

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Palais royal, 12h17, 4 nafonard de l'an 1900.

L'ensemble des ministres et conseillers royaux étaient rassemblés autour de la grande table ovale siégeant au milieu de la salle d'audience.

Assise en bout de table, Galicie présidait la réunion depuis une chaise à plus haut dossier que les autres. Amerius se trouvait à sa droite, à seulement deux sièges d'écart.

Comme à chaque réunion, fut-elle d'urgence ou non, chacun des trente et un convoqués y allait de son rapport et de son avis. Et comme à chaque réunion, les choses n'avaient que peu avancé.

Amerius savait que cela prenait du temps, que la sécurité du royaume ne se décidait pas sans tergiverser, mais le danger couvait, chose que Galicie n'avait pas eu l'air de saisir.

– Qu'ont donné les interrogatoires sur les magiteriens ? Savent-ils où Noé pourrait se cacher ?

– J'ai bien peur que non, soupira la ministre de la sécurité interne. Les matriarches et patriarches n'ont pas flanché malgré les photos des restes des Astre-en-Terre ou les promesses de représailles. Certains ont eu un sursaut en apprenant que les enfants allaient peut-être être confiés à des éducateurs royaux, mais pas guère davantage. Quant aux autres adultes, ils n'ont pas l'air d'être dans la confidence, mais nous ne pouvons rien affirmer.

Amerius dissimula un sourire en se passant une main sur la mâchoire. Tenir bon semblait être une qualité propre à tous les magiteriens, et pas seulement à Rosalie.

Il espérait qu'elle avait pu revenir de chez elle sans encombre. Elle avait raison sur le fait que Noé pouvait la viser n'importe où et n'importe quand, mais cet homme semblait obéir à une logique qui échappait à Amerius.

Le jeune homme se replaça sur sa chaise. Se soucier ainsi de quelqu'un lui était nouveau, mais ce n'était pas forcément pour lui déplaire. Il devrait juste veiller à ne pas trop en faire, ne pas se laisser déborder par ses nouveaux sentiments.

Les discussions autour des magiteriens se poursuivirent un moment, jusqu'à ce que la fin du sujet ne précède une pause de trois-quarts d'heure déclarée par Galicie.

Amerius mangea rapidement au buffet dressé par les domestiques avant de quitter la salle sous les yeux inquisiteurs de Galicie.

Peu lui importait son avis sur la question. Il avait envie d'une pause à l'air libre. Mais en chemin vers la rotonde extérieure, il aperçut Bartold en train de la traverser en courant, manquant de rentrer dans la fontaine de granit noir.

Amerius se pressa à sa rencontre. Son esprit toujours rationnel était un train d'être balayé par une bourrasque, porteuse des pires scénarios envisageables.

Bartold ne pouvait pas venir à lui pour ça, il y avait forcément une autre explication.

Ce fut pourtant un regard paniqué et désolé que le garde du corps posa sur lui.

– Merde, je suis désolé, je savais pas dans quelle foutue salle d'audience t'étais.

– Bartold. Qu'est-ce qu'il y a ?

Ne le dis pas, ne le dis pas.

– J'ai essayé, Amerius. J'ai fouillé le quartier, mais elle y était plus.

La main trembla autour de sa canne.

– Qui ? Qui a fait ça, dis-moi ce que tu as vu !

Bartold eut un léger mouvement de recul avant de secouer la tête.

– Tu comprends pas, Amerius. On l'a pas enlevé. Ta copine s'est barrée.

Amerius resta figé. Qu’est-ce qu’il venait de dire ? Que Rose s’était…

Oui, c’est ça.

Partie. Volontairement. Rosalie avait pris la fuite avec une idée en tête. Amerius n'avait pas su dire qui de la peur ou de la colère était née la première. À moins que ce ne fût le sentiment de trahison.

De toutes les possibilités, après la confiance qu'ils avaient bâtie, il n'avait pas songé à celle-ci. Elle lui avait menti avant de le laisser en arrière. Lui qui avait peur d’être de nouveau abandonné en était venu à croire que ça n’arriverait plus jamais.

Moi, je ne suis pas partie.

C’était ce qu’elle lui avait dit.

Qui savait ce qu'elle s'apprêtait à faire, et surtout, où elle se rendait ?

Cela avait forcément un rapport avec Noé.

Avait-elle compris où l'imposteur se cachait avant d'aller seule à sa rencontre ?

Amerius ne pouvait pas la laisser faire ça, il devait la retrouver, ne serait-ce que pour exprimer franchement son sentiment pour la première fois de son existence. Et parce qu’il ne voulait pas la perdre.

Un instant, il se demanda si cela pouvait être de sa faute.

– Hé ho ! Amerius, réveille-toi ! On fait quoi, là ?

Le jeune homme reprit ses esprits, face à un Bartold encore plus perdu que lui.

Retrouver de la rationalité, penser comme Rosalie pour la retrouver. Si elle avait compris où se trouvait Noé, c'était parce qu'elle avait eu une nouvelle information en sa possession. Amerius avait beau se repasser les conversations récentes, celles entre eux ou auxquelles il avait assisté, rien ne le laisser supposer d'un indice. C'était donc qu'elle avait parlé à d'autres personnes. Des personnes qui avaient dû côtoyer Noé.

Amerius fit volteface vers le palais.

– Amerius ?!

Bartold le talonna.

Jasmine et Pyrius. Ils avaient rencontré leur imposteur, certes brièvement, mais peut-être assez pour que Rosalie en tire quelque chose.

Amerius gagna leur chambre au pas de course. Il frappa plusieurs fois et la porte s'ouvrit sur Jasmine BasRose, dont les yeux brillaient d'inquiétude, parce qu’ils savaient déjà.

Le jeune homme déglutit. Le regard de sa mère biologique avait été semblable, quelques jours avant qu'elle ne se fasse tuer – la seule image d'elle qu'il avait conservée.

– Amerius ?

– Puis-je entrer ? C'est urgent.

Jasmine s'effaça pour le laisser passer. Pyrius Ocrepâle-BasRose les rejoignit, sa main ramenant déjà ses cheveux blonds en arrière de manière nerveuse.

– Est-ce que Rosalie est venue vous voir récemment ?

Ses parents acquiescèrent.

– Hier soir, dans la nuit.

Elle lui avait donc menti. Sa gorge se noua.

Pyrius signa son inquiétude.

– Je crois que nous avons un problème.

Amerius les pria de lui raconter leur conversation. Comme il s'en était douté, Noé avait été le cœur du sujet.

Ainsi que sa possible cachette à la Mer de Rouille.

– Nous avions fini par le comprendre, bredouilla Jasmine, mais Rosalie a dit qu'elle transmettrait l'information et que... nous pensions qu'une opération se préparait déjà. On nous a interdit de sortir d'ici, on ne pouvait pas savoir !

Jasmine s'effondra, les joues débordantes de larmes. Pyrius la serra dans ses bras, le visage enfoncé dans les boucles brunes de sa femme.

– Quand va-t-on enfin laisser notre fille tranquille ?!

Jasmine n'arrêtait pas de pleurer, une situation un peu étrangère à Amerius, mais il souhaitait retrouver Rosalie tout autant qu'elle. Il devait les aider. Il savait à quel rester à attendre pouvait être insupportable.

– Venez avec moi.

Les parents de Rosalie le suivirent dans le palais – toujours accompagnés de Bartold, qui semblait encore plus égaré qu'eux.

Amerius gagna la salle d'audience juste au moment où Galicie s'apprêtait à entrer.

– Galicie !

Elle se tourna vers lui, mais ce furent Jasmine et Pyrius qu'elle sonda longuement.

Le jeune homme n'attendit pas qu'elle la pose la question pour lui raconter toute l'histoire.

À la fin, le front de la reine était devenu une veine palpitante de fureur. Elle qui détestait les magiteriens venait de trouver une raison supplémentaire de renforcer sa haine.

Elle disparut dans la salle. Les ordres fusèrent en criant, les ministres de la sécurité et le commandant des armées sortirent en trombe. Les espions et stratèges de guerre furent convoqués, un plan établi pendant qu'on rassemblait les troupes.

Amerius, Jasmine et Pyrius s'étaient tenus en retrait dans le couloir, le premier souhaitant connaître les détails du plan. Un convoi armé allait se rendre sans délai vers la Mer de Rouille. Amerius ne demanda pas la permission à Galicie, ni si Jasmine et Pyrius désiraient venir. Le jeune homme se tourna vers Bartold.

– Prépare notre fiacre longue distance.

L'homme de main opina du chef et fonça en direction des entrepôts de véhicules, au pied de la colline où se dressait le palais.

Amerius demanda aux parents de Rosalie de se vêtir, tandis qu'il allait lui-même se changer.

Il jeta son chapeau sur le lit et troqua sa canne contre une épée à une fine lame, sanglée à sa ceinture. Il voulut prendre également son revolver pour de découvrir qu'il en manquait un dans sa cachette, ainsi qu'une dague. Il soupira. Rosalie.

L'autre pistolet passé à sa cuisse, Amerius passa un gilet renforcé de cuir épais par-dessus sa chemise, ainsi qu'un manteau imperméable et des gants. Ses bottes de tous les jours devinrent un modèle plus court à lacets, fait pour courir et s'enfoncer dans la boue.

Quelques minutes plus tard, Amerius traversait les jardins en compagnie de Jasmine et Pyrius.

Bartold les attendait, assis à sa place sur le fiacre, habillé d'une tenue de combattant semblable à celle d'Amerius.

Dans le hangar, les préparatifs battaient leur plein. On chargeait les hommes et les armes, ainsi que des vivres et du matériel. Une centaine de soldats avaient été rassemblés et un détachement supplémentaire suivrait sans doute dans les heures qui suivaient. Rejoindre la Mer de Rouille nécessiterait dix heures de voyage, sans compter les arrêts aux postes militaires pour changer les chevaux.

Amerius fit monter les BasRose dans le véhicule avant de s'asseoir face à eux.

Il allait fermer la porte, mais un capitaine de la garde l'en empêcha.

– Vous ne pouvez pas venir. Ni vous ni eux, ordre de Sa Majesté.

En temps normal, Amerius aurait argumenté. Il n'en avait ni le temps ni l'envie.

– Dites à Galicie que si elle souhaite m'en empêcher, elle devra nous courir après et sauter sur le fiacre en marche.

La reine débarqua à cet instant, vêtue d'une tenue de cuir identique.

– Galicie. Tu m'excuseras, mais en ce qui concerne ma personne tu n'as pas ton mot à dire. Nous partons, et d'ailleurs, ce sera avec de l'avance.

Sur ces mots, il claqua la porte au visage sidéré de la reine avant de toquer contre la vitre conducteur.

– Démarre, Bartold.

Les chevaux s’élancèrent en trombe, en même temps que l’homme de main hurlait d'ouvrir les portes.

Une fois assuré qu'ils furent lancés sur la route, Amerius se détourna de la fenêtre.

Il se retrouva alors face aux parents de Rosalie, qui le fixaient, incrédules.

– Mais qui êtes-vous ?

Une scène qui lui en rappela une autre.

Il soupira.

– C'est une longue histoire.

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