Chapitre 38

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Mer de Rouille, 00h22, 5 nafonard de l'an 1900.

Les hommes de Galicie se déployèrent le long de la falaise. Une équipe mit en place une sécurité pour accéder au boyau et une vingtaine d’hommes ne tardèrent pas à investir la caverne, avec pour consigne de rassembler tout ce qu’elle contenait et de le sortir de là. Une partie des soldats remonta les effets les plus légers, tandis que d’autres cherchaient un autre accès pour pouvoir faire passer le mobilier et la plateforme circulaire.

À l’extérieur, Amerius fit un compte-rendu de la situation à Galicie. Elle hocha la tête avant d’entrer dans la caverne, qu’elle souhaitait voir d’elle-même. Elle replaça dans son dos sa queue-de-cheval haute dérangée par le vent, et disparut vers le précipice.

Amerius rejoignit Bartold et les parents de Rose. Ils s’étaient rassemblés autour de l’un des braseros érigés pour éclairer les lieux. L’homme de main faisait les cent pas, attendant les ordres. Il ignorait tout ou presque de cette histoire, et n’avait pas saisi l’entièreté des explications d’Amerius. Jasmine et Pyrius se tenaient serrés l’un contre l’autre devant les flammes, assis sur un banc pliable donné par un soldat. Le jeune homme se laissa tomber à côté d’eux, à même le sol glacial, Léni encore accroché à son épaule. Il n’y prêtait de toute manière pas attention. Il se débarrassa de son épée qui le gênait et remonta vers lui ses jambes écartées, avant d’y appuyer ses coudes. Ses mains finirent dans sa chevelure humide de sueur. Il s’efforçait de ne pas paniquer, à l’image des parents de Rose, qui fixaient le feu sans le voir, leurs visages parés d’une expression meurtrie et interdite.

Ils ne devaient pas réaliser ce que cela signifiait. Amerius, si. Il avait compris et vécu la magie de Noé, celle qui permettait de voyager dans le temps. Qui savait où et surtout quand Mona avait emmené Rosalie ? Qui savait si selon la réponse, la jeune femme n’était pas perdue, chassée de cette réalité-ci ?

Non. Amerius s’y refusait. Il la ramènerait, dût-il y passer la prochaine décennie. Il vivait enfin une chose d’inespérée avec quelqu’un et se battrait pour la garder. Il se rendait compte qu’il lui avait déjà pardonné.

Le cri d’un soldat lui fit relever la tête. Un autre accès avait été trouvé, un boyau plus grand qui débouchait dans une série de grottes imposantes. Un réseau accessible via un tunnel dissimulé par des blocs de roches.

Amerius se leva et rejoignit le soldat.

– Y a-t-il d’autres cavernes qui semblent habitées ?

– Trois. Agencées comme des archives.

– Donnez l’ordre de ne toucher à rien.

L’homme partit prévenir ses collègues, distançant Amerius, qui le suivait. Le choc désormais passé, il voulait agir. L’endroit servait de laboratoire et de refuge à Noé, et Amerius voulait mettre la main sur ses recherches à propos du temps avant les autres. De tels documents, au cœur même de son projet, devaient avoir été conservés et soigneusement rangés, et le rapide état des lieux de la grotte principale n’avait rien donné.

Amerius ne voulait pas prendre le risque de voir Galicie enfermer tout cela dans un coffre-fort.

Il arriva à proximité du tunnel quand deux silhouettes arrivèrent dans son dos.

– Laissez-nous vous aider, supplia Jasmine. Vous cherchez de quoi la ramener, c’est ça ?

Amerius hocha la tête et les précéda dans la galerie. Ils suivirent les soldats sur cinquante mètres de formations naturelles, aux parois patinées. De l’eau avait dû provoquer cela. La géologie n’était pas ce qui avait le plus fait partie de l’éducation du jeune homme, mais il lui semblait des millénaires plus tôt ces falaises n’existaient pas, avant d’être poussées et remontées par un mouvement de plaques. Des rivières souterraines avaient dû creuser la roche, pour ensuite se jeter dans la mer.

Les trois salles d’archives se situaient les uns après les autres, gardées par des soldats. Les cartons alignés sur les étagères avaient été déplacés, mais pas emmenés.

– Que personne n’entre, ordonna Amerius. Je dois tout inspecter.

Les hommes opinèrent du chef, non sans un coup d’œil étonné pour l’automate suspendu à son épée. Amerius se dépêcha de passer les premiers cartons en revue. Il devait faire vite avant que Galicie ne le surprenne.

Jasmine et Pyrius ne lui demandèrent pas ce qu’il fallait faire. Ils éventrèrent presque les cartons, déplaçant la poussière sans se soucier qu’elle se colle à leurs mains ou leurs vêtements. Après un quart d’heure, la première salle ne donna rien. Amerius et Jasmine partirent explorer la seconde, pendant que Pyrius repassait les premiers documents en revue, au cas où ils auraient manqué quelque chose. Léni resta avec lui.

Amerius dut se forcer à ralentir sa lecture. Il avait un besoin dévorant d’une solution, mais elle risquait de lui échapper s’il ne se concentrait pas. Le jeune homme frotta ses paupières lourdes. Ses yeux le brûlaient, son corps rongé d’anxiété lui hurlait de dormir. Il ne pouvait pas, pas en sachant que Rosalie attendait d’être secourue.

Amerius se passa une main sur le visage et continua, avalant du regard les mots et équations qui défilaient devant lui.

– Ma fille a de la chance de vous avoir.

Amerius releva la tête vers Jasmine, surpris. Ses yeux brillaient d’un besoin de pleurer, mais elle se retenait. Une mère aimante, qui traversait un pays pour retrouver sa fille. Un amour maternel inconnu du jeune homme.

– Je pourrais en dire autant de vous.

Elle se tenait assise au milieu des cartons, l’ourlet de sa robe trempé par une flaque d’eau à proximité.

Jasmine lui sourit, bien que faiblement.

– Vous l’aimez ?

Amerius sursauta avant de relever la tête vers le vide qui lui faisait face.

S’il aimait Rosalie ?

Il réalisa qu’il ne se l’était jamais demandé. Poussé à la fois par ses envies et son manque d’expérience sentimentale, il avait vécu les événements comme ils venaient. Au manoir, Rosalie lui avait fait comprendre que son attirance était réciproque et il l’avait embrassé, quitte à se tromper.

Neuf mois après son arrivée à La Bulle, Amerius avait cessé de simplement voir cette jeune femme avec qui il échangeait plusieurs heures par jour, pour la regarder. Ce qu’ils avaient vécu lui avait permis de la connaître encore mieux sur une plus courte période, lui confirmant qu’elle était différente des autres.

Lui-même avait depuis plus que changé.

Il voulait la revoir. Parce qu’elle lui donnait ce qui lui manquait.

De cela, la réponse lui paraissait évidente.

Il ouvrit la bouche, mais l’arrivée précipitée de Pyrius l’interrompit.

Le magiterien tenait un imposant carton sous le bras, ainsi qu’un papier dans l’autre main. Il brandit sa découverte sous le nez d’Amerius, le pressant de regarder. Le jeune homme reconnut la forme d’une enveloppe. Ce qu’il ne s’expliquait pas, c’était que son nom et son prénom étaient inscrits au dos. Il la retourna, dévoilant une ligne de symboles sous le rabat cacheté. Une équation magique qu’il ne connaissait pas, mais qui après examen, devait servir à préserver le papier des effets du temps.

Afin que le message lui parvienne.

– Rose.

Il reconnaissait son écriture, pour toutes les fois où elle avait posé sur son bureau des feuilles noircies d’équations et d’annotations.

Amerius s’empressa de déchirer l’enveloppe, mettant au jour une lettre. Il lut les paragraphes sans y croire, sans réaliser qu’ils avaient été rédigés si longtemps auparavant, que Rosalie vivait encore à une époque, tout en s’étant éteinte à celle-ci.

Elle n’avait pas abandonné. Elle avait agi pour les retrouver.

Dire que dans son empressement, il avait failli rater cette lettre !

Amerius releva la tête.

– Donnez-moi le carton.

Pyrius le posa devant lui. Le jeune homme l’ouvrit, dévoilant le dessous du couvercle marqué de formules de préservation. Les dizaines de documents entassés dans la boîte étaient eux aussi recouverts de mots et d’équations. L’écriture de Rosalie était venue se mêler à une autre, plus étroite et nerveuse.

– Amerius ! pressa Jasmine.

Il regarda les parents de Rose, sans pouvoir retenir un sourire.

– C’est Rose. Elle a trouvé de quoi revenir. Et elle nous dit comment faire.

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