Chapitre 48 - 1

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Palais royal, 7h13, 13 de jerve de l'an 1901.

Le départ des convois devait avoir lieu dans quelques heures. Les magiteriens coupables iraient à la prison d’Annatapolis située derrière les collines, tandis que les pierres de roche lunaire se rendraient dans un lieu tenu secret. C'était ce convoi-ci qu'Amerius devait escorter.

Le plus risqué des deux. Il ne serait pas seul, mais Rosalie nourrissait quand même de l'inquiétude.

Les opérations seraient dirigées et surveillées depuis un local des services secrets, qui s'assureraient du bon cheminement des convois grâce à des sphères gravées permettant la transmission de l'image.

Rosalie y assisterait. Amerius s'était débrouillé pour qu'elle soit en sécurité dans ce local, arguant qu'elle pouvait encore constituer une cible pour Maguel. La reine n'avait pas été dupe, mais avait cédé. Alors tant qu'à faire, Jasmine et Pyrius seraient aussi de la partie.

Rosalie sut que le moment était venu quand Amerius s'éclipsa dans la salle de bain, les bras chargés de tissu noir.

Il ressortit quelques instants plus tard, habillé de l'uniforme de cuir sombre des combattants et débarrassé de sa canne et son haut-de-forme.

La jeune femme le fixa, cherchant des points communs avec l'Amerius qu'elle connaissait.

– Qu'y a-t-il ?

La Bulle Mécanique, c'est juste un passe-temps pour toi, pas vrai ? Parce qu'à te voir comme ça, on a du mal à imaginer que tu fabriques des jouets.

Amerius hocha la tête d'un air entendu.

– J'imagine que c'est une manière de compenser la pression royale.

– Parce que diriger une entreprise, ça, ça n'a rien d'une pression.

– Ce n'est pas ce que je...

Rosalie eut un petit rire.

– Je sais, Amerius. Je sais. Tu as encore des progrès à faire en second degré.

Il afficha une moue confuse qui ne fit qu'ajouter à l'hilarité de Rosalie. Elle se leva du lit où elle s'était étendue pour lire et tendit les bras vers lui.

Elle réajusta les cols de son manteau et de sa chemise, ainsi que son gilet de cuir, comme une tentative pour tromper sa nervosité. À ce moment-là, le regard d'Amerius se perdit dans le vide.

– Amerius ?

Il secoua la tête avant de donner l'impression de vouloir s'exprimer, pour finalement se raviser.

– Ce n'est rien.

Les dernières paroles d'encouragement échangées, Rosalie fut menée à un fiacre où attendaient déjà ses parents. Les membres des services secrets leur bandèrent les yeux avant de refermer la porte.

Protégés d'Amerius ou pas, le principe d'un local secret était qu'il devait le rester.

Rosalie estima leur temps de voyage à une heure, mais soupçonnait le conducteur d'avoir fait des détours et d'être revenu sur ses pas. Peut-être même n’avaient-ils jamais quitté le palais.

Les agents des services secrets ne leur rendirent la vue qu'une fois à l'intérieur. Une salle sans fenêtres, aux murs et au sol sans aucun autre ornement que le béton brut.

En plus des trois qui avaient escorté les BasRose, dix agents se tenaient là, regroupés autour de plaques de verre installées sur l'un des murs. Des équations étaient gravées dans le matériau, mais leur brillance intermittente indiquait qu'elles n'attendaient que l'allumage des sphères pour retransmettre l'image.

Rosalie et ses parents furent installés en face, sur un canapé ; Léni avait lui revendiqué l'accoudoir.

Le sous-sol fut condamné de l'intérieur par l'un des agents.

L'imposante radio qui trônait au milieu d'une table ronde se mit soudain à crachoter.

– Local Bêta, vous me recevez ?

C'était la voix d'Amerius, à qui l'un des agents s'empressa de répondre.

– Nous vous recevons.

Je lance la liaison avec les sphères. Veuillez confirmer l'acquisition de l'image.

La moitié des plaques de verre se mit à clignoter. Les équations disparurent pour montrer la situation en direct.

Les images montraient toutes des wagons de train. Bien plus hauts que ceux destinés aux transports de marchandises et nombreux, peut-être une centaine, mais les sphères ne devaient pas tout montrer.

Rosalie avait cru comprendre que le convoi serait par fiacres, avant de se rendre compte qu'elle n'en avait jamais reçu confirmation et qu'au vu du nombre de pierres, ce n'était de toute façon pas envisageable.

– Liaison établie, fit l'agent dans la radio.

Bien. Le trajet sur les rails sera improvisé, ne nous perdez pas de vue. Vous piloterez les sphères à distance.

– À vos ordres, monsieur.

L'homme pressa les autres qu'on exécute les ordres d'Amerius.

Rosalie n'en revenait toujours pas que tout le monde au palais le traitait comme s'il était bien le fils du roi. Si Galicie VII succombait sans héritier, est-ce qu'il pourrait être désigné comme successeur ? La reine n'avait ni frère ni sœur et ses plus proches cousins avaient depuis longtemps perdu tout lien avec la Cie-Ordalie.

Sauf qu'Amerius n'accepterait pas. Il tenait trop à La Bulle, et à sa vie. Rosalie voyait bien que parfois, seconder la reine lui pesait. D'autant que la jeune femme n'était pas certaine de vouloir le suivre dans cette vie. Si le souverain ou la souveraine avait le droit de s'unir à qui il souhaitait, cela pouvait être un fardeau si l'autre n'était pas issu de ce monde.

Un quart d'heure passa, à coordonner les équipes sur le terrain, puis ce fut au convoi des prisonniers d'établir une communication. Eux voyageraient bien par fiacres, mais blindés.

À dix heures précises, les départs furent autorisés.

Le train siffla avant de s'engager sur les rails dans une puissante accélération. De leur côté, les fiacres s’élancèrent depuis l'intérieur d'un entrepôt. Ils étaient tirés par des dizaines de chevaux, et suivit de près par des soldats eux aussi menés par de robustes pur-sang.

Ils avaient beau être de sa famille, Rosalie ne jetait que des coups d'œil distraits aux fiacres. Toute son attention était tournée vers le train, parce qu'il renfermait la magie, si indispensable, si précieuse, et parce qu'Amerius se trouvait à bord.

L'image filait à toute vitesse. Les sphères suivaient, parfois avec difficulté, notamment lorsque le train changeait de voie sans prévenir.

Chaque intersection des rails était surveillée par des soldats et marquée par des détecteurs de magie, sans certitude que le train se présente. Rosalie n'avait qu'à peine le temps de les apercevoir que le train les dépassait déjà.

Passage du train confirmé à l'intersection 16.B, RAS.

Pendant quinze minutes, les annonces s'enchaînèrent, aussi bien concernant le train que les fiacres.

Des agents estimèrent l'arrivée des véhicules à la prison dans quinze minutes et trente-sept secondes ; neuf et vingt-trois secondes pour le train.

Celui-ci quitta les rails contournant la capitale pour la franchir de plein fouet. Les rails du centre-ville n'étant pas assez larges, il fit demi-tour par une autre voie avant de se diriger vers les collines, à l'opposé des fiacres.

Un trajet sans queue ni tête, décidé au dernier moment par Amerius et le conducteur. Un moyen d'égarer Maguel et de réduire sans champ d'action.

Passage du train confirmé à l'intersection 23.F-C, RAS. Trois minutes et huit secondes avant arrivée.

À l'approche de la plus basse colline de la ville, le train freina sur les rails, seulement quelques secondes après l'échéance. Rosalie le vit disparaître dans un tunnel, après quoi les sphères se coupèrent brusquement.

Arrivée confirmée, annonça Amerius.

Six minutes et douze secondes plus tard, une voix fit une annonce similaire au sujet des prisonniers.

Rosalie fut soulagée de savoir Amerius indemne, mais n'était pas pour autant rassurée.

Une petite voix lui murmurait que ça avait été trop facile.

Maguel avait passé des années, peut-être des décennies, à fabriquer et élaborer. Elle le voyait mal renoncer.

Ses parents s'étaient levés et se permettaient de demander des nouvelles des magiteriens. Un agent consentit à leur répondre, mais resta vague.

Rosalie n'avait pas bougé de son siège. Léni sauta sur ses genoux, essayant d'attirer son attention en agitant les bras, mais la jeune femme ne le regardait pas.

Elle n'arrivait pas à se défaire de cette impression.

Un soudain fourmillement à son omoplate renforça sa conviction.

Rosalie porta sa main dans son dos, sans succès. La sensation devint une brûlure difficile à ignorer.

Elle chercha à l'atteindre, s'agitant sur le canapé au point de faire tomber Léni, qu'elle rattrapa de justesse.

– Rose ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

Ses parents s'étaient rendu compte de sa détresse. Jasmine s'accroupit devant elle, mais son père regardait déjà son dos.

– La magie... quelque chose ne va pas !

Plusieurs agents s'étaient retournés vers elle, sa mère lui demandait de s'expliquer, mais Rosalie ne l'entendait pas, son dos la brûlait et elle la sentait venir droit sur eux, depuis la gauche, où son regard se porta.

Ses parents se tournèrent vers le mur, un geste qui les éloigna de leur fille.

Rosalie n'eut pas le temps de se saisir d'eux.

La vague blanche traversa le local à toute allure avant de les engloutir.

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