Chapitre 48 - 3

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***

– Lève les mains !

Amerius aurait voulu tirer sans attendre, histoire de faire taire une bonne fois pour toutes cet éclat arrogant dans ses yeux. Mais Galicie le voulait vivant.

Stanford obéit sans protester. Amerius le maintenait en joue, attendant que les soldats se rassemblent.

– Toute résistance est inutile. Une cinquantaine d’hommes se tient ici, et des renforts sont en chemin.

L’autre le fixait comme un insecte indésirable.

Amerius ne pouvait contenir la colère qui déformait ses propres traits ; et la douleur. L’accident de train n’avait pas été prévu et il s’était tordu la jambe. La tête du conducteur de la locomotive avait frappé le tableau de bord. Amerius avait eu du mal à sentir son pouls.

Le reste du train n’était heureusement pas seulement vide de roches, mais aussi d’hommes. Ces vies-là n’avaient pas été fauchées.

Galicie et Amerius n’avaient pas été dupes, ils s’étaient bien doutés que Maguel Stanford avait d’autres ressources dont sa fille n’avait pas connaissance. Ce train et ces fiacres n’avaient été destinés qu’à l’appâter et le faire puiser dans ses moyens.

Ils avaient imaginé plusieurs scénarios, mais que Stanford fasse dérailler le train n’en avait pas fait partie. Amerius redoutait de connaître les autres armes à sa disposition.

D’autant que Rose avait eu connaissance du danger. Amerius ne voyait qu’une seule explication à cela : Stanford avait changé la réalité, pour une où il avait connaissance du trajet du train. Sauf qu’il n’était pas assez remonté dans le passé – ou allé assez loin dans le futur – pour savoir que tout n’était que mascarade.

Une mascarade composée de plusieurs dizaines de soldats, qui seraient bientôt deux centaines.

Stanford aurait dû paniquer. Au lieu de quoi, il restait serein, bien trop au goût d’Amerius.

– À genoux. Mains derrière la tête.

Le mage ne réagit que lorsqu’Amerius désigna le sol, où l’homme se laissa tomber, sa rage tranquille toujours dirigée vers lui. Celui-ci fit signe aux soldats de s’avancer, sans gestes brusques. Revolvers et lances étaient tous pointés vers ce seul homme.

En s’approchant, Amerius put constater que son état avait empiré. Ses lèvres étaient craquelées de gerçures écarlates, son œil gauche avait pâli, comme devenu aveugle. Sous l’exosquelette de métal qui recouvrait ses bras, on distinguait la peau crevée d’abcès, qui tenait à peine sur les os.

Le jeune homme fronça soudain les sourcils, cherchant à distinguer ce qui était coincé dans les oreilles de Stanford. Des boules jaunes, semblables à celles à base de cire utilisées par les ouvriers d’usine pour se protéger du bruit.

Qu’est-ce qu’il fabriquait avec cela ?

Leurs regards se croisèrent, au moment où les doigts de Stanford tapèrent sur son exosquelette.

– À terre ! Bouchez-vous les…

Amerius n’eut pas le temps de les prévenir qu’un son bas venait d’envahir la clairière. Le jeune homme avait mis à temps ses mains sur ses oreilles, mais ce ne fut pas le cas des soldats qui s’effondrèrent pour la plupart au sol.

Stanford avait relâché le bruit comme on lance une bête affamée. Les vibrations secouaient le corps d’Amerius, s’abattaient sur ses tympans et son oreille interne, le déséquilibrant. Il lâcha son arme, devenue impossible à tenir. Il dut se faire violence pour ne pas retirer ses bras tremblant de ses oreilles, dont il sentait un liquide chaud s’écouler.

Certains soldats n’avaient pas eu cette chance, ils avaient sombré dans l’inconscience, des auréoles écarlates autour du nez et des oreilles. Les renforts étaient arrivés, mais s’étaient arrêtés à une centaine de mètres avant de reculer, eux aussi courbés en avant.

Amerius comprit que ses jambes venaient de céder lorsqu’il tomba sur le dos. Il se retourna sur le ventre et rampa sur les coudes pour tenter de s’éloigner de Stanford.

Mais celui-ci l’avait déjà contourné. Amerius releva la tête pour découvrir le revolver pointé sur lui. Le mage parla, mais le jeune homme ne l’entendait pas à cause des vibrations.

Amerius ne baissa pas les yeux. Si cette ordure devait l’abattre, ce serait sans pleurs ou supplications.

En temps normal, il n’aurait pas regretté cette fin prématurée, estimant sa vie bien remplie et satisfaisante. Mais il allait laisser Rosalie derrière lui.

Avant qu’ils ne se quittent, il avait failli lui dire ce qu’il ressentait. Il savait bien sûr qu’il existait des mots pour l’exprimer, mais n’avait pas eu le courage de les formuler, attendant sans doute que Rose se lance la première.

Stanford lui cria quelque chose, qu’Amerius crut lire sur ses lèvres, mais sa vision brouillée ne lui apporta qu’une phrase dénuée de sens.

Il comprit alors comment le mage avait pu vaincre ainsi tout un bataillon. Sur l’exosquelette, là où il avait appuyé, se trouvait une sorte de tube de verre, rempli de sable sombre, aux reflets anthracite. De la roche lunaire. Réduite à l’état de magie brute. Le sable dansait dans le tube, et continuerait sans doute jusqu’à ce que dure la torture.

Stanford allait appuyer sur la détente, au moment où ce qu’il lui restait de visage se déforma. L’arme lui échappa et il tituba, la main sur le flanc. Amerius tourna la tête, apercevant plus loin un soldat qui rabaissait le canon d’un fusil longue distance.

Stanford chuta au sol, et le tube se brisa, stoppant les vibrations. La pression dans les oreilles d’Amerius se relâcha. Il retira ses mains tachées de gouttelettes rouges et se redressa, un sifflement strident dans les oreilles. Il ramassa l’arme du mage et tira sans chercher à savoir quelle partie il visait.

Mais juste avant l’impact, une Poupée se matérialisa, emportant Stanford, et le tir vint se loger dans un wagon.

Amerius jeta l’arme en poussant un cri de rage, ravivant la douleur à ses tympans. Il voulut se relever, mais la tête lui tournait. Il entendait à peine les soldats crier des ordres, ni les recommandations du combattant-infirmier qui s’était penché sur lui. Désorienté, le jeune homme se laissa emmener vers les fiacres de secours. Dans la clairière, les visages de certains soldats avaient été recouverts de draps.

Un son. Un seul son bien choisi pour que Stanford commette une hécatombe. Il violait sans conteste le septième amendement, et dans son respect des lois, le royaume était désarmé face à lui.

Un son, un homme.

Qui en plus des Basses-Terres, avait choisi la Cie-Ordalie pour ennemie.

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