Chapitre 49

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Palais royal, 9h21, 13 de jerve de l'an 1901.

Rosalie avait assisté à l’attaque de Maguel, le ventre douloureux. Ses yeux n’étaient pas parvenus à se détacher des plaques, même lorsqu’elle vit Maguel pointer une arme sur Amerius. Les images vibraient, perturbées par quelque chose dans l’air, sans doute ce qui avait blessé les soldats.

Rosalie vit nettement le mage s’effondrer avant de se faire récupérer par une Poupée. Les secours arrivés sur place, la jeune femme ne songea qu’à une chose, sortir d’ici. Elle déverrouilla elle-même la porte blindée, sous les protestations des agents et remonta le couloir au pas de course.

Un court escalier déboucha sur l’intérieur d’un placard à balais. Rosalie en ouvrit la porte, atterrissant dans un couloir de pierres et marbre blancs, aux fenêtres drapées de rouge. Ils n’avaient bel et bien jamais quitté le palais.

Rosalie se servit de l’étang aperçu derrière les vitres pour s’orienter et se dirigea vers le dispensaire. Déjà prévenu, le personnel médical avait rassemblé le matériel de soin et préparé les salles d’opération. Les infirmiers et médecins attendaient dans le hall, se préparant à l’afflux de blessés.

Ce fut pire que ce que la jeune femme l’avait supposé.

Des dizaines d’hommes et de femmes nécessitaient des soins, parfois inutiles quand l’ouïe avait été perdue. Rosalie capta quelques conversations au vol, et apprit que Maguel ne s’était pas contenté de viser le groupe qui s’en était pris à lui. Il avait piégé chaque intersection des rails, étendant son arme à tous les groupes de soldats.

Le dispensaire se retrouva bientôt submergé, les blessés légers s’entassaient dans le hall, quand les salles d’opération saturaient de patients.

Il avait suffi d’un homme et d’une loi violée.

Rosalie avait quitté le hall pour l’extérieur, afin de laisser la place au corps médical. Certains combattants revenaient recouverts de draps blancs.

La reine arriva soudain en trombe depuis les jardins. Elle se figea devant le dispensaire, une main agrippée à ses cheveux. Son visage était blême.

– Sous-estimé, voilà ce que j’ai fait… marmonna-t-elle. Nos hommes…

Elle se rendit soudain compte de la présence de Rosalie.

– Combien ?

– Je n’ai pas la réponse.

Galicie VII la dépassa pour entrer dans le bâtiment. La jeune femme vit la souveraine se pencher au-dessus des blessés pour leur prodiguer les premiers soins. Si on pouvait reprocher des choses à la reine, ce n’était pas de considérer ses combattants comme de la vulgaire chair à canon.

Un nouveau fiacre blanc se gara devant le dispensaire. Une silhouette en sortit, titubant sur les marches.

– Je vais bien ! Occupez-vous des blessés urgents !

Rosalie se précipita aussitôt vers lui.

Amerius avait une main plaquée contre son oreille droite, la plus touchée. Une infirmière insistait pour l’examiner, mais il ne cessait de répéter qu’il allait bien. Un mensonge, du sang séché maculait ses tempes.

– Amerius !

Il se détourna de la femme pour regarder Rosalie.

– Écoute-là, bon sang ! Tu ne vas pas bien !

Elle donnait de la voix, mais elle voyait à son froncement de sourcils qu’il ne l’entendait qu’à peine.

– Viens avec moi !

Rosalie lui prit la main et signifia à l’infirmière de laisser tomber. Rosalie entraîna Amerius dans le dispensaire, jusqu’à un coin derrière l’accueil. La jeune femme récupéra un otoscope parmi le fatras d’instruments médicaux et se pencha sur Amerius. Il fit mine de l’en empêcher, mais céda face au regard noir qu’elle lui lança.

Rosalie n’était pas infirmière, mais sa formation auprès des Vole-Poussière lui avait appris à reconnaître des blessures facilement identifiables. Les tympans d’Amerius étaient atteints, mais pas déchirés. La jeune femme avait anticipé la chose, et ramassé de l’eucalyptus dans le jardin aromatique qu’elle avait croisé. Cela ne remplacerait pas des soins médicaux, mais diminuerait la douleur et l’inflammation. Rosalie introduisit les feuilles dans sa bouche et les mâcha tout en récitant un sortilège. Ce ne serait pas aussi efficace que de préparer un filtre dans un chaudron, mais mieux que rien. Lorsque sa bouche lui donna l’impression d’être remplie de coton, Rosalie souffla en direction des oreilles d’Amerius, qui se remplirent de fumée verte.

Son amant se crispa avant d’afficher un visage plus apaisé.

– Ça va mieux ?

Elle avait posé la question avec un timbre normal, qu’il parvint à entendre.

– Tu devrais les aider, dit-il.

– Je ne sais pas s’ils m’écouteront.

Bien qu’il ne fût pas certain que les médecins fassent bien attention à elle, ou que leurs patients se soucient de ce qu’on leur faisait tant que cela atténuait leur douleur.

Rosalie retourna au jardin et cueillit tout l’eucalyptus qu’elle trouva. Entre temps, ses parents l’aperçurent et Jasmine lui vint en aide. Les deux femmes soulagèrent une dizaine de blessés légers avant qu’on ne les remarque. D’abord méfiant, le personnel médical les remercia et les pria de continuer à les aider. Les apercevant, Galicie VII envoya des pages et Pyrius cueillir tout l’eucalyptus qu’ils pouvaient trouver.

Au bout d’une heure et trente blessés, la mâchoire de Rosalie la faisait souffrir, ses dents s’entrechoquant lui provoquaient des douleurs au crâne et des acouphènes. Mais elle tint bon et sa mère aussi. Lorsqu’il n’y eut plus personne à s’occuper, la jeune femme se précipita vers les toilettes. Elle vomit dans la cuvette, la gorge collante de sève, la langue saturée d’un goût écœurant de forêt, le corps vidé d’énergie à cause de la magie.

Quelqu’un se précipita soudain dans la cabine, Amerius se pencha au-dessus de Rosalie, adossée à la cloison. La jeune femme toussa, expulsant de la sève par le nez et les lèvres. La fumée restée dans sa bouche reprenait sa forme d’origine.

Amerius s’assit à côté d’elle, les bras autour de ses épaules. Des boules de coton imbibées étaient enfoncées dans ses oreilles.

– Tu as été courageuse.

– Non. J’ai été égoïste. Si j’avais parlé du rocher, on…

– Cela n’aurait rien changé. Endormir la magie pour quelques heures ne sert à rien si nous ne savons pas où se trouve Stanford. Et une fois le jour levé, rien ne l’empêche de frapper. Nous devions d’abord tenter avec nos ressources.

Rosalie toussa une nouvelle fois, la respiration laborieuse. Elle se leva, soutenue par Amerius.

– Il me faut de l’eau chaude et du sel.

Son amant revint avec une bassine et un flacon chapardé au réfectoire. La jeune femme remplit le récipient d’eau brûlante, qu’elle mélangea au sel. Après s’être plusieurs fois gargarisé la gorge, elle put décoller la sève. À l’aide d’une seringue, elle nettoya également son nez. Amerius ne fut heureusement pas rebuté par le spectacle. Ils s’échappèrent du dispensaire bruyant pour se réfugier sur une terrasse couverte.

– Stanford a fait une vingtaine de morts. Et une centaine de blessés.

Amerius se laissa tomber sur un banc, Rosalie à ses côtés.

– Mais ce sera sa dernière attaque, jura-t-il. Nous savons à quoi nous attendre.

Encore fallait-il disposer des moyens nécessaires. Des moyens que Rosalie comptait bien leur offrir, dès que la reine serait prête à la recevoir.

– Il y a quand même une question que je me pose sur ses agissements, fit-il. Le train a été attaqué, pas détruit. Et il lui aurait été impossible de supprimer une centaine de wagons remplis de blocs de pierres.

Rosalie fronça les sourcils. Elle aussi avait assisté à la scène, Maguel se tenant devant le wagon vide, frustré.

– Qu’est-ce qu’il a dit exactement ? Quand nous étions aux Basses-Terres ?

– « La magie n'y est pour rien. Mais je vais donc la reprendre à ceux qui me l'ont volé, avant de faire brûler cette terre maudite. »

– La reprendre… Ho non.

– Quoi ?

Elle releva la tête vers lui.

– Je crois qu’on s’est trompé. Nous sommes partis du principe qu’il voulait détruire la magie, pour empêcher son usage. Mais si c’était le contraire ? S’il voulait s’en servir ? Comme… comme source d’énergie ! C’est pareil pour les magiteriens. Se débarrasser des Astre-en-terre lui a peut-être suffi. Mais je ne comprends pas pourquoi il a attendu ce convoi. Attaquer un des manoirs aurait dû suffire, sauf s’il avait besoin de toute la roche.

Amerius soupira.

– Je crois qu’il voulait aussi se venger. De moi. Il voulait que je sois exposé et que je souffre.

– Toi ? Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

– J’ai lu sur ses lèvres. Quand il m’a menacé, je crois qu’il a dit, « J’aurai au moins l’un de vous deux. » Il voulait voler la roche et me tuer. S’il s’agissait de ses dernières ressources, il aurait voulu faire d’une pierre deux coups.

– Juste par jalousie ?

Quelle importance pouvait avoir la réponse ? Mona elle-même a admis que Maguel devenait fou.

– Quoiqu’il en soit, Stanford compte mener son plan à bien. Je…

Ils furent soudain interrompus par l’arrivée d’un soldat.

– Monsieur ! Nous avons un problème ! Mona Zelenski s’est échappée !

Sauf que Mona ne s’était pas enfuie seule. D’après la sphère de surveillance placée là, Maguel était venu à chercher lui-même.

– Pourquoi l’enlever ? Mona m’a dit qu’il chercherait à la tuer.

– Il doit avoir besoin d’elle.

– Et je crois savoir pourquoi.

Amerius se tourna vers elle.

– Maguel a besoin d’énergie. Il n’a pas pu mettre la main sur la roche, donc il a pris Mona.

– En es-tu certaine ?

– Non.

– Dans tous les cas, ce sont des fugitifs.

Galicie VII fut informée de la situation.

– Nous devons le trouver. J’ai voulu garder l’affaire secrète, une erreur chèrement payée.

Quelques heures plus tard, la population était mise au courant. Les émissions de radio avaient été interrompues pour diffuser les noms et la description de Mona et Maguel, des avis de recherche imprimés en urgence et distribués dans toutes les boîtes aux lettres, d’abord de la capitale, puis du pays. Des missives identiques furent envoyées en urgence aux nations de l’Union.

– Il ne pourra pas se cacher éternellement, fit la reine. Mais je ne comprends pas pourquoi il a attendu toutes ces semaines. Qu’est-ce qui le retient ?

C’était la question qui monopolisa tous les esprits.

– Peut-être que c’est le contraire, déclara Jasmine. Il attend quelque chose.

Les BasRose se trouvaient dans un jardin intérieur, des tasses de thé fumantes en mains. Mère et fille subissaient encore le contrecoup de l’aide apportée aux blessés, et elles peinaient pour l’heure à rester debout.

– Quel serait ton avis ?

Amerius venait de s’installer à côté de Rosalie.

– Il veut toujours s’en prendre aux Basses-Terres, non ? Jerve… c’est le début de l’année, c’est peut-être davantage important pour eux que…

Jasmine n’acheva pas sa phrase. Amerius venait de l’interrompre en se levant et en disparaissant du jardin.

– Mais qu’est-ce que je…

– Je crois qu’il vient juste d’avoir une idée, coupa à son tour Rosalie.

Elle trouva l’énergie de suivre Amerius.

– Attends !

Il ralentit et se retourna.

– À quoi tu penses ?

– Je crois savoir ce que Maguel attend. Il veut détruire l’homme qui a déclaré la guerre à la Cie-Ordalie. Et c’est le moment idéal.

– Pourquoi ?

– Tu te souviens des décorations de la capitale Bas-Terrienne ? Elles sont là pour un anniversaire, qui a lieu le seize de jerve, et je sais lequel.

Rosalie le pressa d’en dire plus.

– C’est l’anniversaire du dirigeant.

Son père biologique.

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