Jour 20 : Rivaux
Aujourd’hui, j’ai croisé quelqu’un qui avait… le même regard que moi.
Ce genre de regard vide et tendu, qui dit : je dors plus, je mange plus, quelque chose m’a
bouffé de l’intérieur. Ça s’est passé dans le métro. Une femme, assise en face, serrait un carnet contre elle. Noir.
Identique au mien. Même couverture mate. Même taille. Et je jure qu’il y avait aussi cette
légère vibration… ce tremblement nerveux, presque imperceptible.
Nos regards se sont croisés. Elle a blêmi. Et moi aussi.
C’était comme se voir dans un miroir fissuré.
Le carnet d’Enzo — mon carnet — a réagi le premier.
Il s’est mis à chauffer dans ma sacoche, comme une bête jalouse. Je l’ai senti vibrer plus fort,
battre contre ma hanche comme un cœur enragé. Et puis, très distinctement, les mots sont
apparus sur sa couverture :
“Ne la regarde pas.”
La femme a eu le même réflexe. Elle a plaqué son carnet contre elle et s’est levée
précipitamment.
Le métro a ralenti. Elle est descendue.
Moi, je suis resté cloué sur mon siège, à fixer la trace de ses pas. Le carnet a continué à
gronder contre moi, comme un animal possessif.
Quand je suis enfin rentré chez moi, j’ai ouvert le carnet à la première page.
Une nouvelle phrase était apparue, écrite à l’encre rouge :
“Je n’aime pas les rivaux.”
Et juste en dessous, un dessin grotesque de moustache tordue, étouffant une autre moustache
plus fine.
Je crois que ce soir, je ne suis pas le seul à avoir peur de ce qu’il devient.

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