La COURONNE du roi, Satan l'enserre au mieux des intérêts

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Le chat est au roi ce que la couronne est au peuple : un doudou que l'on peut caresser quand l'envie lui prend de ne pas mordre. Justine humoriste, 2268, october 3

Le chat passa derrière le rideau des seconds plans quand, plus loin, à une cinquantaine de mètres, une femme traversa en courant et glissa sur le roulant. Elle effectua un plongeon, comme si elle avait cherché à éviter le portant, mais celui-ci détecta malgré tout des chaussures magnétisées et souleva les jambes en envoyant la femme cul par-dessus tête sur le piéton central. Elle se releva avec lenteur, se massant les hanches, puis se frottant la tête, tâtant si tous ses abattis étaient revenus à leur place. Kreu sourit à l'image archétypale. Les nuits suintantes sont réputées dangereuses, plus dangereuses que les autres, mais, à son avis, elles l'étaient surtout parce qu'elles étaient particulièrement glissantes. Qui omettait de se munir de chaussures antiglisse se retrouvait rapidement en grande difficulté, parfois au point de ne pouvoir se relever sans aide.

Les nuits suintantes, dangereuses donc, avaient alors eu besoin, par le passé, d'un protecteur et on avait entendu parler du Roi des Nuits Suintantes, le Roi Nuisueur. Toute une mythologie s'était brodée sur cette figure en quelques dizaines d'années et, dès le début du vingt-troisième, on avait un roi, une couronne, des miracles, des armées, des chevaliers jedis et une police de l'ombre bien caractérisés. La peur et l'espoir pour tous en somme. Le roi était un petit roi, débonnaire et un peu cruel, plutôt rassurant. Mais sa couronne avait donné lieu à de véritables célébrations. Porteuse de magie, de symboles et de pouvoir, elle était fêtée au passage d'une année sur l'autre. Les illuminations les plus folles jouaient dans les rues, jusqu'aux toits. Plus haut, des ballets de drones et de lasers enchantaient le ciel. On y voyait comme en plein jour. Chacun attendait avec impatience la couronne officielle, celle qui serait l'élue de la pensée collective. La plus belle, la plus étonnante, la plus moche aussi avait ses chances. La compétition était ouverte sans restriction. Il y avait eu la plus explosive, qui avait fait sauter le vieil arsenal inutile et ringard de la fausse citadelle, une couronne explosive qui avait gagné la première marche du podium au grand dam d'autres beaucoup plus sophistiquées sur le thème classique de l'attente. Le peuple avait parlé : la couronne du roi s'attend et l'an sert au mieux des intérêts, slogan sempiternel du siècle, mais quand la couronne passe à l'action en écoutant le peuple, c'est préférable. Certaines cassandres ont joué sur les mots en désignant l'oeuvre du malin, que la couronne du roi, Satan l'enserre au mieux des intérêts, mais c'était ignorer que l'instinct de liberté profite toujours d'une faille pour chanter plus haut.

Kreu n'avait jamais rencontré le Roi Nuisueur au cours de ses balades nocturnes, mais quelques jedis avaient parfois cherché à l'intimider, vite lassés par son inébranlable sérénité face aux menaces voilées. L'armée, il pensait qu'elle n'existait pas, même une armée de rats n'aurait trouvé sa place dans les cités nouvelles et quant aux tortures, il savait qu'il valait mieux ne pas raser des murs sous peine d'être escamoté par un bras bionique vers une cave aveugle et sourde. Jusqu'à présent, Kreu avait été vigilant, peut-être avait-il eu de la chance.

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