Chapitre 1
https://youtu.be/RWmRBMu64Bg
Le colosse ordonne à ce qui lui sert de femme de lui faire une offrande. À lui, l'alpha aux muscles d'acier et à la langue bien pendue. Malgré la terreur qui l'habite, elle effectue chacune de ces tâches sans relâche. Elle est un tout : une bonne, un chef sans étoiles, une poupée gonflable. Elle est un récipient de chair dans lequel il déverse ce dont il a envie. Elle peut même devenir une toile sur laquelle il peindra de sa liqueur blanchâtre les beaux-arts des va-nu-pieds. Et elle, elle n'a en aucun cas le droit d'être humaine.
Elle est une chose. Sa chose.
Avant d’en arriver là, elle l'a aimé. Et par amour, elle lui a forcément tout donné. Comme un cycle se répétant d’un couple à l’autre, l’attraction devenue dépendance se transforme en dut. Dante était un jeune homme tendre. Il donnait l'impression d'être en avance sur tous les autres adolescents. Des projets d'avenir plein la tête et des étoiles dans les yeux. Il voulait devenir quelqu’un. Hors de question d’être comme tous les autres de leur quartier. Son rêve était d’aider les autres qui comme lui n’avaient pas eu l’opportunité d’étudier davantage.
Un beau jour, quelque chose a changé en lui lorsqu'il a obtenu sa bourse d'étude pour aller à l'université. Cette lumière qui l'habitait s'est éteinte jusqu'aux tréfonds de son être. Il s’est confronté à la réalité des quelques élus des bas quartiers qui ont la chance d’effectuer des études dites supérieures : le dédain, les moqueries, le manque de matériel et cette rancœur d’être né sous la mauvaise étoile. Tout est devenu terne. Ce qu’il aimait tant dans ses longues journées d’apprentissage a disparu. Ce qui le répugnait tant a fini par lui dérober son âme. Quant à elle, elle a tant baissé sa garde que ses caresses et ses mots sont devenus son tombeau. Elle ne voulait pas l’abandonner, car il avait déjà tout perdu.
Maelys, petite et hâlée, élevée par la misère de la rue, n'a pu lui résister. Cette belle chevelure brun clair qui lui arrive jusqu'au bas du dos faisait toute sa fierté, faisant d’elle une jeune fille convoitée. Et même si une ligne de prétendant se ruait vers elle, c’est à Dante qu’elle a décidé d’offrir cette beauté. Depuis ce dévouement, ses yeux hazel semblent perpétuellement perdus dans un recoin de l'univers. Comme à la recherche d'un impossible. Dans ce déchirement émotionnel, elle trouve encore la force de se tenir debout de son mètre soixante. Sa taille svelte, presque maigre, et le temps qui s’écoule a fait d'elle la créature parfaite pour porter ces robes dérisoires qui lui vont comme une seconde peau. Sa poitrine peu volumineuse n’avait rien à offrir que ses fesses rondes et pulpeuses, parfaitement soulignées par ses vêtements, ne pourrait remplacer. Elle a abandonné le peu qu’elle possédait pour partir avec lui. Elle a quitté sa famille et sa maison en tôle pour fuir aux bras de son tortionnaire. Les yeux azur de ce bel apollon l'ont toujours fasciné et c'est au fond d'eux qu'elle a décidé de se noyer. Ce jeune homme d’un blond vénitien, aux cheveux courts et ébouriffés, qui la faisait tant fondre par le passé n'est plus qu'un ramassis de cire séchée sur le point de se craqueler. Sans le moindre diplôme en poche, elle ne sait ni lire, ni écrire. Sa disparition n’inquiète nullement ses géniteurs. Ceux qui lui servaient de famille se sont dits que son départ était une bonne nouvelle. Avoir une bouche en moins à nourrir sans avoir à commettre de crime est pour eux une victoire écrasante contre la vie. Elle s'est offerte en holocauste sacré. Calcinée et prisonnière d'un autre fléau. Elle n’avait plus faim, mais elle avait mal. Ses choix l'ont fait chavirer dans ses bras puis dans ses draps. Et aujourd’hui encore, elle s’empale sur ses barreaux.
☆☆☆
Son mâle décide de se rendre à son marché de poudres blanches, toutes porteuses d'évasion. Pendant ce laps de temps, elle a pour devoir de se rendre utile. Elle saisit un sac d'ordure noir entre ses mains esquintées et desséchées par les produits ménagers, alors qu’elle est encore dans la vingtaine. Elle descend nonchalamment les escaliers du troisième étage, sans ascenseur, pour aller déposer les détritus dans l'une des poubelles communes bondées de l'immeuble. L’odeur putride qui s’émane des bacs est insoutenable. Elle s'en débarrasse rapidement, le tri des déchets réservé à l’élite. Lorsqu'elle se retourne, elle aperçoit, derrière le portail rouillé à l’entrée de l’HLM, une étrangère qui la dévisage. Un simple coup d'œil suffit à Maelys pour lui faire comprendre à quel point elle est magnifique, alors que ses longs cheveux blond platine, presque gris, disparaissent lorsqu’elle détale. Déboussolée quelques secondes par cette couleur de cheveux, elle secoue la tête pour reprendre ses esprits et décide de se dépêcher, car elle doit remonter dans l'appartement.
Son rôle consiste à nettoyer, à faire briller, à embellir ce qui est pourtant si laid. Elle balaye, passe la serpillière, frotte les assiettes, lave les draps et étend le linge propre encore humide. Elle repasse aussitôt tout ce qui est sec. Elle enchaîne ses tâches, comme pour se sentir vivante. Même si elle a mal aux pieds et au dos, elle ne s'arrête jamais. C'est la seule activité qui lui permette de faire le vide et d'éloigner les pensées négatives qui peuplent son esprit. Absorbée par ses tâches ménagères elle en oublie presque qu’elle n’est même pas rémunérée et qu’elle n’a pas à vérifier chaque recoin, comme si sa réputation en dépendait. Malgré tout, elle chasse la crasse en permanence. Elle passe des heures à se rompre l'échine, à se tordre le cou pour que tout soit en ordre. Lorsqu'elle termine, le front reluisant de sueurs, elle prend une douche et enfile une de ces robes qui servent à l'appâter. Le genre de vêtement où l'on voit tout ce que la décence déconseille de montrer. Et bien qu’elle n'ait pas grand-chose à montrer ou encore à faire toucher, cela n'a pas d'importance. Elle ne les porte pas parce qu'elle le veut, mais parce qu'elle le doit. Ses haillons aux marques inversés, recouverts de strass et de paillettes, resplendissent tristement de couleurs vives et désaccordées. Elle enfile ses sandales à plate-forme aux talons aiguilles hauts de douze centimètres avec lesquels elle doit se déhancher pour lui et lui offrir sa vie, alors qu'il n'en reste presque plus rien. Ce qui lui a plu à une époque la dégoûte dorénavant. Cette cendrillon des temps modernes a patiemment attendu qu'un prince charmant vienne l'emmener sur son cheval blanc. Elle s’est toujours accrochée à l’espérance qu’elle soit une princesse à sauver et qu’elle ait besoin d’un autre pour exister. Et tout comme une ribambelle de cendrillons, le fin mot de l'histoire n'était jamais le même que celui du conte. Ils ne vécurent jamais heureux et n'eurent que des orgies.
Cette nuit-là, elle a beau attendre, il ne revient pas. Elle le sait très bien. Il a d'autres cavités à explorer. Il n'est pas fidèle qu’à une seule femme. Il ne pourrait jamais s'abaisser à n'être qu'à elle, car elle l'était déjà envers lui. Et il est hors de question pour lui d'être au même niveau que Maelys.
☆☆☆
À l’aube suivante, il ramène plusieurs femmes, débordantes de joie. Elles sont aussi décharnées que bien garnies, elles sont claires ou foncées, mais comme le dit si souvent Maelys, un trou reste un trou. Ce temple dans lequel il attire chacune de ces nymphes n'est pas chez eux, mais bien chez lui. Juste lui. Il proclame que leurs âmes perdues sont sa propriété. Elles gloussent tout en recouvrant leurs poitrines de miel, quintessence végétale dont il raffole, pour mieux l’attirer. Lui, l’abeille au dard gonflé. Il croit ainsi être leur roi. Confiant, il ne tarde pas à faire jaillir son glaive. Il le plante en plein cœur de ce jardin d'Éden, dans lequel il sera l'Adam de ces pécheresses. Maelys se joint à eux, ou plutôt, c'est eux qui se joignent en elle. Extirpés des différents sacs à main, les objets affluent. Les vibrations s'entrechoquent à l'intérieur des terriers humides, tandis que quelques geysers précoces se dispersent sur les unes comme sur les autres. L'alpha se déleste dans la première bouche à sa portée. La cyprine, semblable à du vin blanc, recouvre les dépouilles qu’il piétine fiévreusement. Ce n'est que lorsque ses bourses sont devenues aussi sèches que des pruneaux déconfits, après des heures à s'emboîter intensément, qu'il peut finalement s'endormir. Les pilules, empruntant à Hercule l’énergie et la force d’un demi-dieu pour satisfaire, ne font plus effet.
Les donzelles encore animées par les bonnes grâces d'Éros continuent ces échanges endiablés. Elles fracassent leurs entrejambes d'un parfait accord. Les plis de leurs sexes spumeux n'en forment plus qu'un pour jouir à l'unisson. Elles chutent les unes sur les autres. Un cimetière blanchâtre encombre l’appartement où l’odeur des corps éreintés est plus vive que jamais.
Maelys, exténuée, se traîne dans la salle de bain pour faire disparaître les marques de leurs mains, langues et sexes. Pourtant, elle le sait. Il est déjà trop tard. Ils se sont déjà immiscés jusque sous sa peau. Elle a beau se frotter avec le savon, c'est un mal qui ne disparaît pas. Ce sont des souillures qui rongent et qui achèvent. C'est un cyanure invisible qui se répand sur son corps depuis déjà des années. Leur relation n'est qu'une farce qui ressemblait jadis à de l'amour. Bien qu'elle ne soit pas faite pour lui, il n'y a plus aucune échappatoire. Elle déambule, emportée par la force du courant. Elle se remémore soudainement leur premier baiser. Celui qui a marqué le début de sa fin. Elle ne pensait pas qu'elle deviendrait la compagne d'un vendeur de pilules capable d’engendrer de la joie. Celles qui permettent d'oublier toute la mélancolie du monde, jusqu'à l'atteinte d'un bonheur suprême. Après y avoir goûté une fois, Maelys a décidé qu'elle n'en avait pas besoin. Sa vie est suffisamment morcelée pour qu'elle en rajoute une couche. Elle se contente de faire semblant de les ingérer. Lorsque tout le monde plane, elle les recrache en toute discrétion. Elle s'est souvent demandé les raisons qui peuvent bien le pousser à la garder à ses côtés. Elle ne se trouve pas particulièrement belle et encore moins sexy. En conclusion, il ne la gardait que par pur caprice. Un peu comme un enfant qui refuse que ses parents jettent ses jouets totalement usés, alors qu’il ne les apprécie même plus. Ce qu'elle a vu chez son héros par le passé n'existe plus. Ce n'est qu'une silhouette comme une autre. Un être qui ne demande pas. Une entité qui se contente de prendre et de tirer les ficelles pour mieux imposer la dentelle. Une bête qui attrape, mais qui ne libère pas.
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