Chapitre 2

8 minutes de lecture

https://youtu.be/nuPaj6oVcxc

Après l’extase, la disparition. Dante détale, sans laisser de trace, sans un mot, sans un geste de la main aussi vulgaire puisse-t-il être. Deux semaines ont filé à l’horizon et elle n’a pas de nouvelle. Cela lui arrive si souvent qu'elle n'y prête même plus attention, car elle sait qu’il revient toujours. Comme un chien qui revient toujours ronger son os et qui repart aussitôt, pour le conserver le plus longtemps possible.

Maelys descend à la hâte les escaliers pour jeter ses ordures. Lorsqu’elle emprunte le portail recouvert de rouille, elle aperçoit la même jeune femme que la dernière fois qui en train de regarder dans sa direction. Maelys décortique avec attention chacun de ses traits. Elle n'est pas indifférente à ses longs cheveux lisses. Une frange, dégradée et en biais, recouvre la partie droite de son visage et ne laisse apparaître qu'un œil émeraude. Plus vigilante que jamais, elle confirme que sa chevelure arbore vraiment un blond platine, presque gris, que Maelys trouve ravissant et hors du commun. Elle ne sait rien des teintures et encore moins des salons de coiffure. Tout ce qu’elle sait est en partie grâce aux différentes conquêtes de Dante qui n’hésitent pas à la rabaisser pour mieux la conseiller. La brune essaye de jauger sa hauteur, mais elle se convainc qu’elle doit au moins mesurer un mètre soixante-quinze à cause de la différence de taille qui les sépare. Sa peau laiteuse, ainsi que sa poitrine généreuse, intriguent particulièrement l'autre petit bout de femme qui souhaiterait en avoir autant. Les cieux ne bénissent pas tous les êtres de la même façon, mais chacun porte une vision singulière de la beauté et c’est bien la seule compensation que Maelys se doit d’accepter. Elle porte une chemise fluide de couleur blanche, un jean moulant ses cuisses et des bottines à talon en cuir marron.

L’épieuse épiée est extirpée de ses pensées lorsqu'elle entend une voix modulée et douce retentir. Maelys sursaute et pose toute son attention en direction de celle qui la dévisage.

— Bonjour ?

Tétanisée qu’on lui adresse la parole, elle ne répond pas. Des sueurs froides apparaissent. L’autre jeune femme arque un sourcil, se demandant si elle est sourde ou si elle le fait exprès.

— Je suis votre voisine.

Toujours aucune réponse. Elle se rapproche davantage, se penche en direction de son visage, ou plus exactement vers ses oreilles. Le souffle de sa voix effleure la chair de Maelys et lui procure un frisson inattendu.

— Je m'appelle Elwyne et je crois bien que nous partageons le même étage.

Maelys est à la fois réticente et émue que l’on puisse s’adresser à elle pour d’autres raisons que de simples ordres. Ce qui l’intrigue le plus, c’est ce prénom. C'est bien la première fois qu'elle entend quelqu'un se prénommer de la sorte. Elle a pour habitude de rencontrer des individus aux appellations communes.

— Enchanté ? répond Maelys, vraisemblablement confuse.

Un silence s’installe, laissant place à l’observation. C’est une bataille visuelle où la première qui détourne la tête à perdu, du moins pour Elwyne qui est ravie de pouvoir lui parler, même si elle n’a rien à lui dire. Sentant que cette approche n’est pas forcément la meilleure, car sa voisine commence à diriger ses yeux vers le ciel à cause de l’embarras qui s’empare d’elle, elle décide de faire le premier pas.

— Pourriez-vous m'indiquer où se trouve la boulangerie la plus proche ? S'il vous plaît.

— Euh…

Alors que Maelys essaye de se remémorer la route à emprunter, elle se sent dévorer du regard par sa voisine, comme si un fer chaud s’abattait sur elle de plein fouet à l’ardeur inquiétante. Elle se décide à lui donner les indications demandées. La gêne ressentie lui a rafraîchi la mémoire, alors qu’Elwyne scrute minutieusement ses cheveux, ses joues, sa nuque et finalement ses lèvres. Son intérêt pour son physique lui en fait presque oublier leur échange. La plus petite, sceptique face à son silence, l'interpelle pour être sûre qu’elle a bien entendu ses explications. Le problème ne provient pas de son ouïe, mais plutôt du manque d’attention qu’elle a pu porter à ses paroles, visiblement occupée à autre chose.

— Merci, répond Elwyne en restant atone.

Son regard ne se détache pas de Maelys, qui terriblement gênée par son insistance, se décide à avancer pour retourner à son appartement. Avant de pouvoir traverser le portail, la voix d’Elwyne retentit à nouveau. Plus vigoureuse que tout à l’heure.

— Et votre prénom ?

— M-Maelys, bégaye celle-ci surprise.

— À bientôt, Maelys, roucoule Elwyne.

En refermant derrière elle, la brune remarque aussitôt qu’elle prend la direction opposée à celle qui lui a été indiquée plus tôt. Elle préfère ne pas en tenir compte, car le simple fait que l'on puisse s'intéresser à son prénom l'empêche de réfléchir correctement. Elle retrouve ses repères quand sa silhouette disparaît au loin. Il est temps de retourner effectuer ses tâches ménagères. Elle a un devoir envers son homme. Il peut arriver à n'importe quel instant et elle doit être prête à toute éventualité.

Quelques heures plus tard, alors qu'elle est en train de cogiter sur ce qu’elle pourrait bien cuisiner, la sonnerie de la porte retentit. Ce n’est pas Dante, car il ne perdrait pas son temps à sonner. S’il avait oublié ses clés, la porte s’ouvrirait une fois qu’elle serait à terre face à sa colère.

La barrière séparant Maelys de l’inconnu tombe. Elle constate avec stupéfaction que sa voisine est revenue jusqu’à son appartement. Elle tient fermement entre ses mains une petite boîte en carton en provenance d'une boulangerie. Et ce n'est pas du tout celle dont elle lui a parlé plus tôt.

Elwyne la lui remet en mains propres, sans un mot. Elle tourne les talons et s’en va se terrer, trois appartements plus loin. Elle s’éclipse derrière une porte en bois. La plus petite se rend compte tardivement qu’elle habite vraiment juste à côté. Elle contemple ce qui se trouve entre ses mains et repense à la froideur qui sévit sur ce visage aux traits raffinés. Elle semble porter une affiche qu'on lui aurait forcé à coller, un peu comme les robes de Maelys.

Intriguée par le contenu du présent entre ses mains, elle l'ouvre et découvre un assortiment de desserts salés et sucrés. Leur présentation, haute en couleur, s'accorde parfaitement avec leur goût. Un délice fondant en bouche. Dans cet état extatique de gourmandise, elle en engloutit jusqu'à la dernière miette. Craintive d'être débusquée par Lui, elle fait disparaître les preuves de ce succulent en-cas. Elle n’hésite pas à brûler la boîte à l’aide d’une allumette dans un récipient non-inflammable. Elle n’a pas peur de l’alarme incendie, après tout, elle ne fonctionne même plus. Dans ce trou à rat, on pouvait bien crever que personne ne bougerait le petit doigt.

Quelques minutes plus tard, elle s’empresse de sortir du four sa quiche provençale. Elle en découpe plusieurs parts et les dépose dans du papier aluminium d’un geste maladroit. Elle se rue hors de son appartement miteux pour s'arrêter devant la porte d'Elwyne. Sans même savoir pourquoi, elle stresse complètement. Elle se demande est-ce qu'elle appréciera son geste ou au contraire, sera-t-elle simplement ignorée ? Le goût lui plaira-t-il ? Avant de l’interpeller, elle prend une grande inspiration et se jette à l'eau, la tête la première. Elle toque à plusieurs reprises, vainement. Troublée et entêtée, elle décide de patienter une dizaine de minutes avant que la porte ne daigne s'ouvrir à elle.

Sa voisine, les cheveux mouillés, est encore vêtue d'une serviette de bain. Maelys détourne aussitôt son regard pour ne pas avoir l’air d’une dévergondée qui ne pense qu’à « l’apparence ». Elwyne lui fait signe d'entrer avec la tête. Maelys possède l'autorisation de visiter, mais elle ne doit toucher à rien. L'hôte part se changer, laissant l'inconnue à ses dépens. Son logement n'est muni que de trois malheureuses pièces. Dans la première l'on y trouve le salon et la cuisine, dans la seconde sa chambre et dans la dernière la salle de bain et les toilettes. Elle n'a quasiment aucun meuble et aucune décoration. C’est d’une simplicité. Comme si elle était prête à s’enfuir d’un moment à l’autre. Un lieu sans attache, sans couleur, sans vie.

Dans un coin du salon, sous un drap qu'elle soulève par curiosité, elle trouve plusieurs cadres dédiés à des tableaux. Ces toiles en question sont entassées les unes sur les autres, la poussière en pièce maîtresse de ces lieux. Des paysages, des fleurs, des pièces, du noir, du blanc, des couleurs. Elle est émerveillée. Il ne lui faut pas bien longtemps pour apercevoir une peinture à son effigie. Elle, peinte en aquarelle. Elle est médusée. Lorsqu’Elwyne revient, elle découvre que son talent ne la laisse pas indifférente et un petit rictus se dessine sur ses lèvres, alors que le modèle de cette peinture est dos à elle.

— Est-ce que c’est vous qui… ? demande Maelys, en pleine admiration.

— En effet, répond la blonde en lui coupant la parole.

— Pourquoi ?

— Pardon ? rétorque Elwyne en arquant un sourcil.

— Pourquoi moi ?

— Parce que vous méritez que votre beauté soit immortalisée lorsqu'elle est à son apogée. C'est-à-dire sans maquillage et sans artifices.

— Je ne comprends pas…, rétorque vaguement Maelys, très embarrassée.

La plus grande soupire face à cette réaction.

— Pourquoi êtes-vous venue ?

— J'avais presque oubliée !

Elle lui tend ce qu'elle lui a mis de côté quelques minutes plus tôt. La peintre écarquille les yeux, sceptique quant au contenu.

— Qu'est-ce donc ?

— Une quiche provençale.

— Merci.

— Merci à vous, les trucs étaient vraiment bons.

— Trucs ? Parlerait-elle de ce que je lui ai hasardeusement acheté à la boulangerie ? se demande Elwyne tout en la dévisageant.

— Je dois rentrer.

La jeune femme qui part ne remarque même pas que sa voisine arbore un sourire satisfait. De son côté, Maelys trouve que le talent de sa voisine est à couper le souffle. Une simple toile a su lui faire chavirer le cœur. Cet organe qu'elle n'a pas senti battre depuis si longtemps. Elle ne connait rien à l'art. Pourtant, une simple peinture a réussi à lui faire oublier les barreaux derrière lesquels elle se trouve, au moins l’espace d’un instant. Cette sensation de bien-être se disperse rapidement en elle. Des larmes roulent le long de ses joues alors qu’elle ferme la porte derrière elle.

Elle. Elle a été choisie comme modèle et elle a été peinte. Elle, Maelys, « la chose » sans vie et sans droit. Là, dans sa poitrine, une faible lumière vacille. Presque à la recherche, d'une façon ou d'une autre, d'échapper à l'obscurité et au froid qui ont si souvent eu raison d’elle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire Helly SOLAS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0