Chapitre 2

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Le lendemain matin, Iléana se réveilla le cœur léger. Elle ressemblait à une personne qu’on aurait miraculeusement gonflée de joie en lui insufflant toute la nuit cette précieuse émotion. Elle déjeuna frugalement et par cette belle journée d’été qui s’annonçait, le soleil dardait déjà avec insistance ses rayons sur la fenêtre de toit : la chaleur allait vite devenir étouffante alors elle sortit, bien décidée à profiter de cette journée de vacances.

Elle flâna sur les quais du port de plaisance, humant l’air marin, salubre et vivifiant, s’extasiant devant les bateaux de pêche amarrés au-dessus desquels des mouettes criardes tournoyaient inlassablement, ou devant quelques enfants qui passaient à côté d’elle, l’air ahuri.

Elle échoua ensuite à la terrasse d’un café, commanda une indécente dame blanche au grand étonnement du serveur qui fit une moue - l’heure était encore matinale - et resta un long moment, fascinait par le ballet des promeneurs.

Iléana rentra ensuite chez, car elle n’avait pas envie de déjeuner seule sur le port. Au moins dans sa mansarde, Caramel l’attendait.

Quand elle poussait la porte vermoulue et grinçante au quatrième étage, après avoir gravi l’interminable escalier en colimaçon, l’éternel rituel se reproduisait toujours : Caramel la regardait avec ses gros yeux expressifs, à la façon de quelqu’un qui vous scrute pour la première fois, puis il attendait sans bouger qu’elle avance un peu dans la petite pièce miteuse pour ensuite, brusquement, venir se coller à ses jambes afin d’être pris dans les bras. Il avait la confiance la plus absolue en sa maîtresse, elle se serait jetée dans les flammes, qu’il n’aurait pas bronché.

Dans l’après-midi, elle appela sa meilleure amie, Cypriane et lui proposa de faire les boutiques entre filles. Celle-ci accepta avec enthousiasme et les deux jeunes filles décidèrent de se retrouver devant la colonne Morris, celle-là même au mascaron en forme de tête de lion.

Plus tard dans l’après-midi, des haillons de nuages s’étirèrent dans le ciel, qui prit vite une couleur anthracite et une averse tomba.

Le long des rues passantes, les gens hâtaient le pas pour entrer dans une boutique ou se mettre au sec. Il pleuvait si fort, quand peu de temps, les rues entières se vidèrent de leurs passants.

Malgré la pluie ou plutôt grâce à ce temps détestable, Cypriane et Iléana s’amusèrent comme des folles dans les magasins de vêtements ; les essayages tournèrent presque à l’hystérie et même les gros yeux des vendeuses ne les arrêtèrent pas. Si bien que Cypriane proposa à Iléana de l’emmener à une soirée à laquelle elle était conviée.

Les deux jeunes filles goûtèrent dans un fast-food puis reprirent le bus afin de se rendre à cette soirée.

La fête avait lieu dans une maison de ville, banale à la façade triste. Une jeune fille brune, bien en chair, un verre à la main leur ouvrit et les invita à entrer dans le salon. L’apéritif était déjà servi sur une table basse et une musique d’ambiance couvrait à peine le bruit de crécelle que faisait la pluie sur la véranda qu’on devinait un peu plus loin.

Les présentations furent faites : Iléana ne connaissait personne. La jeune fille brune lui proposa alors un verre ; Iléana choisit une bière et la jeune fille brune précisa qu’elle n’avait plus que des bières américaines au frais :

– Des Boston Lager, dit-elle.

– Ça me convient, répondit Iléana qui n’avait d’ailleurs jamais bu une bière américaine.

À côté d’elle sur le sofa, une jeune fille à la chevelure grasse n’arrêtait pas d’envoyer des textos avec son smartphone tout en fumant une cigarette dont les cendres tombaient sur l’accoudoir. Iléana lui fit la remarque et lui suggéra de se servir du cendrier qui se trouvait sur la table basse, mais la fumeuse haussa les épaules. Les cendres continuaient de mourir en pluie fine sur l’accoudoir quand la maîtresse des lieux revint avec trois bières et une grande assiette contenant des toasts dans les mains.

Elle tendit à Iléana une des bières et s’assit à ses côtés puis elle lui adressa la parole :

– Tu es une amie de Cypriane ?

– Oui, nous nous sommes rencontrées cette année, au lycée Kérichen.

– C’est une chic fille, ajouta-t-elle.

Iléana se saisit alors de la bouteille, but une longue gorgée puis reposa celle-ci devant elle sur la table. C’était une bière blonde, fraîche et onctueuse, qui se laissait agréablement boire.

Iléana tourna alors machinalement la bouteille afin de voir l’étiquette.

Elle entraperçut la marque de la Boston Lager et son sang sembla se figer. La jeune fille à sa droite, la blonde aux cheveux gras qui ne tapotait plus sur son téléphone, s’était retournée vers elle :

– Ça va pas ? T’es toute blanche.

Sur l’étiquette de la 33 cL, au-dessus de Boston Lager, était écrit en grosses lettres majuscules :

SAMUEL ADAMS.

Mais Iléana ne vit que SAMUEL.

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