Chapitre 1- 11/11/1925

6 minutes de lecture

15/03/1950

Seigneur Jésus-Christ,

Ces derniers jours ont été difficiles, je ne vous le cache pas. L’Abbaye est à deux doigts de s’écrouler à cause des nazis qui ont brûlé le toit… Cela fait un mois, que nous essayons de réparer cette fuite, nous sommes obligés de mettre des seaux d'eau en attendant de récolter assez d’argent pour financer le reste… L’évêque ne désire pas nous aider, car il est de notre responsabilité de réparer les dégâts, coûte de coûte. Fort heureusement, les paroissiens nous aident énormément pour cette partie, mais ils nous en faut plus, malheureusement…

Depuis peu, je suis devenu prieur à mon retour de mon voyage d'affaires et sans vous mentir, je ne suis pas très doué, depuis que notre ancien père nous a quitté… Je n’arrête pas de faire des maladresses de droite à gauche. Quand il faut se décider pour déplacer des objets dans la chapelle, je réponds toujours de travers et place au mauvais endroit… Il y a quelques jours, un moine m’a demandé ce que je devais faire pour les sacs de farine, comme la guerre a été rude ces derniers temps… Je n’ai pas su quoi répondre et à la place, c’en est un autre qui a répondu. Pourquoi n’est-il-donc pas devenu notre prieur puisque je suis incapable de l’être ?

Les soldats ont pu retourner chez eux, les femmes étaient heureuses de les retrouver parmi eux. Ne comptons pas le nombre de dégâts qu’il y a eu… Nous avons été obligés de célébrer de droite à gauche et cela a été un véritable cauchemar… Je n’ai pas cessé de fermer les yeux lorsqu’il fallait bénir un soldat, pour une guerre qui n’aurait jamais dû exister…

Mes paroissiens ont très peur qu’une nouvelle guerre éclate après celle-ci. C’est ce qu’ils m’ont tous dit lors de leur confession. Je leur ai dit comme vous me l’avez dit « cessez d’avoir peur et d’aller droitement, sur le chemin que vous nous avez offert. Tout ça est terminé, nous devons tous passer à autre chose »… Mais comment ? Puisqu’un grand nombre de soldats me disent qu’ils en font des cauchemars, jour et nuit… J’essaye de les rassurer, mais j’en suis incapable, pour cette épreuve qu’ils traversent… Je leur ai simplement dit que le Seigneur les aide et les rassure au quotidien, qu’il faut compter sur son amour pour en devenir grand et fort. J’espère qu’ils auront compris mon message, même si certains ont fini d’y croire…

En ce moment, il fait doux pour un mois de mars, les hirondelles chantent à côté de nos cellules, les arbres fleurissent, des jonquilles ont poussé dans la petite cour, la croix que nous avons déplacé cette semaine resplendit dans la chapelle. À chaque fois que je viens vous adorer, je remarque toujours ce grand rayon lumineux qui vous transperce le cœur. Quand je vous regarde sur la croix, je me demande sans arrêt « Mon Dieu, mon Dieu, qu’est ce qu’on vous a fait ? » J’ai l’impression de vous massacrer chaque jour, aux grands nombres de péchés que j’ai commis ces derniers jours… J’en ai toujours les larmes aux yeux quand je contemple votre visage agonisant. « Vous ne ressemblez plus à ce Dieu d’amour quand on vous regarde sur cette croix, mais à un Dieu qui implore la pitié et le pardon ».

Très gentiment, le frère Philémon a déposé des fleurs de Lys au pied de notre saint Joseph. Il en a profité pour en mettre sur la tombe de notre père supérieur. En parlant de lui, j’ai un ancien souvenir qui me vient en tête. Puis-je vous raconter ma rencontre ?

C’était un onze novembre 1925, dans un hiver glacial où les arbres étaient complètement givrés, le chemin était recouvert de brume. Je tenais, dans ma main droite, celle de ma grand-mère. Elle marchait très rapidement, le manteau serré contre sa poitrine. Une fois arrivée devant une porte en pierre, elle toqua plusieurs fois, se pencha vers moi pour remettre mon béret tissé d’un coton gris pâle, et versa quelques larmes en repassant mon manteau.

— Je connais par cœur cette Abbaye, les moines vont bien s’occuper de toi. Tu le sais mon chéri que je suis obligée de faire ça…

J’étais en train de piétiner dans l’herbe blanche.

— Viens dans mes bras, mon petit ange.

J’enroulais mes bras autour de son bassin et elle vînt enfouir sa joue contre la mienne. Elle m’embrassa tendrement et se releva, en séchant ses larmes.

— Je t’aime Barthélémy !

Elle s’en alla dans la brume sous le vent glacial du Doubs, et la porte s’ouvrit au même moment. Le moine regarda de droite à gauche et se gratta la tête en me voyant seul, avec une petite valise. Il fouilla dans sa poche et trouva une feuille en ayant les noms des retraitants qui passaient faire leur séjour ici et haussa un sourcil.

— Mais, tu es bien trop petit pour faire une retraite ! Que viens-tu faire ici mon petit ?

J’étais bien trop timide pour répondre à cette question que le père Théophane venait de poser. Je répondis tout bêtement, en emmêlant mes gants contre eux.

— Où-sont tes parents ?, demanda-t-il avec de la brume qui sortait de sa bouche.

Je pointais du doigt le ciel. Stupéfait, une légère brise glaciale vînt le remettre sur Terre et me demanda de venir vers lui en se penchant à la même hauteur que moi.

— Tu n’as plus de parents ?

Je fis « non » de la tête. Il commença à comprendre que je parlais de la sainte Vierge et de Dieu en ouvrant grand la bouche.

— D’accord, je vois…

En allant se relever, je me jetais dans ses bras et le serrais fort contre moi. Heureux de l’apprendre, il me répondit de même en m’invitant à prendre sa main.

— Suis moi, je vais te montrer ton nouveau chez toi, comment-t’appelles-tu ?

— Barthélémy, répondis-je les doigts dans la bouche.

Les portes du monastère s’étaient refermées derrière nous. Les moines avaient fait un cercle pour se demander d’où je venais et ce que je venais faire ici. Je m’étais caché derrière le père Théophane, trop timide pour répondre à toutes ces questions. Un moine m’avait tapoté l’épaule et m’avait donné un bout de pain. Je l’avais pris, tout content d’avoir de quoi me nourrir.

C’est ainsi que j’ai rencontré ma nouvelle famille. Pour commencer, le père Théophane était un homme brave et un très bon musicien. Il m’a appris à jouer de l’orgue, il m’a même donné quelques leçons sur la musique. Le frère Jean-Baptiste est un moine, plutôt distrait. Il aimait beaucoup se cacher dans sa cellule pour écrire de longues poésies sur notre adorable Jésus-Christ. Il m’a appris l’écriture au fil des années. Le frère Jérôme est un moine fort, sa passion est de cuisiner. Chaque jour, nous ouvrons les portes pour donner du pain aux gens. Ils nous arrivent, assez fréquemment, de recevoir des commandes pour cuisiner le corps du Christ. Toute la partie technique, c’est le frère Alexandre et le frère Antoine qui me l’ont appris.

Le vendredi, c’est le jour du marché. La plupart du temps, le frère Alexandre offre des sacs de farine pour les plus pauvres des pauvres. Un vœu d’obéissance que j’ai appris des années plus tard. Le frère Bernard s’occupe de la boutique et à vendre du pain avec le frère Judicäel qui en offre souvent, à prix bas. Nous retrouvons les frères Paul-André et Guillaume à manier le moulin et à cultiver les champs de blé, avec l’aide bien entendu des autres moines.

Le frère Félicien et le frère Isaac sont des frères inséparables. Ils se chamaillent, la plupart du temps, pour que l’un des deux me fassent la lecture du soir. Cela me faisait rire dans ma jeunesse…

Je n'oublierai jamais le père Théophane, il savait diriger les petits frères et était strict quand il le fallait. Tandis que moi, je le remplace, mais en m’emmêlant les pinceaux… Soupir, vous devez avoir honte de moi à l’heure qu’il est mon père… Mais je ne vous oublierais jamais car j’ai appris une chose en devenant prieur : qu’il fallait prendre soin de ces frères comme nos propres enfants et c’est ce que je ferais, jusqu’à la fin des temps si tel est votre désir, mon doux Jésus.

Signé, le père Théophane qui vous embrasse très fort !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire hailwildis 7 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0