Elias s’était installé sans bruit, comme s’il avait toujours été là. Il ne cherchait pas à s’imposer, et pourtant sa présence déformait subtilement l’équilibre du lieu. Il avançait dans les couloirs, comme s’il connaissait déjà les rythmes du lycée, les visages, les silences. Rien en lui n’était étrange, et c’était précisément ce qui le rendait difficile à cerner. Il semblait trop bien à sa place, trop précis dans ses gestes, comme une pièce qui s’emboîte dans un puzzle qu’on croyait complet. Anton l’observait de loin, il ne savait pas pourquoi Elias retenait son regard, il n’y avait pas de gestes suspects, pas de mots troublants. Et pourtant, quelque chose en lui évoquait une étrangeté ancienne, comme un souvenir qu’on n’arrive pas à nommer. Esra, de son côté, semblait s’éloigner, son corps se tendait à chaque apparition d’Elias, elle ne disait rien, mais Anton le voyait à sa manière de détourner le regard. Une nuit, Anton rêva d’une pièce sans fenêtres, le sol était lisse et sombre, et dans le miroir suspendu au mur, il ne vit pas son propre visage. Ce qu’il y vit le regardait avec ses traits, mais les yeux étaient vides, emplis de noirceur . Dans un coin de la pièce, Elias observait, silencieux, comme s’il attendait qu’Anton reconnaisse enfin ce qu’il voyait. Au réveil, son cœur battait trop vite. Il resta longtemps allongé, incapable de chasser l’image du reflet. Depuis combien de temps n’avait-il pas rêvé ? Il ne s’en souvenait même plus. Les jours suivants, la réalité sembla se dérégler, des détails apparaissaient au cœur de la routine, et Elias, toujours calme, devenait peu à peu le centre d’une gravité invisible. Anton comprit , ce qu’il ressentait depuis l’arrivée d’Elias n’était pas de l’inquiétude, ni même de la peur. C’était de la reconnaissance, comme si tout cela, à un moment, avait déjà commencé.