L'œil du couloir

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Quelques jours après son arrivée, un murmure se mit à glisser entre les murs du lycée, d’abord timide, puis de plus en plus insistant. Mademoiselle Vasseur, la professeure de littérature, avait disparu. Le dernier cours qu’elle avait donné, deux jours plus tôt, s’était déroulé sans le moindre accroc. Une heure banale, rythmée par sa voix douce et précise, comme à son habitude. Rien, absolument rien, ne laissait présager ce qui allait suivre. Le lendemain matin, sa salle de classe resta vide. Les élèves attendirent quelques minutes, d’abord amusés, surpris, mais quand la sonnerie annonça la fin de l’heure, un malaise s’installa, Mademoiselle Vasseur n’avait jamais manqué un seul cours. Elle était réputée pour sa ponctualité, pour cette rigueur qu’elle imposait naturellement. Certains dirent qu’elle avait dû avoir un empêchement, un contretemps. Mais lorsqu’elle manqua également le cours du lendemain, l’inquiétude gagna les esprits. Le bureau de la professeure, visible à travers les vitres de la porte verrouillée, était en parfait ordre. Ni son sac, ni son carnet de notes n’avaient bougé. Pas de mot laissé à la direction, aucun message, aucune trace. Comme si elle s’était volatilisée, dissoute dans l’air du lycée. Anton n’était pas du genre à s’attarder sur les rumeurs. Il les écoutait d’une oreille distraite, mais cette fois, quelque chose en lui se serra. Ce n’était pas seulement l’absence de Mademoiselle Vasseur qui le dérangeait, mais ce silence, cette absence de réaction réelle des adultes. Rien n’avait été laissé derrière elle et pour une femme aussi méticuleuse, aussi ancrée dans ses habitudes, cela ne collait pas. Ce fut en traversant le couloir du troisième étage qu’Anton vit Elias. Impeccable, impassible, tel un spectateur que rien ne pouvait atteindre. Il marchait lentement, avec cette tranquillité étrange, ne regardant personne, mais semblant tout voir. Il écoutait, absorbait. Anton ne pouvait détourner les yeux, il y avait chez Elias une étrangeté. Et ce qui le troubla davantage, c’était que personne ne semblait remarquer à quel point ce garçon demeurait indifférent à ce qui, autour d’eux, devenait une onde de choc. La rumeur s’était propagée en quelques heures, pourtant, Anton restait suspendu à une question qui refusait de le lâcher, et si la disparition de Mademoiselle Vasseur n’était pas un simple accident ? Et si quelqu’un, ou quelque chose, l’avait délibérément effacée de ce monde ? Puis vint le surlendemain. Ce matin-là, les couloirs, d’ordinaire pleins de vie, résonnaient d’un silence oppressant. Quelque chose s’était brisé. Ce fut un groupe d’élèves, passant devant la salle de littérature, qui la vit la première. La porte était entrouverte. Ils s’étaient arrêtés, surpris, personne ne l’avait vue ouverte depuis deux jours. Poussés par la curiosité et l’inquiétude, ils entrèrent. Et là, dans l’ombre du matin, ils la virent. Mademoiselle Vasseur, assise à son bureau, parfaitement droite. Son regard vide fixé sur un point que nul ne pouvait voir. Son visage ne portait aucune trace de douleur, aucun signe de lutte. Rien, juste ce calme glaçant. Mais c’est ce détail unique qui glaça le sang de ceux qui virent la scène : sur le miroir posé à côté de ses affaires un miroir dont personne n’avait jamais vraiment remarqué la présence une empreinte de main ensanglantée s’étalait en plein centre. Une main humaine, parfaitement nette. Et dans l’ombre du couloir, Anton crut croiser le regard d’Elias. Un regard ni surpris, ni effrayé, mais qui, au contraire, semblait attendre ce moment depuis toujours.


Merci à *Pluie* pour ses questionnements sur la première version. Elles m'ont beaucoup aidé à repenser et réécrire ce chapitre avec plus de justesse.

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