Le visage du coupable
Depuis la découverte du corps de Mademoiselle Vasseur, l’établissement tout entier semblait retenu dans une apnée collective, suspendu entre le choc et l’incompréhension. Les couloirs, d’ordinaire animés par les bavardages d’adolescents, résonnaient désormais d’un silence pesant. L’inquiétude était partout, dans les regards, les chuchotements , dans les pas plus rapides qu’à l’accoutumée. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre et les autorités avaient été dépêchées sur place. Officiellement, rien n’était confirmé, mais l’intuition générale semblait d’accord sur un point, cette histoire ne se limitait pas à un drame. Quelque chose clochait, ce n’était pas une mort ordinaire ni une disparition accidentelle. C’était quelque chose de plus trouble, de plus profond. Anton, toujours en retrait, observait ce tumulte. La vérité semblait se cacher entre les lignes d’un récit que personne n’osait écrire. Et c’est dans cette atmosphère chargée d’appréhensions qu’une autre rumeur fit surface, Monsieur Durieux, le professeur de mathématiques à la réputation austère, aurait été aperçu entrant dans la salle de Mademoiselle Vasseur la veille de sa disparition. D’abord Anton refusa d’y prêter attention. L’homme était certes rigide, mais de là à l’impliquer. Pourtant, une intuition désagréable le traversa. Quelque chose ne collait pas, et comme si cette pensée avait pris vie, la rumeur se mua en accusation officielle. Le lendemain, Monsieur Durieux fut suspendu de ses fonctions. Les enquêteurs, après une perquisition de son bureau, mirent au jour des éléments troublants, des feuilles griffonnées, des documents arrachés à moitié illisibles, quelques notes personnelles faisant mention de Mademoiselle Vasseur, des pensées obsédantes et surtout, cette lettre à moitié calcinée, soigneusement dissimulée dans un tiroir secret. Le tout paraissait construit, presque trop bien ficelé, une suite d’indices jetés en pâture. Anton se sentait dépassé, il voyait un homme tomber sans même pouvoir plaider sa cause. Les preuves n’étaient pas nettes, les interprétations fragiles, et pourtant tout semblait aller trop vite. Au milieu de ce chaos silencieux, Elias demeurait là, hors d’atteinte, imperturbable. Rien ne semblait l’atteindre. Il n’observait pas seulement les événements, il les devançait. Et lorsqu’Anton croisa son regard dans un recoin du hall, il comprit que quelque chose leur échappait. Dans les yeux d’Elias brillait une étincelle, froide, une lueur que nul autre ne semblait remarquer, celle de quelqu’un qui, bien plus qu’un spectateur, prenait plaisir à observer le théâtre de la peur se dérouler selon ses propres règles. Un joueur. Voilà ce qu’il était.
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