La Trace du Silence

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Dès son retour, Anton referma la porte de sa chambre sans un bruit. Un déclic sec, puis le silence. Il ne ralluma pas. Dans la pénombre, il se laissa tomber sur le bord du lit, les coudes posés sur ses genoux, les mains pendantes entre ses jambes. Il les fixait longuement, comme s’il y cherchait une trace, une faille, un tremblement, ou peut-être un sursaut de culpabilité. Mais non. Ses paumes restaient calmes, solides et son visage ne trahissait rien. L’image de Lucie revenait par vagues, sa peau chaude sous ses doigts, sa respiration haletante, ce regard affolé, cette lutte confuse. Elle n’était pas morte et il le savait. Mais elle avait perdu connaissance et il était parti avant son réveil, laissant la porte entrouverte, juste assez pour que l’on croie à un oubli, ou à un courant d’air. C’est une voisine qui donna l’alerte. Réveillée par un bruit sourd, elle avait cru d’abord à une vitre brisée. Les secours arrivèrent les premiers. Lucie se trouvait sur le canapé, recroquevillée sous une couverture, le visage pâle, les yeux figés sur un point que personne ne voyait. Elle balbutiait quelques mots, une silhouette, une pression sur la gorge, une peur immense, puis plus rien. Le noir. Sur son cou, une marque rouge, nette, presque symétrique. Une empreinte qui parlait pour elle. Impossible pour Lucie de remettre les faits dans l’ordre. Le temps s’était dissous, comme arraché. Mais le constat était là, elle avait été agressée. Et ce qui troubla les policiers, ce ne fut pas l’ampleur du désordre, mais son absence. Aucune effraction, pas de vol, aucun chaos apparent. Et pourtant, tout sonnait faux. Un coussin trop éloigné de l’accoudoir, une lampe d’appoint éteinte alors qu’elle restait allumée chaque nuit. Un cadre photo légèrement incliné, comme déplacé et mal remis. Des signes ténus, mais dérangeants. L’inspecteur Lewis arriva peu avant l’aube. Mains dans les poches, traits tirés, il passa le seuil comme on entre dans un sanctuaire profané. Il ne parla pas. Son regard glissa lentement sur chaque surface, s’arrêta sur les coins, les angles morts, les zones que personne ne regarde jamais. Il se pencha sur les serrures. Aucune trace d’outil, mais des micro-rayures internes. Il fit relever les empreintes sur les poignées, les vitres, le dossier du canapé. Il examina le sol, à la recherche d’une poussière déplacée, d’un poil, d’une fibre étrangère. Il fit écarter le tapis. Inspecta l’arrière des meubles, leur agencement millimétrique. Il ouvrait mentalement chaque tiroir de cette scène figée, cherchant le détail qui ne collait pas, le signe d’une intrusion psychologique autant que physique. Les monstres, il le savait, n’avaient pas besoin de fracas pour entrer. Lucie, elle, était hors du temps. Prisonnière d’un souvenir sans chronologie. Elle ne pouvait rien ajouter. Lewis nota tout, des croquis, des flèches, des impressions. Puis il referma la couverture noire de son carnet. Une seule ligne restait visible :
Prédateur local. Début de cycle. Pendant ce temps, Anton laissait l’eau brûlante de la douche couler sur lui. Il frottait sa peau comme pour en dissoudre l’instant, l’effacer à coups de savon. Mais rien ne s’effaçait. Il avait franchi la ligne. Ce qu’il avait si longtemps fantasmé, il l’avait accompli. Et le monde ne s’était pas écroulé. Dans ce silence, une pensée froide naissait. L’envie que cela recommence.

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