Jeu sans issue

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Une nouvelle semaine débuta. Anton, comme à son habitude, déambulait dans les couloirs du lycée avec cette indifférence soigneusement étudiée. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Il traversait les visages familiers comme on traverse un rêve sans intérêt, plongé dans une pièce trop bien rodée, où chaque personnage récitait son texte sans âme. Mais ce matin-là, quelque chose clochait. Une tension sourde et flottante planait dans l’air, imperceptible mais profondément dérangeante pour lui. Anton ralentit légèrement le pas, observant du coin de l’œil les silhouettes autour de lui. Les mêmes rires, les mêmes gestes, les mêmes voix et pourtant tout sonnait faux. Un bruit étouffé, un pas plus lourd que les autres, retint son attention. Quelque chose se détachait du flux humain, une silhouette, c'était Elias. Il avançait avec une lenteur presque chorégraphiée, comme s’il cherchait à suspendre le temps lui-même. Il n’y avait rien de spectaculaire dans son allure, et pourtant, sa seule présence fit vaciller l’illusion qu’Anton s’était construite autour du lycée. Elias s’arrêta juste devant lui. Tout sembla suspendu, autour de ce face-à-face. Il sentit une réaction instinctive le traverser, une tension profonde, presque animale. Il n’était plus le seul chasseur ici. Dans le regard d’Elias, il reconnut son propre reflet, mais tordu, redessiné selon des règles plus anciennes. À cet instant, tout bascula dans son esprit. Les pièces du puzzle des dernières semaines s’emboîtèrent brutalement. La photo, le jeu, tout n’était pas le fruit du hasard, ni un simple test venu de nulle part. Tout avait été orchestré, et Elias n’était pas un pion. Il en était l’auteur. Rien n’avait été improvisé, il ne jouait pas, il écrivait. Ce jeu n’était pas une invitation anodine, mais une provocation délibérée. Et Anton n’avait pas été choisi au hasard. C’était précisément parce qu’ils se reconnaissaient, qu’ils portaient en eux la même noirceur, la même lucidité brutale sur le monde. Ce n’était pas de la haine, mais un appel. Le regard d’Elias, insondable, s’accrocha à celui d’Anton avec une intensité glaciale, pesant chaque souffle échappé entre eux. Puis, lentement, un sourire se dessina sur ses lèvres, un rictus fascinant, inquiétant, à la limite du défi et de la prédation, un secret silencieux partagé dans le poids du silence. Sans un mot, d’un geste rapide et discret, Elias glissa un petit papier dans la poche d’Anton. Puis, sans un regard, il fit un pas en arrière, se fondant aussitôt dans la marée compacte des étudiants, disparaissant comme une ombre . Anton resta figé un instant, le souffle court. Il plongea la main dans sa poche, effleurant le morceau de papier froissé. Lentement, il l’en sortit et découvrit une écriture tracée à la hâte, presque agressive "Ce soir, là où les ombres dansent, viens seul", suivie d’une adresse griffonnée à la va-vite. Ces quelques mots suffirent à déclencher en lui une décharge d’adrénaline pure. Le jeu venait de changer de dimension. Ce n’était plus une simple provocation, mais une convocation, un appel lancé dans l’ombre. Anton sentait qu’il franchissait un seuil dangereux, un abîme dont il peinait encore à mesurer la profondeur. Le reste de la journée s’écoula dans une lenteur oppressante, chaque minute alourdie par une attente insoutenable. En cours, Anton ne pouvait s’empêcher de jeter des regards furtifs vers Elias, cherchant le moindre signe, la moindre faille dans ce visage impassible. Mais Elias restait concentré, griffonnant, méthodiquement sur son cahier, comme si rien ne s’était passé, comme si leur échange, lourd de sous-entendus, n’avait jamais existé. Cette idée que tout pouvait paraître normal, que cette tension palpable pouvait s’effacer d’un simple claquement de doigts troublait Anton autant qu’elle l’exaltait. Il comprenait que cette bataille de volontés, cette guerre silencieuse, ne faisait que commencer. Et au cœur de cette guerre, Elias l’avait choisi et il souhaitait l'éveillé.

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