Le Visage de la violence

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[Ce texte contient des descriptions explicites de violence, d’intrusion à domicile et d’agression physique pouvant heurter la sensibilité de certains lecteurs. Toutes les scènes décrites sont purement fictives et ne visent en aucun cas à encourager ou banaliser la violence.]


La nuit avait avalé la ville, déversant son encre noire dans chaque recoin, étouffant les bruits sous une couche de silence pesant. Anton avançait seul, porté par une tension sourde, attiré par une adresse aussi vague que redoutée. Il s’approchait d’un vieux bâtiment abandonné, oublié des vivants, rongé par le temps, où chaque pierre murmurait l’écho d’une époque morte. La grille censée être close bâillait déjà, entrouverte comme une invitation. Il la poussa du bout des doigts, s’engouffrant à l’intérieur. Le couloir, noyé d’obscurité, suintait l’humidité, l'air y était plus lourd, saturé d’une odeur âcre de poussière, de rouille, et de quelque chose d’autre. Soudain, un bruit fendit le silence, un choc sourd, net, régulier. Anton s’arrêta, en alerte. Chaque pas qu’il faisait vers ce bruit résonnait en lui comme un compte à rebours. Lorsqu’il pénétra dans l’ancienne salle de sport abandonnée, il le vit. Elias, de dos, frappait un sac suspendu. Son corps entier vibrait sous l’impact de ses gestes, ses bras s’abattaient avec une cadence furieuse et froide. Mais ce n’était pas un sac. Quelque chose dans la forme, dans le balancement irrégulier, troubla Anton. Une boucle de tissu fine, s’échappa dans la lumière vacillante. Un sous-vêtement, un bras, puis un visage, du moins ce qu’il en restait. Une jeune fille, pendue comme une poupée désarticulée, recevait les coups avec une docilité funeste. Son corps, trop mou, trop inerte, n’était plus qu’un amas de chair meurtrie. Son visage méconnaissable, transformé par la douleur. Du sang perlait de son nez brisé, ses lèvres étaient éclatées, l’un de ses yeux gonflé, fermé sous une plaie béante. Pourtant, malgré tout, elle respirait encore. Un souffle faible, douloureux, mais réel. Anton resta figé, incapable de détourner les yeux, incapable d’agir. Ce qu’il voyait défiait toute raison. La scène était trop réelle pour être un cauchemar, trop invraisemblable pour ne pas l’être. Mais au-delà de la stupeur, quelque chose d’autre grondait en lui. Une sensation trouble, une chaleur mal placée, comme si une part de lui, archaïque et silencieuse, reconnaissait ce moment. Ce n’était pas la peur qui lui glaçait les veines. C’était plus sournois, plus intime. Comme un écho ancien, remonté du fond de sa chair. Elias frappait encore, lentement, comme si chaque coup avait une signification. Son corps tremblait d’effort mais son visage était calme, presque paisible. Il ne semblait plus tout à fait présent, absorbé dans une transe morbide. Et puis, il s’arrêta. Elias contempla son œuvre un instant, reprenant son souffle, un éclat de satisfaction dans les yeux. L’air vibrait encore de la violence, le silence, brusque et oppressant, se referma sur la pièce comme un piège. Anton restait là, comme cloué au sol. Quelque chose l’enveloppait, quelque chose qu’il ne comprenait pas encore, mais qui le retenait. Son regard descendit vers la fille. Elle bougeait à peine, son souffle était un murmure. Le vent s’engouffra soudain dans les fissures du bâtiment, faisant vibrer les vitres et les tôles. Le décor semblait sur le point de s’effondrer. Elias se redressa lentement, comme s’il sortait d’un rêve. Il s’approcha d’Anton avec lenteur, ses pas glissant sur le sol usé. Il semblait chercher quelque chose dans le regard d'Anton. Entre ses doigts, un objet apparut. Un couteau, simple, brut, sans éclat. Sa lame reflétait à peine la faible lumière qui tombait du plafond. Ce n’était pas une arme brandie, c’était une offrande. Un symbole, un choix. Et Anton comprit. Ce moment était un passage entre deux mondes. Il sentit en lui une fracture, comme une ouverture. Son cœur battait avec une violence inédite. Il ne sut pas pourquoi, ni comment. Mais sa main bougea lentement, presque malgré lui, elle se tendit. Ses doigts se refermèrent sur la lame. Dans le silence, dans cette pièce saturée de douleur, un pacte muet venait d’être scellé.

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