Ombres et Cendres

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L'enquête avait commencé dans un silence pesant, brisé seulement par le crissement des pas sur le sol sale. Le corps avait été découvert à l'aube, allongé au centre d'un vieux gymnase désaffecté, perdu à la lisière de la ville. Un lieu oublié, rongé par l'humidité et les souvenirs effacés, où les crises et les échos d'un autre temps s'étaient tus depuis longtemps. L'inspecteur Lewis s'était arrêté net dès le seuil franchi, frappé par l'étrange pureté de la scène. La victime, était disposée avec soin, les yeux fermés, presque paisible. Autour d'elle, rien. Aucun désordre, aucune trace de lutte. Pas une empreinte, pas un objet déplacé. Tout semblait orchestré. Les techniciens de la police scientifique s'affairaient, absorbant par l'étrangeté de la scène. Lewis, lui, restait figé, le regard accroché à cette vaste salle désespérément vide et pourtant saturée d'horreur. C'était plus qu'un simple meurtre, c'était une opération. Le tueur avait agi avec une précision glaciale, presque rituelle. Le médecin légiste fut formel : des coups bruts, une lame fine aiguisée, insérée sans hésitation. Il n'y avait rien d'improvisé dans ce geste, pas de panique, pas d'erreur. Et pourtant, plus ils avançaient dans l'enquête, plus les certitudes se délitaient. Les caméras de surveillance situées dans les rues proches n'avaient rien d'enregistré. Les métadonnées révélèrent pourtant un détail glaçant, les fichiers avaient été ouverts, manipulés, puis refermés sans aucune altération visible. Une intervention d'un niveau rare, presque militaire. Ou pire, artisanal. Il ne s'agissait pas d'un simple piratage. Celui ou ceux qui avaient effacé leur passage savaient exactement ce qu'ils faisaient. Et surtout, ce qu'ils voulaient cacher. Les indices matériels, eux aussi, s'évanouissaient. Pas d'ADN, pas de cheveux, pas même une fibre textile. Le crime semblait s'être déroulé dans le vide. Et plus le vide s'élargissait, plus Lewis percevait une forme dans ce néant. Ce n'était pas un tueur isolé.
Cette pensée s'insinua en lui sans qu'il puisse d'abord l'expliquer. Un pressentiment aigre, comme un frisson tenace dans le creux du dos. Le genre de certitude que l'on n'ose pas exprimer devant les autres, de peur de passer pour un homme hanté. Mais il le sentait, il y avait deux volontés à l'œuvre. Deux intelligences. L'une portait la lame, l'autre effaçait le monde. Les noms n'étaient pas encore clairs. Juste une ombre glissée dans les rapports non classés, dans les affaires sans suite. Des silhouettes évoquées, jamais identifiées. Aucune archive, aucun témoignage. Rien de concret, mais suffisamment de silences alignés pour évoquer une présence. Mais Lewis savait qu'ils existaient. Deux visages sans traits, deux esprits en miroir. Et la scène du gymnase n'était pas un point final. Il n'était pas seul à les sentir, mais il était sans doute le seul à les croire réels. Pour le moment... Les jours qui suivirent furent noyés dans une brume de rapports, d'hypothèses creuses et de pistes stériles. Le gymnase abandonné avait été fouillé jusqu'au moindre interstice. Pas une empreinte, pas une trace thermique résiduelle, même les insectes n'avaient rien laissé à déduire. Le corps était resté là, au centre exact, comme placé selon une géométrie parfaite. Rien autour, pas même une trace de pas dans la fine pellicule de poussière. Lewis s'enfonçait dans les rapports comme on s'enfonce dans l'eau glacée. L'inconfort devenait insupportable. Chaque ligne, chaque analyse confirmait l'absurde perfection de ce meurtre. Même les caméras urbaines semblaient conspirer contre la vérité. Dans les notes rassemblées au fil des jours, un motif émergeait lentement. Une succession de disparitions non élucidées, toujours dans des lieux abandonnés. Toujours sans traces. Un schéma que personne n'avait relié, trop diffus, trop éparpillé. Mais Lewis voyait désormais les coutures. À chaque fois, le même profil impossible à retracer, impossible à nommer. Dans une affaire précédente, classée sans suite, une phrase griffonnée dans la marge du dossier lui revint en mémoire : Le silence comme couverture, l'autre comme écho. Il relut cette phrase plusieurs fois. Elle n'avait pas de sens immédiat, mais elle vibrait juste. Il ne s'agissait pas seulement d'un tueur solitaire, mais d'une mécanique à deux têtes. Une coordination invisible, un pacte scellé hors du regard des hommes. Ses collègues voyaient dans cette théorie une dérive. Une projection de l'angoisse, une surinterprétation. Mais Lewis savait écouter ce que les autres rejetaient. Ce n'était pas une intuition vague. C'était une certitude rampante. Il n'avait pas encore de preuve, pas de nom complet, pas de visages, mais il avait dorénavant leur rythme. Et maintenant qu'il avait entrevu ce duo tapi derrière les apparences, il savait que les choses allaient s'accélérer.

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