Fracture

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Lewis s’était toujours tenu légèrement en retrait, comme si le monde qui l’entourait n’était qu’une version déformée d’une réalité plus profonde qu’il était seul à percevoir. Ses collègues disaient de lui qu’il sentait les choses , mais aucun ne comprenait à quel point c’était vrai. Ce n’était pas de la chance, ni une intuition classique. C’était autre chose, une acuité douloureuse. Il percevait les silences entre les mots, les gestes manqués, les rythmes déviés dans les comportements humains. Là où d’autres voyaient des coïncidences, lui lisait des intentions dissimulées, des fractures invisibles. C’était épuisant, mais inévitable. Cela avait commencé tôt. Il n’avait jamais connu sa mère. Elle était morte quelques mois après sa naissance, dans des circonstances floues dont il ne restait qu’un dossier partiellement occulté, classé accident domestique . Son père, un homme taiseux, vétéran d’anciennes guerres dont il ne parlait jamais, avait élevé Lewis dans une maison trop grande pour deux, entourée de forêts et d’un silence profond. Ce n’était pas un silence de paix. C’était un silence dense, saturé de choses non dites. Enfant, Lewis avait passé des heures à explorer les bois, à écouter les sons que personne ne semblait entendre. Il percevait les moindres variations de l’environnement. les respirations des bêtes cachées, les craquements discrets des branches sous des pas légers, les absences de bruit qui n’étaient jamais anodines. À l’adolescence, il avait voulu devenir flic presque par instinct, comme une manière d’ordonner les choses qu’il ressentait sans toujours les comprendre. Mais rapidement, il avait constaté la différence. Ses collègues voyaient les faits pendant que lui voyait les creux. Là où les autres concluaient, lui doutait. Un jour, dans une affaire de disparition classée sans suite, il avait deviné l’emplacement exact d’un corps enfoui depuis des années, simplement parce que la trajectoire d’un plan de métro griffonné à la hâte sonnait faux . Il n’avait jamais su l’expliquer et s'était fait discret après cela. Il avait compris qu’il ne devait plus trop montrer ce qu’il savait. Pas comme ça. Mais cette affaire-ci, le meurtre du gymnase avait ravivé quelque chose de profond en lui. Une sensation qu’il n’avait pas ressentie depuis l’enfance. Le vide dans cette pièce, l’organisation parfaite, l’absence méthodique, c’était plus qu’un crime. C’était une signature qu’il connaissait sans l’avoir jamais vue. Comme un fragment d’un souvenir qu’il n’arrivait pas à replacer. Lewis avait vécu toute sa vie à la lisière de la norme, du monde. Il ne se voyait pas comme un élu, plutôt comme un survivant d’un monde que personne ne voit mais qui le regarde, lui, avec une insistance constante.

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