Sept jours
Une semaine. Précisément sept jours entre l’agression et le meurtre. Ce n’était pas un hasard, Lewis en était convaincu. Il avait saisi le dossier comme un horloger examine un mécanisme dont il entend à peine le tic-tac. Rien n’était grossier. Tout vibrait dans l’ombre, selon une logique plus vaste que celle des faits. Il retourna d’abord sur les lieux de l’agression. Un bâtiment à la lisière d’un lotissement en périphérie, rien ne trahissait ce qui s’y était joué. Lewis pénétra dans le salon à pas lents. La pièce était exiguë, modeste, et la disposition n’avait pas changé. Un canapé face à une télévision, une petite bibliothèque, des rideaux fins tirés à moitié. Mais ce qui l’intéressa, c’était la fenêtre donnant directement sur l’extérieur, côté rue. La serrure était intacte, mais sur le montant inférieur, il nota un éclat de peinture arrachée, une légère entaille dans le bois, traces d’un levier fin, manié avec précaution. L’ouverture avait été silencieuse, précise. Aucun des voisins n’avait rien vu, rien entendu. Il observa le sol en contrebas, de l’herbe haute, peu de passage. Mais dans l’angle, proche de la haie, la terre était légèrement affaissée. Un poids s’y était posé. En position d’observation, l’agresseur avait probablement guetté. Assez longtemps pour connaître les gestes de Lucie, ses horaires, ses rituels. La description qu’elle avait donnée n’avait livré que des fragments. Une main gantée, une présence muette, une pression froide sur la gorge. Puis, une douleur fulgurante. Le médecin avait parlé de sidération induite. Pas de coups visibles, mais un traumatisme profond. L’agression sexuelle avait été rapide, calibrée, sans acharnement. C’était un test. Puis, sept jours plus tard, le gymnase. Lewis s’y rendit seul, le bâtiment était à l’abandon depuis des années, tapi en bordure d’un ancien quartier industriel. À l’intérieur, le silence était lourd, odeur de poussière, d’humidité, et de sang séché. La victime avait été disposé au centre exact du terrain, avec soin. Ni rejetée, ni dissimulée, simplement offerte au regard. Le médecin légiste avait décrit une séquence précise. Tabassage méthodique, côtes brisées, visage tuméfié, puis, à un moment exact, un seul coup de lame à la gorge. Tranchant net, sans hésitation. L’arme n’avait pas été retrouvée, mais la blessure parlait, un outil parfaitement affûté, tenu d’une main experte. Les deux agressions avaient eu lieu entre 2h15 et 2h45. Toujours dans ce créneau, et toujours avec les mêmes anomalies dans les systèmes urbains . Micro-coupures de caméras, alarmes muettes, réseaux de surveillance aveugles pendant quelques minutes. À peine assez pour être remarquées, mais trop fréquentes pour être fortuites. Lewis dressa une carte, chaque absence devenait un point, chaque coupure un signal. Un parcours se dessinait, un trajet fantôme, invisible à l’œil nu, mais lisible à travers les silences du système. Les deux victimes, à première vue sans lien, avaient été dans la même classe au lycée, à deux ans d’écart. Une photo scolaire, récupérée dans les archives de l’établissement, les montrait au second plan d’un événement sportif. Pas de lien visible, mais une proximité ancienne. Dans l’agression, la violence avait été contenue, exploratoire. Dans le meurtre, elle avait été ritualisée, exécutée. Quelqu’un avait franchi un seuil, et cette semaine d’intervalle n’était pas un simple rythme, c’était une fenêtre parfaitement cadencée. Tout convergeait vers ce duo invisible. L’un observait, préparait et l’autre frappait. L’un traquait les ombres, l’autre traçait les lignes. Sept jours. Le temps idéal pour planifier, ajuster, recommencer. Le prochain événement suivrait le même schéma, Lewis en était sûr et l’horloge avançait.
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