Première brèche
Le couloir du lycée s’étirait devant lui, interminable, comme un couloir d’exécution. Anton avançait sans ralentir, chaque pas sonnait comme un choix. Quand il poussa la porte des toilettes, ce fut comme franchir un seuil invisible. Un territoire neutre, suspendu, où il pouvait enfin se relâcher, s'effondrer. Le battant se referma dans un claquement sec. Il s’adossa au mur carrelé, la tête contre la surface glacée. La froideur lui mordit la peau, mais il en avait besoin. Élias n’avait pas juste révélé un secret. Il avait détruit des années de camouflage. Tout ce qu’Anton avait construit, ce personnage impeccable, ajusté pour survivre et passer inaperçu venait d’éclater en plein jour. Et Élias avait visé juste. Au point le plus vulnérable, là où ça ne pardonne pas. Il n’y avait pas de blessure plus profonde pour Anton. Il inspira lentement, puis il sortit son téléphone. Élias pensait avoir gagné. L'humiliation publique, la mécanique sociale savamment huilée, tout portait sa signature. Mais même les meilleurs stratèges commettent des erreurs. Et Anton n’était pas encore hors-jeu. Pas tant que Lewys creusait. Pas tant qu’il lui restait de quoi frapper en retour. Il ouvrit son moteur de recherche et tapa Élias R. Peu d’informations, comme prévu. Il était méthodique, discret. Pas de réseaux sociaux visibles, aucune publication personnelle. Mais personne n’est totalement invisible. Anton creusa. Il regroupa des noms, fouilla les listes d’élèves, remonta d’anciens événements, examina les tags oubliés. Et soudain, un lien, un profil public. Une fille, un peu plus jeune. Même nom de famille. Elle souriait sur les photos, une énergie douce, lumineuse. À l’opposé de la froideur d’Élias. Mais ce n’était pas ce qu’elle montrait qui l’intéressait. C’étaient les indices qu’elle laissait traîner. Les lieux, les habitudes. Elle apparaissait souvent devant un café du centre-ville. Sur une photo, elle tenait un livre, accoudée à la vitrine. La légende disait : "Mon refuge préféré, encore et toujours". Un repère répété, prévisible. Il nota l’adresse. Il resta là, l’écran allumé dans sa main, figé. Il n’avait encore rien décidé. Observer, confronter, comprendre ? Il ne savait pas. Mais il savait ceci, Élias avait une faiblesse. Quelqu’un à protéger, qu’il avait tenu volontairement à l’écart. Et ça suffisait. Anton verrouilla son téléphone, ravalant la colère, l’humiliation, la brûlure dans la gorge. Il n’avait plus le luxe de réagir. Il devait réfléchir, penser comme un survivant. Il sortit du box, et le miroir d'en face lui renvoya un visage tiré, les cernes creusées, les traits durs. Plus rien de l’Anton d’avant. Le masque était tombé. Ce qu’il voyait, c’était une version en train de muter, de se préparer. Élias avait lancé la première offensive. Anton était prêt pour le revers.
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