Silence sous tension

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Anton sortit des toilettes, son visage à peine marqué par l’agitation intérieure qui l’animait. Sa main s’était attardée un instant contre sa joue, comme pour effacer les traces de cet instant. Son cœur martelait un rythme soutenu, mais son expression demeura impassible. Le couloir l’aspira de nouveau, saturé de regards collants. Les sons semblaient lointains, comme filtrés à travers une eau trouble. Chuchotements, vibrations de téléphone, un éclat de rire nerveux. Le monde avait déjà vu. Il n’y avait plus rien à cacher. Juste à reprendre la main. Un visage, parmi les autres, se détacha. Esra, figée, immobile. Ses doigts blanchis serraient un téléphone qu’elle ne semblait même plus regarder. Quand elle leva les yeux vers lui, il sentit le poids de son hésitation. Elle tendit l’appareil sans un mot. Il prit le téléphone. Regarda. L’image ne le transperça pas, elle glissa contre lui, incapable de percer la couche de contrôle qu’il venait de refermer sur son être. Puis, il se redressa, le regard indéchiffrable. La réaction fut calculée : un haussement de sourcil, un bref rire, presque cynique, et un mouvement de tête qui laissait tout entendre, sauf la vérité. Il planta ses yeux dans ceux d’Esra, suffisamment longtemps pour fissurer sa certitude. Elle le connaissait, croyait-elle. Et Anton savait jouer sur cette illusion. Elle finit par détourner le regard, juste une seconde, mais c’était suffisant. Lorsqu’elle hocha lentement la tête, il sut que la graine était plantée. Le doute, cet allié silencieux, germerait en elle. Il n’avait pas besoin de la convaincre, juste de brouiller ses certitudes. Le reste viendrait tout seul. Le calme n’était qu’apparence. À l’intérieur, une mécanique s’activait, comme une machine lancée à pleine vitesse, sans possibilité d’arrêt. Le monde extérieur continuait de tourner, mais Anton, lui, était déjà ailleurs. Il tourna les talons sans attendre, laissant derrière lui le poison faire son œuvre.

Après les cours, de retour dans sa chambre. La lumière artificielle dessinait des ombres nettes contre les murs. L’écran de l’ordinateur illuminait son visage d’un éclat blafard. Chaque clic était une pulsation, chaque lien ouvert une incision dans la surface des choses. Il traquait non plus l’ennemi, mais la faiblesse. Élias avait toujours été prudent. Mais personne ne garde le contrôle absolu. Surtout pas quand il y a des liens. Des gens à protéger. Anton nota chaque élément. L’angle de la rue, la position des caméras. Les horaires d’affluence, les instants vides, creux, où plus rien ne surveille. Le monde laisse des interstices, et lui savait les repérer. La carte se dessina lentement. Les trajets se relièrent en lignes discrètes. Les visages se détachèrent des foules. Les chemins les plus anonymes devinrent les plus précieux. Il ne cherchait pas une vengeance éclatante. Il cherchait une absence. Une disparition sans bruit, sans trace, sans retour. Le cliquetis de la poignée brisa le rythme. Il referma l’ordinateur d'un geste sec. Ses traits se recomposèrent aussitôt. Il redevint ce que les autres pouvaient supporter. Pas tout à fait vrai, pas tout à fait faux. Une coquille creuse. Sa grand-mère entra. Elle ne dit rien, s’assit au bord du lit. Son regard cherchait le sien, s’y accrochait avec cette douceur désespérée qui appartenait aux gens qui pressentent quelque chose, mais ne veulent pas savoir. Il joua le jeu. Offrit un sourire, une voix posée, des mots vides et rassurants. Elle tenta de l’approcher, mais il s’était déjà refermé. Puis elle finit par se lever, l’air épuisée . Quand elle quitta la pièce, Anton ne leva pas les yeux. Déjà, il était revenu là où tout se préparait. Il n’y aurait pas de colère irréfléchie. Il ne cherchait pas la justice. Ce qu'il cherchait c'était le néant.

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