Rien qu’un souffle

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Le soleil baissait lentement, posant ses reflets chauds sur les hauteurs de la ville. Chez elle, Maëline se préparait en silence. Une robe noire sobre, des boucles d’oreilles discrètes. Elle n’avait pas particulièrement envie de sortir, mais c’était prévu depuis des semaines. Soirée entre filles. Cocktail et rires obligatoires. L’important, c’était d’y aller. À 20h45, elle retrouva Clara, Judith et Safia devant le café habituel, à la mode. Terrasse chauffée, guirlandes aux murs, musique douce. Le monde semblait fonctionner normalement. Elles trinquèrent, se racontèrent des anecdotes. Maëline se détendit un peu. Vers 22h30, elle s’éloigna pour prendre un peu l'air. Juste un moment seule, au bord du trottoir. Et c’est là qu’elle le vit. Il n’avait rien de particulier. Un manteau sombre, des cheveux légèrement défaits, un regard banal. Elle pensa d’abord l’avoir croisé quelque part. Il resta planté de l’autre côté de la rue. Immobile. Le genre de présence qu’on oublie aussitôt. Pourtant, lorsqu’elle rentra dans le bar, il était toujours là, sur le trottoir d'en face. Elle ne dit rien aux autres.


Plus tard, elle quitta la soirée avant tout le monde. Trop de bruit. Elle voulait rentrer à pied, sentir l’air frais. Clara lui proposa un Uber. Elle refusa. Il était 23h18. À l’intersection de la rue Paulin, un lampadaire clignotait par à-coups. Elle passa dessous, frissonnante. Un bruit derrière elle.Une impression. Elle accéléra. Puis plus rien. Juste un souffle contre sa nuque. Puis un voile noir. Le geste fut rapide, précis. En quelques secondes, elle disparut. Avalée. Pas un cri, ni une lutte. Un silence propre. Le monde continuait à tourner, ignorant qu’une présence venait d’en être arrachée.



L’endroit où il la mena n’avait pas de nom. Un sous-sol bétonné, refermé sur lui-même, sans signal, sans issue visible. Pas de fenêtre. Juste quatre murs, une lumière crue qui ne restait jamais allumée plus de quelques minutes, et ce froid qui semblait remonter du sol. Elle reprit conscience dans un vacarme assourdissant. Une alarme aiguë hurlait au-dessus de sa tête, puis s’interrompait net. Silence. Puis reprise. Toujours différente. Sans logique, sans rythme. Elle voulut parler, mais sa gorge était sèche, râpeuse. Elle cria, mais aucun son ne sortit. La caméra émit un cliquetis. Puis un haut-parleur au coin du plafond se mit à grésiller. Pas des mots. Des fragments de voix déformées. Parfois sa propre voix, enregistrée et distordue. D'autres fois, des rires, des sanglots. Et ce murmure, dans un coin, qui répétait inlassablement : « Tu sais ce que tu es. Tu sais ce que tu es » . Puis le silence revint. Elle se recroquevilla de peur. C’est là qu’elle le vit. Anton. Derrière une vitre sans tain. Il n’avait pas besoin d’être dans la pièce pour dominer l’espace. Il contrôlait tout. Température glaciale, puis chaleur moite. Musique classique à plein volume, brutalement coupée par des grincements industriels. Une minuterie déformée tournait au mur, bloquée sur 4h13. Elle ne savait plus si c’était le matin ou la nuit. Il entra brièvement, sans un mot. Déposa sur le sol un miroir cassé, puis repartit. Le miroir reflétait son visage déformé. Elle n’avait plus d’image claire d’elle-même. Plus d’identité stable. Puis vinrent les ombres. Des vidéos projetées sur les murs. Trop rapides, trop floues. Des images de sa chambre. D’elle. De sa famille. Des rires étouffés en fond sonore. Puis des plans d’elle seule. Figée, tremblante. Peut-être que ces vidéos n’avaient jamais été tournées. Ou peut-être que si. Ses mains tremblaient. Elle ne distinguait plus ses pensées des sons. Elle entendait son prénom, chuchoté, puis hurlé. Elle s’agrippa à ses genoux. Grattait le sol. Elle tenta de dormir, mais à chaque fois, un son la réveillait. Un flash lumineux. Une voix d’homme lui soufflait qu’elle n’existait plus. Elle perdit la notion du temps. Elle se mit à parler seule, à répondre à des voix qui n’étaient pas là. Anton revint une dernière fois, au milieu de la nuit. Il s’agenouilla devant elle. Il ne la toucha pas. Il posa simplement une photo de sa famille. Dessus, un mot griffonné : Oubliée. Puis il ressortit. La lumière s’éteignit. Plus de son. Plus d'images.



Quand elle rouvrit les yeux, il faisait jour. Elle était dehors. Assise sur un banc près d’un abribus. Les voitures passaient, les gens marchaient. Elle cligna des yeux. Aucun souvenir du trajet. Son corps avançait tout seul. Juste un vide. Profond, compact. Comme un mur dans son crâne. Son regard était mort. Pas un mot ne sortait. Son esprit était resté là-bas.Anton n’avait pas eu besoin d’une semaine. Juste d'une nuit. Une nuit de dérèglement sensoriel, d’isolement, de déconstruction psychologique. Une nuit à tordre la réalité jusqu’à ce qu’elle se rompe. Ce qu’il avait brisé ne se réparait pas. Ce qu’il avait pris ne reviendrait pas.

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