Vérité sans preuve
Lorsqu’Élias avait entendu la porte s’ouvrir ce matin-là, il avait cru à une erreur. Mais non, c’était bien elle. Maëline. Debout dans le cadre de la porte, comme un fantôme revenu de trop loin. Trempée, les yeux grands ouverts et vides. Aucune larme, aucun mot. Juste cette présence étrangère, qui faisait trembler l’air autour d’elle. Elle était rentrée. Mais elle n’était plus là. Il l’avait regardée marcher dans le couloir sans dire un mot. Elle ne l’avait pas regardé. Elle n’avait pas posé ses affaires, pas retiré ses chaussures. Elle était entrée comme on entre dans un rêve dont on n’arrive pas à se réveiller. Et lui, incapable de bouger, avait senti cette chaleur noire envahir sa poitrine. La même que lorsqu’ils étaient enfants, quand elle se blessait et qu’il se sentait attaqué dans sa propre chair. Mais cette fois-ci, la blessure n’était pas visible. Et elle ne venait pas du monde. Elle venait de l’intérieur. De quelque chose ou de quelqu’un qui l’avait prise, vidée, puis remise à sa place. Il l’avait laissée s’enfermer dans sa chambre. La porte était restée entrebâillée. Il l’entendait respirer, parfois, comme si chaque souffle lui coûtait un morceau d’elle-même. Elle ne dormait pas, ne parlait pas. Il aurait préféré qu’elle hurle. Qu’elle le frappe. Qu’elle lui dise ce qui s’était passé. Mais elle était devenue une façade derrière laquelle plus rien ne bougeait.
Alors il avait commencé à chercher. Il avait passé des heures à reconstituer les morceaux. Heure de sortie. Nom du café. Rue Paulin. Il avait consulté des enregistrements de caméras de surveillance piraté, celles qu’il ne pouvait pas obtenir. Dans une vidéo, au loin, il l’avait vu. Un homme, immobile de l’autre côté de la rue, les mains dans les poches. Trop calme et trop présent pour être accidentel. L’image l’avait hanté. Il l'avait observé, pendant des heures.
Anton. Il ne savait pas encore pourquoi ce nom lui était venu. Il n’y avait aucun indice, aucun fichier. Mais quelque chose en lui, viscéral, indiscutable, savait. C’était lui. Il avait pris Maëline pendant neuf heures et quarante-quatre minutes. Et ce qu’il avait laissé derrière n’était pas sa sœur. C’était un corps qui marchait encore, mais sans le feu qu’elle portait en elle. Maëline avait toujours été plus vivante que lui. Plus brillante, plus entière. Elle portait le monde comme un défi, là où lui n’y voyait qu’une scène vide. Elle avait été son ancre, sa seule vérité dans un théâtre d’ombres. Il savait que c'était quelque chose de plus obscur, de plus instinctif. Une obsession déguisée en lien fraternel. Et maintenant, elle était brisée. Il ne pouvait pas l’accepter. Il ne le permettrait pas. Alors il s’était levé. Il avait rassemblé ses notes. Il avait collé les horaires sur le mur de sa chambre. Il notait tout. Les anomalies, les laps de temps manquants. Il étudiait la manière dont Maëline respirait, les instants où ses mains tremblaient, les micro-expressions de panique contenue. C'était plus qu'une enquête.
Il n’irait pas à la police. Il n’attendrait pas que quelqu’un d’autre comprenne. Ce nom qui s’était imposé à lui comme une vérité sans preuve. Il allait le traquer. Et quand il le retrouverait, il lui montrerait ce qu’on devient quand on vole ce qui appartient à un esprit malade. Ce qu’on récolte lorsqu’on joue avec la psyché d’un homme qui n’a plus rien à perdre. Maëline lui appartenait. Et personne, absolument personne, n’avait le droit de la briser.
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