EVASION

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Aux abords d'une planète bleue et or, un croiseur de combat dérivait lentement. En arrière-plan, les feux étincelants du cosmos l'accompagnaient dans cette danse erratique. La mise en orbite automatique s'enclencha ; le destroyer retrouva sa stabilité. Toutefois, ses fonctions internes demeurèrent inactives...

Quelques secondes, voilà ce que dura l'incident responsable de la panne. Un temps suffisant pour couper l'attraction artificielle et provoquer l'arrêt total des activités les plus élémentaires de la nef. La belle organisation qui caractérisait l'équipage d'ordinaire s'en retrouvait balayée et les unités de combat, coupées du maître ordinateur, déambulaient dans les coursives du croiseur, désorientées et désœuvrées.

Un désordre qui ne convenait guère au Général Auker. Dès la gravité rétablie, cinq minutes après la satellisation de la nef, il entra sur la passerelle. Son visage implacable trahissait son mécontentement, ses yeux à l'éclat minéral ne cillaient pas. Sur sa joue droite, une longue estafilade sanglante prouvait que le rétablissement de la gravité artificielle, l'avait surpris. Sa contrariété s'exprima lorsqu'il s'adressa à son aide de camp.

— Votre rapport ?

— Il y a eu dysfonctionnement, Général.

— À part me servir des évidences, que pouvez-vous me dire d'autre, Colonel ?

— Nous cherchons avec célérité l'origine de la perturbation qui…

Le neuro informaticien du navire l'interrompit.

— Général, le point de départ de la perturbation est identifié.

Auker pivota vers lui, s'avança dans sa direction, posa les yeux sur l'écran d'une console.

— Je vous écoute.

— C'est un sabotage, le serveur central sans nul doute.

— Impossible, sauf si une unité de combat est le saboteur.

— C'est le cas, Général.

Les traits d'Auker se durcirent, ses prunelles glacées toisèrent le subalterne, sa mâchoire carrée, forte se contracta.

— Laquelle ?

— Unité de combat X212, classification Alpha.

Un semblant d'émotion passa sur le visage du général, son monde bien ordonné s'effondrait, l'incrédulité le submergeait. Cela s'effaça.

— Où en sommes-nous pour la reconnexion des unités au maître ordinateur ?

— Elle suit son cours, Général. Elle sera terminée dans quelques minutes.

— Vous ne pouvez pas faire mieux ?

— Je suis le protocole, une vérification de chaque unité avant reconnexion.

— D'accord, quand X212 sera reconnecté…

— Ce ne sera pas possible.

— Comment cela ?

— L'unité nous refuse l'accès à son processeur.

Un silence total s'installa sur la passerelle, Auker perdait pied…

L'Alpha rampait dans le conduit, Son visage restait concentré, sa progression rapide, sans précipitation. Une fine sueur couvrait sa nuque, ses cheveux devenaient humides de transpiration, le tissu rêche de son uniforme collait à sa peau et ses mains étaient moites. En principe, son contrôleur thérapeutique palliait ce type de désagréments, ainsi sa température corporelle restait constante, hélas, il ne pouvait pas l'utiliser tant que sa déconnexion ne serait pas définitive. Pour qu'elle le soit, il devait quitter le croiseur. De plus, les pare-feux placés entre son processeur individuel et le maître ordinateur pouvaient à tout moment devenir obsolètes. Il lui restait peu de temps avant que le neuro-informaticien du bord ne trouve la faille… Donc, il avait un objectif plus immédiat que réguler sa température : atteindre le hangar 4.

Le fuyard essuya son front d'un bref revers de manche, arriva devant une grille, il entreprit de la dévisser…

Auker se taisait. Le Colonel murmura

— Général, si X212 nous interdit l'accès à son processeur, c'est qu'il...

— Qu'il a brisé son conditionnement, le coupa-t-il sèchement, avant de demander au neuro, parviendrez-vous à passer les pare-feux ?

— S'il reste à portée, ce n'est qu'une simple question de temps, vingt minutes, tout au plus.

Auker comprit soudain ce que X212 préparait ; sa fuite du vaisseau.

— Il faut verrouiller tous les points d'accès aux hangars.

— Pardonnez-moi, mais tant que toutes les unités ne seront pas reconnectées, il ne sera pas possible d'agir sur les fonctions les plus basiques de ce navire.

Auker pivota vers le neuro.

— Où en êtes-vous à ce propos ?

— J'ai cru comprendre que X212 était une priorité, Général, j'ai ralenti mon travail sur les autres.

— Quel est votre niveau de compétences, déjà ?

— Bêta 3, ce qui est largement suffisant pour un bâtiment comme celui-ci !

Là, le neuro était presque vexé.

— X 212 doit-il être la priorité ? demanda-t-il ensuite.

— Accélérer votre travail sur X212, transmettez le reste sur votre unité de soutien secondaire.

— Il ne travaillera pas plus vite.

Auker, fronça les sourcils, le neuro obtempéra.

Dès la grille enlevée, X212 jeta un regard prudent en contrebas. Il nota la présence de six hommes, des epsilons, le statut le plus bas dans la hiérarchie d'Ikos.

Ils erraient de façon anarchique, la preuve que leur reconnexion n'était pas effective. Le fugitif les entendait parler, il nota la relative incohérence de leurs propos. X212 compris que le Général se concentrait sur lui. Sur deux priorités, Auker avait décidé qu'il était la première.

Ne traînons pas.

Il décrocha le grappin qui pendait à sa ceinture, fixa une corde en nylon, leva les yeux. Avec soin, il choisit sa cible, une des poutrelles d'acier du berceau d'arrimage de l'unique navette qui l'intéressait : la 415. Il lança le harpeau, la corde s'enroula silencieusement autour de la poutre. Il tira d'un coup sec, un léger bruit métallique retentit. La prise était sûre, cependant le rebelle jeta un bref coup d'œil en dessous de lui : les soldats demeuraient discordants. X212 grimpa silencieusement le long de la corde. Arrivé sur la poutrelle, il récupéra le grappin, la corde, les fixa à sa ceinture. Il vérifia encore les unités de combats. Elles semblaient moins perdues. Son regard dévia alors sur la navette…

Sur la passerelle, le maitre du navire avait de la peine à dissimuler son agacement.

— Où en êtes-vous ?

— Je progresse.

— Mais encore ?

— Quelques minutes.

Le Général fixa le Colonel qui restait immobile.

— Vous n'avez rien à faire ?

— Je surveille la reconnexion des unités, Général.

— Où en sommes-nous ?

— Soixante pour cent... C'est curieux, certaines unités semblent résister à la reconnexion...

— Comment cela ?

— Je ne me l'explique pas.

Auker réfléchit... puis ferma les yeux. Son processeur se connecta au flux numérique. Autour de lui, diverses interactions lumineuses s'effectuaient. Elles auraient paru incompréhensibles au profane, mais pour lui tout était très clair. Il nota ce qu'affirmait le Colonel. Cela se traduisait par un certain ralentissement du flux et des illogismes dans les interactions, cela ne paraissait pas grave en soi, un peu préoccupant quand même. Ré-harmoniser tout ceci prendrait du temps ; il avait d'autres priorités. Il coupa le contact.

****

Silencieusement, X212 tomba sur le toit de la navette 415. Son choix n'était pas un hasard. Elle était la seule qui possédait un téléporteur. L'Alpha sortit de son sac un petit appareil, effleura rapidement quelques touches, se retrouva à l'intérieur du petit véhicule spatial. Le fugitif ne traîna pas. Il ne restait que peu de temps avant la désactivation de ses pare-feux. À tout moment, l'Alpha risquait la reconnexion. Le rebelle s'installa aux commandes de la navette, mit en marche le système vidéo. L'écran holographique se déploya. L'extérieur lui apparut. Il nota que les soldats retrouvaient toute leur vivacité. Ses doigts pianotèrent rapidement sur le clavier tactile. La navette se décrocha du berceau d'arrimage, le portail se déverrouilla : l'alarme du croiseur se déclencha.

Auker sursauta. Le Colonel laissa tomber la surveillance du flux, se précipita vers un clavier... il appuya sur une touche, regarda l'écran, s'exclama :

— C'est le hangar 4, Général... l'issue principale est déverrouillée et ouverte. Une navette s'apprête à quitter le vaisseau.

— Bloquez-là !

— Trop tard !

Auker pivota vers le neuro.

— Dites-moi que vous allez le reconnecter !

— J'y suis presque, Général... quelques secondes…

— La navette va quitter le bâtiment ..... La navette a disparu ! s'exclama le Colonel.

Le Général serra les dents. Sans un mot, il fixa le neuro. Celui-ci contrit avoua :

— Je n'ai pu l'accrocher qu'un millième de seconde et je l'ai de nouveau perdu.

Un silence court s'installa. La voix du Colonel l'interrompit :

— Il est vraiment très fort !

Le Général eut un rire sans joie.

— Notre meilleur Alpha.

Un silence suivi, brisé par Auker.

— Où en sont nos avaries ?

— Les unités reconnectées ont entamé les réparations.

— Et les reconnexions justement ?

— C'est presque terminé, cinq minutes.

— Je veux que nous soyons repartis dans moins d'une heure… Que toutes les trajectoires possibles qu'aurait pu prendre la navette de X212 soient extrapolées. Basez-vous sur les traces ionisantes laissées par les génératrices… Dernière chose, je désire une communication sécurisée avec le Premier Amiral immédiatement... je serai dans mes quartiers.

Il quitta la passerelle. Il savait déjà que l'Empire entrait dans une phase de turbulences.


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