ESPAR

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Dès l'entrée dans le couloir de navigation, X212 se détendit. Il avait réussi ; de justesse cependant. L'homme avait senti son processeur neural prêt à la reconnexion. L'Alpha savait que rien n'était acquis. Le Général Auker n'abandonnerait pas ; il le suivrait où qu'il aille. Il n'avait obtenu qu'un sursis.

Toutefois, tant que son véhicule spatial restait dans le couloir, il demeurait à l'abri ; mais risquait le pire dès son émergence. L'homme sortit une carte stellaire de son sac, l'examina. Il était temps de préparer la seconde phase de son plan et sa prochaine étape : Le système indépendant d'Espar.

*

Auker attendait toujours sa communication, quand le Colonel lui demanda de revenir sur la passerelle. Le Général y arriva au moment où son aide de camp parlait au navigateur.

— Vous avez pu déterminer sa destination ? demanda-t-il

Le Colonel pivota vers Auker

— Oui...

Auker s'avança vers la carte holographique déployée par le navigateur. Le Colonel désigna un point précis.

— Toutes les extrapolations désignent Maris 6.

— Vous êtes sérieux, il se dirigerait droit sur une de nos colonies ? Vous pensez qu'il est stupide ?

Il était presque amusé ; pourtant, il n'avait pas le cœur à rire.

— Général toutes les projections indiquent cette destination... Il a peut-être fait une erreur de trajectoire.

— Vous devriez savoir qu'un Alpha de sa qualité ne commet pas d'erreur. Il n'y a qu'à voir avec quelle facilité il est parvenu à briser son conditionnement.

Il s'avança.

— Transmettez à mon processeur les graphiques énergétiques des rejets ionisants de sa navette.

Ainsi, tout en examinant du regard les cartes stellaires, il étudia, via le flux, les relevés d'énergie. Il resta un long moment silencieux avant de désigner un point précis.

— Ici !

Le Colonel, incrédule s'exclama :

— Le système indépendant d'Espar ?

— Exactement !

— J'espère que vous avez tort, Général.

— Pourquoi ?

— Nos relations avec cet état sont... compliquées.

— Beaucoup moins depuis la signature du traité.

Bien que sceptique, le colonel n'insista plus.

— Où en sont les réparations ? demanda Auker.

— Nous pourrons repartir dès que vous en donnerez l'ordre.

— Et ma communication avec le Premier Amiral ?

— Des interférences, nombreuses dans ce secteur, nous empêchent d'obtenir une liaison stable et claire.

Le Général toisa son subalterne.

— Cap sur Espar.

Il quitta la passerelle.

*

X212 savait que son délai de grâce s'achevait. À moins que, chose très improbable, le général ne se soit laissé piéger par son brouillage.

Il enclencha le pilotage automatique, puis passa sa main derrière sa nuque. Ses doigts effleurèrent le circuit de contrôle du processeur neural greffé à son cerveau. Il le dégagea de son logement.

Il se sentait prêt à se déconnecter définitivement du collectif.

Plus tard la navette émergeait aux abords d'Espar ; la mise en orbite fut automatique. Le croiseur d'Auker se trouvait dans son sillage. Le stratagème du fuyard ne l'avait pas berné ; le timing devenait de plus en plus serré.

L'Alpha rassembla ses affaires et souleva le cache qui dissimulait les délicats circuits de la console directionnelle. X212 avait l'intention de détruire le véhicule spatial. Celui-ci n'avait pas de dispositif d'autodestruction. Il devait donc provoquer un déséquilibre afin qu'il explose.

S'il y parvenait, il n'aurait que quelques secondes pour se téléporter à la surface de la planète. Il risquait bien d'être vaporisé en même temps que la navette. Il préférait cela, plutôt qu'être repris. Le rebelle cessa de penser à cette perspective peu réjouissante et se remit au travail.


*

La nef d'Auker émergea à l'instant précis où X212 terminait de déséquilibrer la console directionnelle. L'explosion était imminente. Il n'eut que le temps de se placer sous le téléporteur.

Dans le croiseur, le Général ordonnait :

— Mise en route du rayon tracteur.

Le navigateur s'apprêta à obéir, cependant sur son écran de contrôle un message d'alerte apparaissait.

— Général, il y a un problème !

— Lequel ?

— La navette semble en phase d'autodestruction !

— Quoi ?

— Par ailleurs, je viens de capter une onde énergétique... de téléportation et...


Le visuel de la déflagration l'interrompit. Le Général, sans émotion apparente, fixait l'écran. Sur la passerelle, la consternation et le silence était palpable. Auker le brisa.

— Est-il possible de localiser l'onde de téléportation ? De trouver sur quelle région, elle a été dirigée ?

— Je vais essayer, mon Général dit le navigateur.

Il effectua quelques recherches et déclara :

—L'explosion a masqué et vaporisé les traces de téléportation trop tôt. Tout ce que je peux affirmer, c'est qu'X212 pourrait se trouver dans l'hémisphère nord.

Auker pivota vers le neuro :

— Tenter la reconnexion.

Il essaya durant de longues minutes, avant de secouer la tête.

— Je ne parviens à aucun résultat, Général.

Le Colonel osa suggérer :

— Il est peut-être mort ?

— Je n'y crois pas une seconde, blessé sans doute, il a dû ressentir l'onde de choc en retour, mais mort sûrement pas.

— Nous pouvons envoyer une escouade, en toute discrétion, pour tenter de le trouver ?

— Vous plaisantez ? Espar est un monde indépendant avec lequel l'Empire a signé un traité.

— Les voies diplomatiques, alors ?

— Oui... les voies diplomatiques !

Il eut un rire sans joie.

— Quel superbe Alpha !

Il demanda :

— Communiquer avec l'Empire est-il possible à présent ?

— Oui, Général !

— Alors, je vais demander des instructions à l'état-major. Je veux une liaison dans cinq minutes dans mes quartiers... D'autre part, j'exige un diagnostic complet de ce bâtiment, soldats y compris... Peut-être aurons-nous des réponses quant au comportement hors normes d'X212.

— Cela va nous prendre des heures !

— Quelle importance ? J'ai l'impression que nous ne sommes pas près de quitter l'orbite d'Espar.

Il s'en alla de la passerelle sur ces mots... Tous se mirent à l'ouvrage.


Hémisphère nord d'Espar

Il ouvrit les yeux. Son esprit était empli de confusion, son corps envahi d'une douleur diffuse, mais réelle. Un visage était penché sur au-dessus de lui. Au milieu de ses incertitudes, il eut une pensée fulgurante : il n'en avait jamais vu d'aussi beau ; yeux noirs, vifs et intelligents, traits délicats, nez fier et lèvres bien ourlées. Des effluves parfumés, mêlés à des odeurs de désinfectants l'assaillirent.

Un linge frais se posa sur son front et une voix agréable s'adressa à lui :

— Comment vous sentez-vous ?

— Je...

Il découvrit qu'il avait la gorge sèche et douloureuse. Un verre fut porté à ses lèvres. La personne qui s'occupait de lui l'aida à se redresser et lui conseilla :

— Buvez lentement, ce n'est pas très bon, mais cela vous redonnera des forces.

La voix de l'inconnu, douce et caressante, l'incita à obéir : une saveur âcre ; il grimaça, mais se força à tout avaler. Une fois redéposé avec précaution sur des oreillers moelleux, il parvint à dire :

— Qui êtes-vous ?... Où suis-je ?

— C'est moi qui devrais le demander... Vous êtes brusquement apparu sur le pas de ma porte, enfin si l'on peut dire... vous êtes sur mes terres.

— Vos terres ?

— Ma propriété, je gère une ferme... Et vous, qui êtes-vous ?

— Vous vivez seul ici ?

— Rassurez-vous, personne ne sait que vous êtes ici ; ma propriété est très isolée. De plus, il neige abondamment....

Naël replongea le linge dans l'eau fraîche et baigna de nouveau les tempes du rebelle.

— Je comprends votre prudence ; je suppose qu'un soldat de l'Empire d'Ikos, si loin de sa patrie, doit avoir une bonne raison pour se réfugier ici, enfin, je veux dire, sur cette planète.

— Comment... ?

— Le circuit de contrôle de votre processeur neural ; en vous soignant, je l'ai remarqué... Je vis dans un secteur isolé, mais je me tiens au courant. Reposez-vous à présent, vos blessures cicatrisent vite. Vous étiez gravement brûlé, sans doute que les ondes de téléportation qui vous ont conduites ici ont été perturbées par un accident quelconque, une explosion peut-être ?

L'homme n'eut qu'un vague sourire en réponse, puis une fatigue extrême le submergea. Il ferma les yeux. Naël continua à baigner son front.

— Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité ici. Dormez...

Sans résistance X 212 se laissa bercer par les inflexions apaisantes et chaleureuses de cette voix ; il glissa dans un profond sommeil...

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