ENTENTE CORDIALE ET SOUVENIRS PASSÉS

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Ce soir-là, Capitale d'Harïa

Une réception officielle était donnée au sein du Palais Présidentiel, en l'honneur des représentants de l'Empire d'Ikos. Le Général Auker en grande tenue, apparemment fort détendu, était parfait de convivialité. En réalité, il ne se sentait guère à son aise au milieu de ces dignitaires un peu trop aimables, distribuant sourires affables et courbettes excessives...

"Quelle bande d'hypocrites !" pensait-il.

Un seul échappait à ce jugement : le ministre de la défense. Celui-ci, bien qu'il restât poli, ne pouvait dissimuler au Général Ikosien qu'il aurait préféré le savoir à des années-lumière de sa planète.

Le Colonel chuchota au Général :

— Décidément, Dreen nous déteste.

Auker répondit en souriant :

— J'aime bien cet homme, avec lui pas de faux-semblants.

Le Colonel admit :

— C'est vrai.

Auker contempla Dreen puis, brusquement dit au Colonel :

— Attendez-moi ici.

À grands pas il s'approcha de Dreen. Celui-ci en voyant arriver le Général, faillit s'éclipser. Il se rappela, juste à temps en l'honneur de qui la réception était donnée. Alors, il s'apprêta à faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Il accueillit Auker avec la phrase suivante :

— Alors, Général, vous appréciez cette soirée ?

— Disons que l'intention de la donner en notre honneur nous touche.

Dreen, surpris, le scruta, puis il eut un léger sourire et répliqua :

— Est-ce une façon polie de me dire que vous trouvez tout ce monde peu intéressant ?

— Cela est votre interprétation. C'est à vous de voir.

— En fait, je ne vous jetterai pas la pierre de le penser.

— Cependant, permettez-moi d'ajouter que vous ne ressemblez pas à tous ces gens.

— En quoi est-ce que je diffère d'eux ?

— Vous ne cachez guère que vous ne nous appréciez pas. Mais, je ne vous en veux pas. J'apprécie la franchise et je déteste l'hypocrisie !

Dreen, un peu étonné, s'entendit répliquer :

— Vous arriveriez presque à me faire changer d'avis sur vos semblables.

— Sur nos marionnettes décervelées ?

— Entre autres.

Auker réfléchit quelques secondes, puis déclara :

— Écoutez, je comprends vos réserves ; croyez bien que si la situation était inversée, je me méfierais également, comme tout bon militaire soucieux de servir sa patrie. Cependant dans l'immédiat, il est nécessaire que vous mettiez vos réserves de côté, afin que nous puissions travailler ensemble à la capture de l'Alpha X212.

— Jusque-là, je suis d'accord ! Que proposez-vous ?

— Un réel échange d'informations et de moyens. J'ai besoin de vous et vous avez également besoin de moi, admettez-le !

Le ministre à son tour, réfléchit avant d'admettre :

— C'est un marché qui me paraît honnête. Cela englobe un accès à ce nouveau matériel que vous avez reçu ce matin ?

— Il s'agit d'un détecteur expérimental. Il nous a permis de rétrécir le champ d'investigations à la seule région de Hargeria.

Alerté, Dreen répéta :

— Hargeria ?

— Oui, vous connaissez cette région ?

— C'est là que mon enfant réside.

Auker le contempla, puis conclut :

— Eh bien, je crois que nous avons des intérêts communs dans l'affaire qui nous préoccupe, Excellence.

Dreen ne put que répondre :

— Il semblerait bien, en effet !!

Il attrapa deux coupes de champagne au vol sur un plateau qu'un serveur portait, en offrit une à Auker, l'entraîna à l'écart, et demanda :

— Quelles sont vos propositions ?

Satisfait l'ikosien débuta ses explications...

******

Propriété de Naël

Ils s'étaient installés pour la soirée devant l'âtre de la cheminée du salon, sur des coussins et une fourrure d'ours noir que l'époux de Nael avait tué, lors du premier hiver qu'il avait passé à la ferme.

Ils discutaient à voix basse, tout en dégustant les restes d'une pâtisserie qu'Obi avait confectionnée à l'occasion du dîner. Justement, Naël terminait de raconter au rebelle les circonstances de la mort de l'animal. 

" ...Quaïtir a bien failli être égorgé, enfin, d'après ce qu'il m'a raconté. Il ignorait comment, alors que les ours hibernent en cette saison, celui-ci a bien pu se perdre sur la propriété. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il est intervenu, la bête avait défoncé la porte d'une étable et tué quatre moutons. Heureusement que mon conjoint n'était pas seul ; à ce moment, comme il commençait la diversification de l'exploitation, il employait un homme du village. À eux deux, ils ont réussi à chasser l'animal de l'étable. Leur intention première n'était pas de le tuer, mais de l'inciter à regagner le couvert des bois. Cependant, l'ours a fait volte-face et leur a foncé dessus. Quaïtir a eu une réaction instinctive, il a brandi son fusil et alors que ce monstre allait l'attaquer, il l'a abattu. La chance a voulu qu'il le touche en pleine tête. Il s'est écroulé presque aussitôt, sur Quaïtir. Dans sa chute, il a touché mon époux. Il a gardé toute sa vie une cicatrice à la jambe droite..."

Le jeune être en terminant son récit, les yeux quelque peu embués.

Xavier admiratif dit :

— C'était quelqu'un de fort et courageux

— C'était un homme exceptionnel. Quand il m'a raconté son histoire, nous venions de nous marier et je ne résidais ici que depuis une semaine.

Curieux, Xavier demanda :

— Tu ne m'as pas dit où tu l'avais rencontré ?

— Lors de nos études à Harïa.

— Vous avez été à la même université ?

— Non, Il était à celle de technologie appliquée, moi à celle d'économie. Celles-ci étaient à côté l'une de l'autre et les étudiants, après le dernier cours de l'après-midi, se retrouvaient tous au même endroit : Le Colibri. C'était un café dans lequel nous aimions à nous réunir et à débattre sur tous les sujets et changer le monde en paroles, si ce n'est en actes. Quand je l'ai vu la première fois, j'entamais à peine ma seconde année d'études et lui commençait sa dernière. En fait, il m'avait déjà remarqué, mais il n'osait pas m'approcher.

— Pourquoi ?

Naël eut un léger rire avant de répondre :

— C'était un grand timide. Il ne l'aurait jamais admis devant ses amis, mais c'était le cas. En fait, c'est l'un d'eux qui l'a mis au défi de m'inviter à leur table... Il l'a fait.

Naël eut un sourire rêveur en ajoutant :

— Dès que son regard a accroché le mien, j'ai craqué. Il avait les yeux très doux, mais aussi emplis de force et un sourire ravageur. Derrière son assurance, j'ai tout de suite vu qu'il possédait une grande sensibilité. Le premier soir, nous avons longuement parlé au Colibri, jusqu'à onze heures et demie, jusqu'à ce que mon portable sonne...

Xavier eut un léger sourire et murmura :

— Et qui était cette personne ?

— Mon père... qui s'inquiétait et se demandait bien où j'étais passé. J'avais quinze ans et notre histoire a commencé. Durant cette année-là, nous nous sommes vus souvent, puis il a terminé ses études et a quitté la capitale pour cette ferme. Les trois années suivantes, nous nous sommes à peine vus, nous avons correspondu régulièrement. Lors de la remise des diplômes, il était là ; c'est ce soir-là qu'il m'a demandé en mariage.

— Ton père a accepté facilement ton choix ?

— Il m'a toujours laissé libre de mes choix. Je n'ignore pas qu'il aurait préféré que j'épouse un homme, de préférence fortunée, qui m'aurait installé dans une maison douillette des beaux quartiers de la capitale, où mon seul souci aurait été d'élever mes enfants. Cependant, lorsque je lui ai présenté Quaïtir, le courant est passé tout de suite entre eux. Il a senti qu'il était honnête, courageux, et travailleur, qualités primordiales pour mon père et, il me l'a dit plus tard : "C'est un homme bien ton Quaïtir" ... Ça, je le savais déjà.

Il s'assombrit légèrement en poursuivant :

— Sa mort a été un coup dur pour moi ; durant quelques semaines, je ne savais plus quoi faire. J'attendais Lita, la ferme était en pleine expansion, mais la trésorerie au plus bas. J'ai décidé de poursuivre l'œuvre de Quaïtir... Mon père n'a évidemment pas approuvé, mais il m'a soutenu... et puis, voilà, j'y suis parvenu !

Xavier caressa la joue de Naël avant de dire :

— Toi aussi, tu es très courageux !

L'être double haussa les épaules. Il piocha quelques miettes dans l'assiette, à présent vide, puis il s'enquit soudain :

— Et si tu me parlais de toi ?

— Moi... tu sais... je n'ai pas grand-chose à dire... Je suis un soldat et la vie d'un soldat est simple. Un soldat d'Ikos se lève à cinq heures, exercices divers dans la journée et extinction des feux à vingt et une heures trente. Enfin quand il n'y a pas de conflit, ce qui est plutôt rare.

— Dis-moi, toi qui es un Alpha, les meilleurs d'après ce qu'il se dit, les autres, quelles sont leurs dénominations ?

— Tu veux que j'en vienne à la hiérarchie ?

Il se redressa en disant :

— D'abord, commençons par le commandant supérieur, les Amiraux, chefs suprêmes des armées d'Ikos ; ensuite, les Généraux, qui se partagent le commandement des divers régiments. J'étais pour ma part, placé sous l'autorité d'Auker. Après viennent les Colonels qui sont les bras droits des Généraux. Eux sont tous d'anciens Alpha qui, par leurs actions, ont obtenu le droit de porter un prénom. Puis viennent les Capitaines, les Lieutenants, les Chefs d'Escadron ; j'étais un des Chefs d'Escadron. Ceux-ci sont des Alphas. Les soldats du rang se subdivisent en quatre catégories : il y a les Alphas qui viennent de quitter le statut de juvénile, puis les Beta, les Gamma, et enfin les derniers sont les Epsilon. Ceux-ci ne monteront jamais en grade. Ce sont eux qui sont envoyés en première ligne.

Il précisa :

— Si je ne m'étais pas rebellé et, bien que personne n'ait pris la peine de m'informer, je sais qu'avec le temps j'aurais été amené à faire partie des officiers de l'Armée Ikosienne.

— Et comment le sais-tu ?

— C'est là la destinée des Alphas. Je ne sais pas si j'aurai été lieutenant, capitaine, colonel ou même général, mais à présent, cela n'a plus d'importance.

Il embrassa les lèvres de Nael en précisant :

— Ma seule ambition, c'est que tu continues à m'aimer.

Nael sourit et assura :

— Tu n'as pas à t'inquiéter, je t'aimerai toujours.

La pendule du salon égrena à ce moment-là douze coups. Nael dit :

— Minuit, il va falloir aller se coucher.

Xavier, le premier se leva. Il aida le jeune être à faire de même puis, c'est tendrement enlacé qu'ils rejoignirent leur chambre, ignorant les dangers qui les attendaient et qui, au sein de la capitale d'Haïra se précisaient....

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