L'ÉTAU SE RESSERE

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Capitale d'Haïra, Cabinet du Chef du Gouvernement

Surpris, le Premier Ministre fixa Dreen puis, il eut un léger sourire avant de dire :

— Que ce soit vous qui me demandiez cela, me stupéfie, mon cher Dreen, je croyais que vous ne leur faisiez pas confiance ?

— C'est encore le cas. Je dois admettre également que, sans eux, ce soldat risque de ne jamais être retrouvé. Par ailleurs, nous sommes à présent sûrs que leur Alpha se trouve dans la région d'Hargeria...

Le Premier Ministre le coupa :

— Et votre enfant réside dans la région d'Hargeria.

— Il est vrai que je me fais du souci pour lui.

— Vous devriez inciter Naël à rejoindre la capitale le temps que toute cette affaire se tasse.

— Je le lui ai déjà dit, mais il est têtu comme une mule ; il assure que le climat même de la région est une protection contre n'importe quel agresseur et que, le cas échéant, ses robots pourront le protéger.

Le Premier Ministre se permit de sourire et de dire :

— Il n'est pas votre enfant pour rien, apparemment il a de qui tenir.

— C'est exact.

— Je comprends vos inquiétudes, mais permettre au Général de débarquer ici une escouade de dix hommes afin de fouiller la région d'Hargeria est risquée. Vous savez comme moi ce que nous dissimulons là-bas. Les Ikosiens peuvent découvrir notre base secrète.

— Jusque-là, ils n'y sont pas parvenus.

— Il n'en sera pas de même s'ils sont sur place.

Le ton du Premier Ministre était ferme. Dreen ne sut que répondre. Son vis-à-vis conclut :

— De toute façon, c'est au Président de décider. Or, je doute qu'il soit favorable à une telle proposition, même si elle vient de vous.

— Que nous reste-t-il comme option ?

Le Premier Ministre réfléchit avant de suggérer :

— L'idée de fouiller la région n'est pas mauvaise, mais ce sont des hommes à nous qui le feront. Vous contacterez le Général Broïr de la Base 430. Puisqu'ils sont sur place, autant que ce soit eux qui fassent le travail.

— Quelles sont leurs prérogatives ?

— Illimitées, dans la mesure où la population ne sera pas perturbée. Cependant, ils auront le droit de perquisitionner.

Ils continuèrent à parler de cela encore un moment. Lorsque Dreen quitta le cabinet du Premier Ministre, il n'était toutefois qu'à moitié satisfait. Il réfléchit quelques instants avant de prendre la décision suivante : "Je dois parler à Auker."

Il se dirigea à grands pas vers les appartements de l'Ikosien.


Propriété de Naël

Ils rentrèrent des serres vers midi. Xavier portait un cageot de légumes qu'il posa à la cuisine. Obi dit à cet instant au jeune être :

— Monsieur, votre père a appelé. Il demande à ce que vous le rappeliez le plus vite possible.

— Qu'est-ce qu'il voulait ?

— Il ne m'a rien dit, Monsieur. Il vous suggère d'allumer le tridi.

Xavier s'étonna :

— Tu en as un ?

— Oui, mais je le regarde très rarement, par manque de temps....

Il se dirigea vers un meuble du salon dont il ouvrit les portes. Il en sortit un petit appareil rectangulaire, le brancha, le régla puis l'alluma. L'image d'un groupe de chanteurs envahit la pièce. La musique violente et syncopée fit grimacer Xavier.

Naël changea de chaîne ; cette fois, c'est l'image d'un journaliste qui se déployait et qui terminait un sujet en disant :

"... Le dossier devrait être présenté au Sénat le mois prochain.. Sécurité : les autorités cherchent toujours le soldat Ikosien qui se serait réfugié sur notre planète. Il échappe encore aux diverses investigations. Malgré les appels à témoins, il n'a pas pu être localisé... Le ministre de la Défense a décidé de passer à la vitesse supérieure. Grâce aux efforts conjugués des officiers d'Ikos et d'Espar, le champ de recherches a pu être réduit à la seule région d'Hargeria. Des barrages seront donc dressés sur tout ce territoire dès aujourd'hui. L'armée déploiera des soldats qui ratisseront la région et seront autorisés à perquisitionner dans toutes les maisons, immeubles, entreprises ou bâtisses dans lesquelles le fugitif aurait pu se réfugier. Nous rappelons que cet homme est dangereux, qu'en aucun cas vous ne devez tenter de l'arrêter vous-même. Si vous le voyez, appelez le numéro qui s'inscrit sur votre écran... La plus extrême prudence doit être observée.

Société ... L'expérience de Garna est en passe d'être étendue..."

Naël venait d'éteindre l'appareil. Il fixa Xavier qui, la gorge serrée, se taisait. L'hermaphrodite demanda :

— À ton avis, comment ont-ils pu savoir dans quelle région, tu étais ?

— Grâce aux traces ionisantes de la téléportation. En théorie, l'explosion a dû brouiller suffisamment les traces pour qu'ils ne puissent pas me localiser avec exactitude... Ils ont dû utiliser un matériel spécial afin de rétrécir le champ d'investigation. Je crois savoir qu'un tel outil était à l'étude dans les laboratoires militaires de l'Empire.

— Ce qui m'inquiète davantage, c'est cette histoire de perquisition. Encore faut-il qu'ils montent jusqu'ici !

Il rejoignit l'homme et fixa la fenêtre. Xavier suivit son regard. La neige tombait encore et toujours. Nael reprit :

— D'après ce que je sais, nos militaires pourraient se risquer à affronter les intempéries.

Xavier objecta alors :

— En tous les cas, si ton gouvernement autorise le débarquement de soldats Ikosiens, eux n'hésiteront pas.

Il y eut un silence, brisé par l'arrivée d'Obi : " Le dîner sera bientôt prêt, Monsieur."

Naël répondit : "Nous arrivons."

Ensuite, il dit à Xavier :

— Va t'installer, je vais appeler mon père. J'arriverai peut-être à lui soutirer quelques informations.

L'homme acquiesça et gagna la cuisine. Naël, quant à lui, décrocha son unité de communication et composa le numéro du bureau de Dreen.

Naël gagna la cuisine dès son appel passé. Il s'installa à la table. Lita avait presque terminé son assiette et Xavier attendait le retour de son amant, qu'à présent Il interrogeait du regard, sans oser poser aucune question. Naël s'adressa tout d'abord à Obi :

— Tu peux servir.

Le robot obéit. Ils commencèrent le premier plat. L'hermaphrodite révéla enfin :

— Officiellement, l'Empire d'Ikos n'est pas autorisé à débarquer des hommes à eux sur la région. D'après ce que mon père a bien voulu me dire, ce sont des soldats Espariens qui effectueront les recherches.

— Nombreux ?

— Je l'ignore. Je n'ai pas osé poser trop de questions. Il m'a demandé une fois encore, de rejoindre la capitale. J'ai prétexté l'arrivée des soldats pour refuser, en assurant que leur présence réduisait d'éventuelles menaces. Je ne sais pas si je l'ai convaincu.

— Tu as dit qu'officiellement l'Empire n'était pas autorisé à intervenir. Cela, veut-il dire que ton père, officieusement, pourrait le permettre ?

— C'est une possibilité, d'autant plus qu'il a peur pour moi ! Néanmoins, il attendra de voir, si ses hommes obtiennent des résultats.

Xavier assura :

— C'est aussi ce que je ferais.

L'homme commença à manger. Naël fit de même. Chacun de leur côté, ils réfléchissaient. Naël dit soudain :

— Au pire, si mon domaine est perquisitionné, je dispose d'un endroit pour te cacher.

— Vraiment ? Où exactement ?

— Près de mes étables. Quaïtir avait prévu une diversification. Il voulait élever des races à viande, ne pas se contenter de vaches laitières. Dans ce but, il avait commencé à aménager des chambres froides en sous-sols. Quand il est mort, la première était presque terminée. Il ne manquait que le thermostat. Je n'ai pas repris le projet, mais la chambre froide est toujours là. Elle est sous un hangar et je l'ai fait recouvrir de terre. Elle est quasiment invisible. Ce serait idéal pour te cacher. Bien évidemment, il y fait très froid, mais tu te couvriras en conséquence.

— C'est une bonne idée. Encore faut-il que nous ne soyons pas pris par surprise.

— Avant de perquisitionner chez moi, ils le feront au village. J'en serais donc averti.

— Tu es sûr ?

— Certain.

Xavier soupira puis demanda :

— En tant qu'enfant du ministre de l'Intérieur, tu ne pourrais pas éviter cette perquisition ?

— Oui, mais cela paraîtrait suspect. Par ailleurs, je ne me suis jamais servi du statut de mon père pour obtenir des faveurs. Les Dieux seuls savent pourtant, combien j'en aurai eu besoin auprès des banques... Pour moi, c'est une question de principes.

— Je comprends.

Xavier recommença à manger. Naël fit de même. Soudain l'homme dit :

— Je voudrais que tu me pardonnes.

— À quel propos ?

— Je suis venu compliquer ton existence.

L'être-double s'exclama :

— Absolument pas !

Il sourit, posa sa main sur la sienne et reprit :

— Tu es venu l'éclairer, bien au contraire. Je franchirai les obstacles avec toi. Jusqu'ici, je ne me suis jamais laissé décourager. Je ne vais pas commencer aujourd'hui.

L'homme contempla ce visage si beau à cet instant, et empli de détermination farouche. Naël ajoutait :

— La fatalité m'a déjà pris un homme, je ne la laisserai pas m'en voler un second. J'ignore ce que l'avenir nous réserve, mais je sais une chose, c'est que nous serons ensemble pour affronter les épreuves qui nous attendent.

Ému l'homme dit :

— Tu es merveilleux !

— Toi aussi !

Ils se sourirent, leurs mains s'étreignirent brièvement, puis se désunir. Ils reprirent leurs repas. Obi vint chercher Lita qui avait terminé le sien. Il l'emmena, il était l'heure pour le bébé de dormir.

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