LE REBELLE PRENDS L'OFFENSIVE

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Dans la réserve

Admiratif, Xavier s'exclama :

— Dis-moi, c'est une mine d'or ici !

— Je dois admettre que je suis assez conservateur. Je ne jette rien. J'espère que cela pourra te servir. Je ne suis pas sûr que tout soit en état de marche...

Xavier, qui avait commencé à fouiller, répliqua :

— Je suis sûr que si... voyons... lecteurs optiques, circuits numériques, puces de mémoire... pas mal du tout !

Naël atténuant son excès d'enthousiasme objecta :

— Tu sais, la moitié de ce matériel est hors d'usage, c'est pour cela que je l'ai entreposé ici.

— Tout est recyclable.

Il demanda :

— Tu as des cellules d'énergie d'avance ?

— Je n'en manque pas car, lorsque l'on vit sous ce climat, on n'est pas à l'abri des coupures de courant, surtout l'hiver.

Il précisa :

— Par ailleurs, mon époux, avant sa mort, avait passé une commande ; quand je les ai reçues, j'ai découvert qu'il s'était trompé sur le bon de commande ; au lieu de 150, dix fois plus m'ont été livrées, j'aurais pu les renvoyer, j'ai préféré les garder.

— Tu es tranquille pour les 20 ans à venir.

Naël, en parlant avait ouvert un placard en fer, il en sortit un carton qu'il posa sur une table. Il conclut :

— Il m'en reste 1450 !

L'homme continua à inspecter minutieusement la réserve. Il effectua un premier tri. Naël demanda :

— Que veux-tu faire au juste ?

— Des caméras, des détecteurs de mouvements, des alarmes visuelles silencieuses. Pour les pièges, j'hésite. Bien évidemment, je devrai arriver à rendre tout ceci invisible et indétectable, une fois installé bien sûr.

Il sortit du sac qu'il avait emporté lors de sa fuite quelques outils, il conclut :

— Au travail !

Naël hésita puis dit :

— Bon, je vais faire un thermos de café, et préparer quelques en-cas.

Il quitta la réserve. Xavier débuta son ouvrage.

*****

En fin de matinée, Xavier avait déjà monté deux caméras, plus deux détecteurs optiques. Il savait qu'il lui en faudrait beaucoup plus, mais c'était un bon début.

Il comptait placer celles-ci, aux abords même de l'habitation de l'hermaphrodite. Ainsi, il verrait venir les visiteurs indésirables de loin !

Il avait aussi élaboré un écran trivisuel portatif. Il l'avait suffisamment miniaturisé pour qu'il puisse le fixer sur son œil droit, et avait eu soin de connecter ce matériel à son processeur neural. Xavier comptait faire de même avec celui qui suivrait, ainsi commanderait-il ces divers appareils par la pensée. Il dit à Naël :

— Je vais installer cela, et faire quelques essais.

Le fugitif enfila sa parka, son bonnet et des mitaines et emportant son matériel, sortit dehors. Par chance, s'il neigeait encore, le vent était tombé, et le froid s'avérait moins intense. Il se dépêcha de tout installer et rentra dans l’habitation.

L'ex-soldat posa devant son œil, l'écran, ferma les yeux et pensa : "Connexion globale". Et ensuite :" Caméra une".

L'image du chemin enneigé menant au village lui apparut. À distance, il effectua la mise au point, fit la même chose pour la seconde caméra. Il avait fixé celle-ci dans un arbre aux feuilles persistantes, sur une petite éminence qui dominait légèrement la propriété de Naël. Elle donnait une vision d'ensemble, grâce à un mouvement circulaire lent et permanent. En dernier, Xavier connecta les alarmes et détecteurs optiques. Il ôta l'écran de son œil, en déclarant à l'hermaphrodite :

— Tout est opérationnel, il ne me reste plus qu'à continuer...

Il se remit au travail.

Dès ce soir-là, Xavier avait terminé la première partie de son plan. Pas moins de 10 caméras et autant de détecteurs de tous types, couvraient l'ensemble de la propriété, plus un périmètre supplémentaire de 10 km autour. Il avait emprunté le traîneau de Naël pour effectuer ce travail, poussant jusqu'aux abords du village. Le rebelle en était revenu sans être inquiété.

À son retour, l'être double soulagé de le voir rentrer, il avait craint qu'il ne se fasse repérer, lui demanda :

— Et à présent ?

— Je ne peux qu'attendre, si les hommes du Général débarquent, j'en serais averti. Alors j'agirais.

— Tu ne vas pas prendre de risques inutiles, n'est-ce pas ?

Xavier répondit tristement :

— Les risques ont toujours fait partie de ma vie. Aujourd'hui, je les prends pour de meilleures raisons qu'autrefois. Si je veux être libre, je dois hélas, continuer à agir en soldat. Jusqu'à ce qu'un jour, peut-être je sois définitivement en sécurité ! J'ai brisé mon conditionnement, pas mon enseignement. Cela reste un avantage, non négligeable dans l'état actuel des choses.

Naël la gorge serrée, se rapprocha, se lova contre lui et murmurant :

— J'ai peur pour toi ! Comment cela va-t-il finir ?

Xavier souleva son menton, plongea ses yeux dans les siens et murmura :

— Qu'as-tu fait de ta foi ?

— En mes Dieux ?

— En notre amour.

Naël sourit, leurs lèvres s'unirent, ils partagèrent un tendre baiser.
Soudain l'alarme interne du neuroprocesseur de Xavier retentit. Il repoussa doucement l'hermaphrodite en disant :

— Nous avons une intrusion !

Il était alors dix-neuf heures. Xavier plaça l'écran tridi sur son œil. Il pensa ensuite : "Triangulation... Repérage..."

Une image s'imposa à son esprit : 6 hommes portant la tenue de combat des soldats d'Ikos. Xavier pensa : "Plans rapprochés !"

L'un après l'autre, les visages des soldats se présentaient. Un de ceux-ci l'interpella. Il ordonna : "Stop !"

Les traits rudes du soldat se précisaient.

Il eut un petit sourire et murmura pour lui-même : "W457 ! Pourquoi je ne suis pas surpris de ta présence ?"

Attentivement, il écouta les propos des intrus.

******

Dehors, non loin des limites des installations de Naël, cinq soldats se figeaient au garde-à-vous devant le sixième. C'était celui que Xavier avait identifié, en tant que W457. Ce dernier s'adressa à ses hommes ainsi :

— K620, tu prends la zone 1, K621 : la zone 2, K622 : la 3, K623 : la 4, K624 : zone 5. Soyez efficaces mais prudents. X212 n'est pas n'importe quel soldat. C'est un Alpha avec des capacités supérieures aux vôtres. Il a un instinct de survie quasi illimité. Ne négligez aucun détail.

— À vos ordres !

— Rendez-vous ici dans une heure. Échange neural toutes les cinq minutes. Déploiement !

Ils se dispersèrent aussitôt dans la nature.

W457, quant à lui, posa ses yeux sur les bâtiments de l'exploitation.

Dans la maison, Xavier dit à Naël, ceci sans ôter le tri visuel :

— Six soldats, le Général n'a pas perdu de temps !

— Tu les connais ?

— Ce sont tous des Bêtas. Le chef du commando est un ancien Alpha rétrogradé en Bêta. Lui, je le connais, un peu trop à mon goût.

— Rétrogradé, pourquoi ?

— Disons qu'il a fait du zèle, inconsidérément. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas surpris de sa présence. On lui a sans doute promis qu'il retrouverait son statut précédent, en échange de ma capture.

— Tu n'as pas l'air de beaucoup l'aimer.

— À l'époque où j'ai servi sous ses ordres, je t'aurais répondu que ma compatibilité avec lui était médiocre. Aujourd'hui, je peux affirmer que je déteste ce type. Si tu veux mon avis, c'est de lui dont ton peuple devrait se méfier.

 Il ferma les yeux et conclut :

— Plus de question à présent, mon amour, je ne dois plus les lâcher !

L'hermaphrodite resta donc silencieux, et attendit avec angoisse que l'homme lui adresse de nouveau la parole.

W457 monta sur un promontoire rocheux. Une vue parfaite sur l'exploitation agricole s'offrit à lui. À travers ses jumelles, il effectua une étude minutieuse du terrain en pensant : "Cet endroit est idéal pour se cacher... même à l'insu du propriétaire. Un Alpha de la trempe d'X212, n'aura pas manqué de telles opportunités !"

Précisons que, malgré ses défauts, W457 n'était pas suffisamment imbu de lui-même, pour nier que X212 le dominait en tout, ce qui n'allait pas faciliter sa mission. W457 était condamné au succès, il n'aurait pas d'autre chance afin de retrouver sa condition d'Alpha. Il devait être prudent. Le Général Auker lui avait dit :

— Pas de zèle excessif !

À ce moment-là, il reçut un message du flux : "Fouiller les bâtiments n'est pas autorisé pour l'instant. Contentez-vous des alentours."

W457 fut brièvement contrarié. Puis cela lui passa... Il s'engagea sur un chemin et rentra de ce fait sur la propriété de Naël...

Xavier, tout en restant attentif aux mouvements des autres soldats, surveillait la progression de W457. Les caméras placées aux endroits les plus stratégiques, se relayaient pour suivre l'ex-Alpha.
Le ressentiment éprouvé par le fugitif envers lui, trouvait ses racines dans un incident qui datait de ses premiers jours sous le commandement d'Auker.

À cette époque, W457 était Alpha et chef d'escouade, Xavier servait sous ses ordres. Dès le départ, W457 devina chez son subalterne, une potentialité au-dessus de la sienne, il avait vu cela comme un affront personnel, alors qu'il aurait dû s'en réjouir pour l'Empire.

Les conséquences ne s'étaient pas fait attendre pour Xavier, il l'avait eu constamment sur le dos. Toutes les missions dangereuses, voire suicidaires W457 lui les attribuait. Cela avait duré 6 mois, une période durant laquelle Xavier avait accepté sans sourciller cette persécution injustifiée.

Puis le jour de sa revanche arriva. W457 commis une erreur d'appréciation qui devait coûter à l'Armée Impériale, 15 de ses meilleurs Alphas, ainsi qu'un territoire qu'Ikos convoitait depuis des lustres. W457 était passé en cour martiale,  dès sa rétrogradation effective. Xavier le remplaca à la tête de l'escouade.

Le rebelle devait bien avouer, qu'à l'époque, il avait jubilé. À présent, même s'il admettait qu'il le détestait, il lui aurait volontiers laissé tous les commandements qu'il pourrait souhaiter, en échange de sa tranquillité.

C'était un vœu pieux, qui ne se réaliserait peut-être jamais, s'il ne se battait pas de toutes ses forces pour le réaliser.
C'est pour cela que Xavier ne relâchait pas son attention. Justement, le soldat entra sur le secteur des étables

W457 patrouilla autour des bâtiments, dans l'espoir d'apercevoir une trace quelconque d'X212. La neige tombait abondamment, et la nuit s'installait. W457 aurait préféré effectuer cette mission en plein jour, mais le Général Auker s'y était opposé.

W457 ignorait pourquoi, mais il pouvait aisément le deviner. Cette mission était conduite à l'insu des Espariens. Bien sûr, personne n'avait pris la peine de l'informer, mais il en était persuadé. Ce qui en découlait était également facile à deviner : il ne fallait pas prendre le risque d'être surpris par quiconque, et surtout pas le propriétaire de cette exploitation.

Quoi qu'il en soit, l'épaisse couche de neige, effaçait tout. Déjà, ses pas ne se voyaient plus. Cela ne décourageait pas le soldat. Il quitta le secteur des étables pour celui des bergeries. Il ne trouva rien non plus : "Quel dommage de ne pas pouvoir entrer dans les bâtiments, il y est peut-être, et si c'est le cas, il m'observe sûrement." se dit l'Ikosien

Un frisson involontaire lui parcourut l'échine, et le froid n'était pas seul en cause. À cet instant, son instinct de soldat lui hurlait qu'X212, ne pouvait avoir trouvé refuge qu'à l'intérieur. Les conditions climatiques, étaient trop rudes, même pour un soldat d'Ikos, pour qu'il ait pu survivre plusieurs jours dehors, sans aide...

Il était aussi possible qu'il soit arrivé au milieu de cette nature hostile, bien trop blessé, pour pouvoir chercher de l'aide.

"Il aura gelé sur pied." 

Il n'y croyait pas vraiment, il supposa  : "Même blessé, dans de telles conditions, il aura trouvé le moyen de survivre."

Il s'éloigna légèrement, et contacta son équipe. Eux aussi n'avaient rien trouvé. Il leur ordonna :

— Élargissez votre champ d'investigation. 

Il décida de faire de même, quitta le secteur des bâtiments et regagna le promontoire rocheux...

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