Chapitre 1 - Scène 2

4 minutes de lecture

En l’espace de quelques heures, j’avais le sentiment d’avoir voyagé aux quatres coins du continent. Un apiculteur du sud m’avait fait goûter le miel d’au moins cinq fleurs différentes, dont je n’avais jamais entendu parler. Une femme du Fjerd m’avait initiée aux parfums surprenants d’épices colorées. Une autre, originaire de notre capitale, m’avait présenté un tas d’étoffes sophistiquées, tissées à partir de chanvre, de soie, de poils de chèvre et même de coquillages. 

— Là, vous voyez comme ce vert s’associe parfaitement à l’ambre de vos yeux ? m’avait-elle dit en me poussant devant une glace ébréchée.

En y observant mon reflet, je m’étais demandé à quoi il aurait ressemblé si ma mère m’avait élevée. Peut-être qu’elle m’aurait appris à me coiffer autrement qu’avec une simple tresse, montré comment habiller mon corps menu et expliqué à quoi servent les tâches de rousseur. 

A la tombée de la nuit, je m’étais finalement assise sur l’un des bancs de la place principale et observais distraitement la foule en compagnie d’un petit pain à la cannelle : j’en raffolais.

— Approchez, approchez ! déclara un saltimbanque au costume coloré. 

En passant devant moi, il m’adressa un salut exagéré, prit ma main libre et y déposa un baiser. Je le laissais m’emporter et ris en rejoignant les autres spectateurs, disposés en cercle autour de sa troupe. Leur numéro d’acrobaties était stupéfiant, et provoquait chez mes voisins toute une symphonie de “Ah !” et de “Oh !”, à laquelle je mêlais quelques soupirs d’émerveillement. 

Mais alors que nous approchions du grand final, un homme sacrément véhément bouscula les artistes : un prédicateur. Sa toge rouge flottait au rythme de ses gestes, telle une flamme autour d’une braise. 

— Pauvres fous ! hurla-t-il en s’adressant à l’assemblée. Riez, riez tant que vous le pouvez ! Oscurios et ses sbires rôdent… ils reviendront bientôt ! Ils se délecteront de la terreur de vos fils et de la chair de vos femmes !

Bousculée par les propos qu’il vomissait avec colère, je fis un pas en arrière. Oscurios était un nom maudit, celui du Dieu des Ombres. D’ordinaire, personne ne formulait son nom. Les acrobates se mirent à plusieurs pour chasser le crieur, mais ce dernier poursuivit son discours, désignant le ciel chargé d’un doigt crispé. 

— Puisse Pyros vous être clément ! gémit-il. 

Un mouvement de foule éclata, opposant les partisans de l’homme à ses détracteurs. Tant bien que mal, je m'extirpais de ce chaos mais me sentit soudain délestée d’un poids. La bandoulière de ma saccoche venait de céder. 

— Non, non, non ! m’exclamais-je en retournant sur mes pas. 

Sans cette fichue missive, ils ne me laisseront jamais entrer à Aljar !

— Hé ! Où est passée ma bourse ? lança quelqu’un.

— Mon collier, on a pris mon collier ! 

Je m’immobilisais et frappais le plat de ma main sur mon front. Un voleur. 

— Un petit, barbu, avec un béret à plume… décrivit quelqu’un qui avait assisté à la scène. 

Je scrutais aussitôt la foule, à la recherche du brigand. Il ne me fallu pas plus de quelques secondes pour les repérer, lui et son vilain couvre-chef, à l’autre bout de la place. Il se dirigeait droit vers deux autres lascars, l’air tout aussi louche.

Sans plus attendre, je m’élançais à leur poursuite. Priant Pyros pour que je ne les perde pas de vue, je les pistais jusqu’à l’entrée d’une ruelle sombre. Mes jambes vacillèrent, guidées par ma raison. Mais brûlante de détermination, je retrouvais l’équilibre et m’engageais dans le coupe gorge. 

Quelques détours plus tard, les odeurs plaisantes de nourriture avaient laissé place à celles de reflux humains, dont je m’interdis de deviner l’origine. Tout était plus étroit, étouffant, inquiétant. Les murs dégoulinant d’humidité, s’élevaient au-dessus de ma tête, comme une vague prête à m’engloutir. 

Devant moi, les malfrats avançaient toujours. Celui du milieu semblait être leur chef : pas très grand, trapu et pourvu d’une grosse voix rocailleuse. Il donna une calbote au porteur de béret et ce dernier finit dans une flaque visqueuse. Son propriétaire geint quelque chose, l’essuya contre son pantalon troué et le vissa à nouveau sur sa tête. 

J’esquissais une grimace de dégoût et rabbatu ma capuche sur ma tignasse au moment où le troisième gaillard se retourna. Il faut dire que je n’avais pas tout à fait fini d'échafauder mon plan sauvetage de besace, et que les conditions actuelles d’un affrontement n’étaient pas franchement propices à une victoire de ma part…

Le trio finit par rejoindre une bâtisse imposante, au fond d’un passage exigu. Une planche de bois pendait sinistrement sur la façade, indiquant dans une jolie calligraphie “La Petite Régente”. Ils pénétrèrent à l’intérieur, visiblement ravis.

Je restais plantée là un instant, évaluant les options qui s’offraient à moi. La plus sage m'apparut comme une évidence et je pris un long moment pour la considérer : 

il est encore temps de faire demi-tour.

Finalement, j’esquivais un ivrogne inconscient et entrait à mon tour dans l’établissement. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Markus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0