Chapitre 1 - Scène 3

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A l’intérieur, une forte odeur de jasmin et de poivre me saisit à la gorge. Les lueurs tamisées de grands chandeliers se reflétaient sur des étoffes en soie, disposées sur de larges fauteuils molletonnés. Au fond se trouvait un comptoir en bois laqué, sur lequel trônaient des bouteilles de liqueur colorées. Derrière, un homme au corps luisant et sculpté ondulait au rythme d’une mélodie envoûtante, distribuant à ses visiteurs verres de vins et pastilles rosées. Un peu plus loin, de plantureuses jeunes femmes papillonnaient autour de clients à l’air béa, ponctuant chacun de leurs gestes d’un rire cristallin ou d’un sourire aguicheur. 

Bien, bien, bien, Ellie. Encore une première fois à célébrer : cette fois, tu es entrée dans une maison close !

Mon coeur accéléra et je rougis. Gênée, je fis un pas de côté et heurtais quelqu’un de plein fouet. 

— Aouch ! protestais-je en me retournant, l’épaule douloureuse. 

Le nouveau venu jeta un regard par-dessus la sienne. Intégralement vêtu de noir, il était jeune et ne devait pas avoir plus d’une vingtaine d’années. Ses cheveux châtains retombaient devant ses yeux, rivés sur moi. Je pris alors conscience que je ne portais plus ma capuche et me senti soudain nue. Malgré la pénombre, je saisis parfaitement la froideur de son expression. Saisie, je frissonnais. Sa mâchoire taillée au couteau se crispa un instant, comme s’il allait dire quelque chose, mais il reprit simplement sa route jusqu’au comptoir. 

Rectification : cette fois, tu es entrée dans le plus bel homme du Val’har !

Je repris mon souffle lorsqu’il s’éloigna, incapable de détacher mon attention de sa démarche assurée. Comme s’il le connaissait, le danseur lui tendit un gobelet en étain, dont il vida le contenu d’un trait. 

Derrière eux, de lourds rideaux en velour remuèrent et une femme sublime apparut. Ses lèvres, couvertes de rouge, s’étirèrent lorsqu’elle repéra le jeune homme. Elle était vêtue d’une robe en dentelle noire et de longs cheveux roux tombaient jusqu’au creux de ses reins. Elle se glissa lascivement vers lui, fit courir ses mains sur son torse et se hissa sur la pointe des pieds pour lui souffler quelque chose. Il sourit, dévoilant une fossette sur sa joue mal rasée, glissa une main sur sa nuque et l’embrassa langoureusement.

C’est certain, à présent, mon visage était cramoisi. Je secouais la tête et reprenais mes esprits : j’avais trois voleurs à trouver, une sacoche à récupérer et une folle envie de déguerpir !

Je plissais les yeux et passais le salon au crible. Gagné. Ils étaient là, confortablement installés sur un canapé. Sous les yeux de leur meneur, le petit étalait son butin sur une table basse tandis que son acolyte en examinait finement les éléments. 

L’envie de foncer dans le tas me démangea, mais à la place, je me rendais à mon tour près du bar pour mieux les observer. Le serveur s’accouda près de moi, visiblement amusé : 

— Novice ?

— Plutôt, oui…

— Cadeau de la maison, dit-il en me tendant une tasse cuivrée.

Je l’acceptais volontiers et jetais un oeil curieux vers le couple, qui échangeait à présent quelques confidences à voix basse.  

— Si c’est pour passer un contrat avec Tylia, je crains fort que notre gars du nord de l’occupe un moment, déclara le serveur en suivant mon regard.

Je m’apprêtais à protester, mais me rappelait qu’attiser la curiosité à mon sujet ne jouerait pas en ma faveur. 

— Je prendrai mon mal en patience… répondis-je simplement, en levant mon verre.

Il rit et trinqua avec moi avant de retourner à ses affaires. 

J’en profitais pour goûter le breuvage et m’étranglais aussitôt. Comment une boisson pouvait-elle à la fois être aussi sucrée, amère et piquante ? 

Je peinais à reprendre mon souffle et sentit les yeux félins de Tylia peser sur moi. 

Discrétion, Ellie ! Respire, bons Dieux ! 

Je me reprenais au moment où le chef du trio congédia ses deux larbins. Ils quittèrent l’établissement tandis que le dernier resta encore un moment à vider les sacs dérobés. Lorsque le mien passa entre ses mains, mes muscles se crispèrent. Il en extirpa ma gourde et les quelques vivres qu’il me restait. Ma bourse suivit et termina avec les autres, au milieu de la table. Enfin, il trouva la missive. Il l’examina sans grande conviction, la lu avec dédain et la roula en boule avant de s’en débarasser. Je mordis ma lèvre si fort que le goût du sang se mêla à celui de l’alcool sur ma langue.

Face d’enclume ! fulminais-je, achevant mon verre avec une grimace.

De l’autre côté du salon, un homme l’interpella. Le trapu se releva et écarta les bras, joyeux, comme s’il venait de retrouver un vieil ami. Il s’en alla le rejoindre et ils échangèrent tous deux une accolade virile. 

Parfait, c’est maintenant ou jamais.

Je me faufilais jusqu’au canapé et empaquetais rapidement ce que je retrouvais avant de me mettre en quête de ma lettre. Mais au moment où je relevais la tête pour vérifier la position du larron, j’étais violemment poussée et tombait à la renverse au milieu des coussins empestant le jasmin. 

— Alors comme ça on se permet de fouiller dans mes affaires ? aboya le brigand. 

Son expression était si sévère qu’elle m’arracha un éclat de rire nerveux. Je me redressais sur les coudes et reculais, tâchant de retrouver un semblant de distance entre nous.

Tes affaires ? Ou plutôt celles que tes deux clébards te ramènent ? 

Il rit lui aussi, mais d’une note brisée qui me glaça le sang. Il me saisit par les jambes et tira d’un coup sec pour me rapprocher de lui. Avant que je puisse faire quoi que ce soit, il me saisit par le col de ma chemise et me redressa brutalement. Un rictus fendit son visage et son haleine chargée de vignasse me donna un haut le coeur.

— Lâche-moi !

— Nan, je crois plutôt qu’on va s’amuser un peu tous les deux.

Il se pencha pour m’embrasser mais je dégrafais sa prise juste à temps pour lui flanquer un coup de tête. Autour de nous, j’entendis quelques exclamations mais personne n’intervint. 

Sonnée, je perdis l’équilibre et sentit la main du brigand empoigner mes cheveux. Il m’entraîna sans peine derrière les rideaux de velours où se trouvait un accès aux étages. Il m’y bouscula jusque dans un salon privé et claqua brutalement la porte derrière lui. 

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