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La Vallée des Anges, 8h30.

 Depuis son perchoir, le chat à la fourrure rousse et aux yeux de jade scrutait le camion poubelle, prêt à décamper au moindre danger. Il suivit du regard l'engin mécanique aux raffuts infernaux jusqu'à ce qu'il disparaisse au bout de la rue. Le calme revenu, l'animal sauta de la branche d'un immense hêtre pour atterrir prestement sur ses quatre pattes. Il zigzagua entre les différents parterres de fleurs prospères et devant la fenêtre de la cuisine, se prépara à s'élancer. Le rebord atteint sans difficulté, le greffier rentra dans la pièce sans un bruit. D'une démarche tranquille, il s'avança vers sa maîtresse attablée devant un jus d'orange et bondit sur ses genoux. Cette dernière tressaillit et renversa quelques gouttes de thé.


— Peluche ! Tu m'as fait peur, s'exclama la jeune femme en reposant la théière.


Pour se faire pardonner, le félin se mit sur ses pattes arrière et dans un ronronnement posa son museau au creux de l'épaule d'Elisabeth. Tout en souriant, elle le caressa avec tendresse.


— Bon, je te pardonne pour cette fois.


Peluche se retira, lécha la main de sa propriétaire et partit vers sa gamelle.


 Elisabeth l'observa un instant, la tête légèrement sur le côté, puis revint à son petit-déjeuner. Les croquettes avalées, Peluche quitta la pièce, laissant sa maîtresse dans ses pensées. Cette dernière détacha une feuille de Sopalin et essuya le liquide qui tachait la table. En savourant sa boisson aux effluves de menthe fraîche, ses yeux fixèrent le mur d'en face et ses lèvres passaient de gauche à droite dans une moue songeuse. La sonnerie de son portable la sortit de ses réflexions. La petite enveloppe en haut à gauche lui indiqua qu'elle avait reçue SMS. Toutefois, en voyant l'heure, elle hoqueta de surprise, but une dernière gorgée de sa tisane, prit son sac, se précipita vers l'entrée et cria :


— Ryan, dépêche-toi, on va être en retard.


 Un adolescent de tout juste seize ans descendit les marches d'un pas nonchalant. Une casquette bleu marine enfoncée sur la tête cachait le haut de son visage et certainement une coiffure en désordre. Toutefois, on pouvait deviner qu'il était brun, grâce à la longueur de ses cheveux qui tombaient sur la nuque. Un passage chez le coiffeur sera à prévoir, pensa Elisabeth. De taille moyenne, Ryan arborait, au moyen d'un tee-shirt blanc, une musculature propice. Il avait accompagné son haut d'un jean trop large et de converses noires. Un sac à dos pendait négligemment sur son épaule droite. Sans un regard pour sa sœur, Ryan se figea sur une marche et pianota sur son téléphone.

— Allez, bouge, s'impatienta-t-elle en tapotant du pied.
— ça va, ce n'est pas la peine de t'énerver, riposta-t-il en passant devant la jeune femme toujours le nez sur l'écran.


Cette dernière leva les yeux au ciel, verrouilla la porte et s'engagea après son frère. Tous deux montèrent dans la citadine bordeaux d'Elisabeth, attachèrent leurs ceintures et la voiture démarra dans un bourdonnement constant et régulier.


 Un silence pesant régnait dans ce lieu mobile et clos. La tête contre la vitre, Ryan suivait le paysage d'un regard morne, tandis que ses doigts fins déroulaient et enroulaient une des lanières de son sac. Les mains empoignant fermement le volant, Elisabeth jeta des regards furtifs au jeune passager. À plusieurs reprises, elle voulut prendre la parole, mais se ravisa, ne sachant pas comment aborder les choses.


 Depuis le décès de leur mère, Magalie, il y a maintenant un peu plus d'un an, Ryan devenait un jeune homme taciturne et colérique. Il se renfermait de plus en plus, sa famille peinait à discuter avec lui. Ses amis s'éloignaient doucement, à cause de son comportement déviant et de ses paroles virulentes. Elisabeth espérait que l'exclusion d'une semaine du lycée l'aurait assagi.


Après un énième regard en coin de la part de la conductrice, Ryan lança :


— Vas-y, lâche le morceau.
— S'il te plaît, évite d'avoir d'autres problèmes. N'insulte plus tes professeurs et ne déclenche pas de conflits avec tes camarades, conseilla Elisabeth d'une seule traite, sans reprendre sa respiration.
— Ouais, répondit-il avec une certaine insolence dans la voix.
— Ryan ! Papa n'a pas besoin de ça, lança sa sœur avec autorité en freinant brusquement.


Le véhicule à peine arrêté, sans un mot, Ryan ouvrit la portière, s'en extirpa, la referma rudement et s'éloigna vers le bahut. Elisabeth le vit se faufiler à travers la foule, tête baissée. Un souffle désespéré s'échappa. Comment l'aider ? Lui laisser le temps, lui faire rencontrer un psychanalyste... Les idées se bousculaient, sans jamais s'imposer. Elle reprit la route en direction de la faculté, lorsque son frère pénétra dans l'établissement.

 Après dix minutes d'une conduite précise et attentive, la jeune femme pénétra sur le parking de l'université qui jouxtait des plates-bandes d'herbe récemment tondues. Le miroir pare-soleil ouvert, Elisabeth arrangea une mèche châtain échappée de son chignon bas et étala davantage l'anti-cernes sous ses yeux noisette. Son reflet la satisfaisant, elle ramassa ses affaires, se délogea du véhicule et se dirigea vers le colossal accès principal en forme d'arc. D'un pas pressant, mais assuré, elle se déplaça entre les personnes, jouant quelques fois de ses coudes pour se frayer un chemin. Le panneau bibliothèque s'afficha au loin. Elle ralentit sa marche, puis accéda à l'antre censé être silencieux.


 Le lieu s'étendait sur deux étages. Les rayons de soleil se diffusaient dans la spacieuse salle par d'interminables fenêtres. Chaque filière étudiée était représentée dans une partie spécialement aménagée : la physique, la sociologie, le droit, la criminologie, la littérature... Au deuxième étage, un espace détente avait été élaboré l'année dernière. On y avait installé un café et bar à jus, des fauteuils confortables, des tables basses modernes et de nombreuses plantes pour égayer l'endroit. Elisabeth se dirigea vers la section criminologie. Les étagères en bois blanc se déployaient sur deux rangées. Pour la lecture et les recherches, on avait opté pour des tables hautes en albâtre beige et des tabourets cosy. Un vase transparent contenant du sable coloré ou pailleté ornait le centre de chaque plan de travail.


 Elisabeth sortit des feuilles, une trousse bien garnie, un livre et s'installa. Elle vérifia l'heure sur son mobile, neuf heures dix. La notification flottante lui rappela le SMS qu'elle avait reçu juste avant de quitter son domicile. Le message l'informait d'un énième retard de Maggie, son amie d'enfance. Étant habituée, elle ne fut pas surprise et lui envoya de la retrouver à la bibliothèque. La jeune femme ouvrit son bouquin « L'histoire de la criminologie » et le parcourut avec attention. De temps en temps, elle surlignait d'un fluo rose les informations les plus importantes.


 Les minutes passèrent rapidement, Elisabeth termina la lecture du deuxième chapitre. Elle prit une gorgée d'eau, puis s'étira en levant les bras vers le haut. Au même moment, une tornade blonde, habillée d'une robe évasée rouge, d'escarpins noirs, s'approcha d'elle, le sourire aux lèvres et un regard saphir pétillant. Maggie avait rencontré quelqu'un ! Elisabeth en était certaine et n'allait pas attendre pour en savoir plus.


— Tu ne devineras jamais, affirma Maggie tout excitée.
— Notre cours va bientôt commencer, tu me racontes en chemin ? proposa Elisabeth en rangeant ses affaires.


Maggie l'aida tout en rapportant avec détail le début des faits.


 Les filles rejoignirent le hall d'entrée. Maggie continuait ses explications, alors qu’Elisabeth, qui écoutait d'une seule oreille, cherchait un document dans une pochette. L'ayant enfin dénichée, elle changea subitement de direction pour aller vers les panneaux en liège des petites annonces.


— Tu recherches quoi ? questionna Maggie avec curiosité, oubliant son aventure.

— Rien, je veux seulement en déposer une, répondit simplement Elisabeth en tenant la feuille.


Ne pouvant pas résister à son péché, Maggie lui arracha le papier des mains. Cette dernière ne s'efforça pas de récupérer l'annonce et attendit son avis précieux.

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 Alors que Maggie lisait et relisait encore, Elisabeth malmena ses doigts en les triturant dans tous les sens. Soudain sa confidente leva la tête vers elle, son regard avait changé, trahissant de la tristesse, et l'apparition d'une ride du lion révéla de la perplexité.


— Ton père veut louer l'appartement de ta mère ?


 Au début de sa carrière de styliste, Magalie avait eu besoin d'un endroit serein pour créer. Le couple Mattews avait donc décidé d'agrandir et d'équiper l'abri de jardin. Au fil des ans, la cabane s'était transformée en atelier de couture, en dressing, et pour finir en studio lumineux, bénéficiant d'une mezzanine. Le lieu représentait l'effigie de la défunte, plus personne n'y avait mis un pied depuis son décès. Après une vive discussion, la famille avait décidé de le mettre en location avec un prix attractif, afin d'être sûre de louer. Chaque mois, la somme perçue sera reversée sur un compte pour l'avenir des enfants.


— On veut louer, rectifia Elisabeth. On a eu de très bons souvenirs dans ce lieu, mais... Mais...


 Envahie par le chagrin, sa gorge se noua, sa respiration s'accentua, ses mains tremblèrent et ses yeux s'embuèrent. Elle ne put terminer sa phrase. Maggie la serra dans ses bras, le temps qu'elle se calme, puis lui tendit un mouchoir qu'elle avait retiré de son sac. Pendant qu'Elisabeth séchait ses larmes, Maggie punaisa l'annonce.

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