1-3
La Vallée des Anges, 19 heures.
Elisabeth ajusta le zoom de son appareil photo et appuya sur le déclencheur. Une rafale de clichés fut prise en peu de secondes. Elle se déplaça sur le côté, son objectif toujours braqué sur Maggie. Sur un coup de tête, la belle blonde avait décidé d'apprendre le surf. Allez savoir pourquoi !
Si gracieuse, agile et confiante au quotidien, sur une planche, elle se révélait être une baleine plutôt qu'une sirène. Avec un sourire lumineux, presque moqueur, Elisabeth n'en perdait pas une miette. Elle immortalisait chacune de ces chutes et maladresses. Son refus irrévocable de mettre une combinaison la desservait. Le haut de son maillot passait son temps à se faire la malle.
Au bout d'une demi-heure et après une énième débâcle, Maggie mit fin à son cours. Elle jeta son matériel sur le sable, vint s'asseoir sur sa serviette et en attrapa une autre pour se sécher.
Avant de rejoindre sa caractérielle amie, Elisabeth adressa un signe compatissant au professeur, qui, il fallait le dire, avait une patience d'ange.
Elle s'installa à même le sol.
— Surtout pas un mot, grommela Maggie.
Elisabeth la connaissait que trop bien, l'idée de prendre la parole ne l'effleura même pas. Elle ne voulait pas faire les frais de sa mauvaise humeur.
Elle se contenta d'attendre que la tempête se calme. Les pieds jouant avec le sable fin et chaud, elle en profita pour admirer la vue. La mer bleue avec des touches de turquoise s'étendait à perte de vue. Le soleil débutait à peine sa descente, une auréole entourait l'étoile et une ligne d'horizon rose apparaissait peu à peu. À quelques kilomètres, une île verte se dressait majestueusement sur l'eau. De la plage on pouvait apercevoir la tour d'un château en ruine. Du magenta, du jaune et du orange venaient zébrer le ciel azur.
Émerveillée par ce paysage, Elisabeth frissonna de bien-être. Son Reflex positionné et réglé, le moment fut capturé.
— Tu me montres ? demanda Maggie, un petit coup d'épaule à épaule.
Pendant qu'Elisabeth rêvassait, la blondinette s'était changée et avait rangé ses affaires. Souriante, la photographe amatrice se pencha et lui présenta l'écran.
— Waouh ! Eli, c'est magnifique !
— Tu trouves ?
— Bien sûr... Et arrête de te dévaloriser. Tes photos sont extra. Aie confiance en toi, rassura Maggie d'un clin d’œil.
Elisabeth la serra tendrement dans ses bras.
Sans une autre parole, les deux jeunes femmes se levèrent. Tandis qu'Elisabeth glissait sa serviette dans son cabas et prenait ses chaussures à la main, Maggie attrapa sa planche avec maladresse. Elles se dirigèrent vers leurs voitures respectives. Sur le trottoir, Elisabeth enfila ses compensées avec agilité. Du coin de l’œil, elle remarqua le malmenage du surfboard. Maggie l'avait balancé à l'arrière de son pick-up. La brunette pressentait que cette dernière leçon serait la dernière. Dommage, elle s'amusait bien !
Dans une attente parfaite, elles s'embrasèrent, s'installèrent derrière le volant et quittèrent le parking dans des directions opposées.
Les phares mal réglés balayaient la chaussée d'une lueur blanche. Elisabeth roulait la fenêtre ouverte. Au gré du vent, de suaves odeurs de pins et de lilas vinrent chatouiller ses narines. Une brise légère s'insinua dans l'habitacle, Elisabeth grelotta légèrement, mais ne ferma pas la vitre. La fraîcheur de fin de journée la détendait.
Au bout d'un bon quart d'heure, elle arriva à destination, attrapa ses sacs, sortit du véhicule et le verrouilla. L'avenue était bordée de lampadaires, des capteurs de mouvements permettaient de les réguler. Malheureusement, celui près de son allée ne fonctionnait pas. Seul le clair de lune illuminait le jardin. Elle s'engagea sur le chemin de dalles grises, quand soudain un picotement désagréable au niveau du cou la mit mal à l'aise. Se sentant observée, elle s'immobilisa aux aguets du moindre bruit. Seul le bruissement du vent dans les branches et feuilles des arbres se fit entendre. Son regard fouilla chaque recoin. Les muscles tendus, Elisabeth reprit sa marche en accélérant le pas. En bas des marches du perron, une branche craqua. Un frisson parcourut l'ensemble de son corps. Elle se précipita sur la porte et d'une main tremblante essaya d'introduire la clé dans la serrure. Sous la pression, le trousseau tomba au sol. Son cœur battait à un rythme effréné. Elle se baissa, récupéra le porte-clé et réussit enfin à ouvrir. La porte aussitôt refermée, la tête contre le battant, les yeux clos, Elisabeth tenta de se calmer.
— Eli !
La jeune femme reconnut immédiatement la voix de son père, se retourna et se cala dans ses bras rassurants. Alors que des larmes imbibèrent la chemise de l'homme, une de ses mains caressa les cheveux de sa fille.
Au bout de quelques minutes, elle se dégagea.
— Tu veux m'en parler ? tenta John avec douceur.
Elisabeth tressaillit en découvrant l'anxiété de son père. Les traits de son visage étaient tirés par la fatigue. Son regard marron clair reflétait l’inquiétude. Les manches remontées jusqu'aux coudes, révélaient ses poils hérissés. Le tablier à fleurs qu'il portait la fit tout de même sourire.
— Je suis désolée pour tout ça, s'excusa-t-elle.
— Ma princesse, tout va bien, rassura John en déposant un baiser sur le front de son aînée.
— Je vais monter prendre une douche. Ça me détendra.
— Très bonne idée... Le repas sera prêt dans une demi-heure. Tu veux bien prévenir ton frère ?
— Oui, je m'en charge, répondit Elisabeth en montant les premières marches.
— Eli, si besoin, je suis là.
— Je sais papa, je sais, affirma-t-elle avec un mince sourire.
Avant de reprendre son ascension, elle lui envoya un baiser de la main.
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