Au sommet des terrils

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Du haut des terrils carolorégiens, un homme se tient face aux paysages sur lesquels il a une vue imprenable. Il est immobile sur ce mont escarpé. Derrière lui se trouvent les autres membres de son équipe. Tout comme lui, ils sont empêtrés dans des combinaisons et des masques qui les rendent tous identiques les uns aux autres. Deux d'entre eux s'affairent déjà à monter les tentes pour la nuit, tandis que les deux autres se penchent sur une carte militaire, boussole et compas à la main. D'un geste silencieux, l'un de ceux qui sont occupés avec les toiles fait signe au contemplateur isolé, sans succès. Il approche alors la main de son poignet et déclenche la communication à distance.

– Lucien, tu peux venir nous aider ? Y a une tempête en approche et faut qu'on soit abrités avant que ça drache.

– J'arrive.

En disant cela, il détache son regard du spectacle dont il se repaissait et rejoint ses camarades. Rapidement, il les aide à sortir le matériel et, très rapidement, avec l'assurance de ceux qui ont déjà fait cette opération des centaines de fois, ils ont fini de construire un habitacle assez grand pour contenir toute la petite troupe. À l'Est, tandis que la nuit tombe, des nuages noirs moutonnent en masse dans le lointain. Tous se dépêchent de rentrer dans la tente, sauf Lucien qui admire le coucher de soleil qui mêle l'or et le vermeil dans un délire de couleurs impressionniste. Il est tiré de sa rêverie par le son d'une alarme et remarque enfin l'orage qui approche en grondant. Il vérifie encore une fois l'ancrage de la tente et y entre. Derrière lui, il scelle l'accès du sas. Il attend quelques instants que l'atmosphère soit respirable et lorsqu'il en a la confirmation, il retire enfin son masque.

Il révèle un visage assez jeune, bien que marqué par quelques rides au niveau du front. Ses cheveux sont coupés courts et dénués de toute fantaisie, que rattrapent ses moustaches, lustrées et cirées avec tout le soin qu'il est possible d'avoir lors d'une expédition de cet acabit. Sous la combinaison, il est en chemise et veston, tous deux impeccables. Le jeune homme l'accroche à une patère et passe le sas pour déboucher sur la salle de vie de leur refuge. Ses compagnons sont déjà en train d'ouvrir les nombreuses caisses au pied-de-biche. Ils en sortent des éléments de décoration, mais également des objets plus utiles. Rapidement, la pièce se dote d'un confort visuel des plus agréables, à grand renfort de cuir, de cuivres et de boiseries.

- Rendez-vous dans une demi-heure pour le débriefing de mission. Vous pouvez vous occuper de vos chambres, dans l'intervalle.

Lucien se dirige dans son alcôve où une caisse à son nom l'attend déjà. Il se met aussitôt à déballer ses affaires, sortant des daguerréotypes de ses bagages qu'il place à côté de son lit de camp. Il place également une horloge sur la table de nuit. Il se rend compte qu'elle est arrêtée et qu'il n'a pas l'heure exacte sur lui. Il faudra la remonter plus tard. À l'autre bout de la pièce, un petit bureau d'inspiration néo-victorienne l'attend. Il dépose dessus une liasse de papiers importants ainsi qu'une lampe à huile. Au fil de la demi-heure, il continue d'agencer ses effets personnels, parfois péniblement pour ce qui est des éléments les plus lourds.

Quand il a fini, il sort de sa chambre et va rejoindre ses camarades qui sont déjà installés dans la salle de réunion. Une femme à l'air pincé le regarde et lui adresse la parole.

– Lucien, toujours à la bourre, on dirait. Bon, installez-vous. Alors, à qui de commencer ? Agathon ?

Un homme d’une quarantaine d’années se redresse légèrement sur sa chaise et rassemble des fiches placées devant lui.

– Les dirigeables nous ont déposés assez près de notre destination. Légèrement plus au nord-est que prévu, mais rien de vraiment désagréable. L’excavatrice, elle, est tombée au bon endroit. On devrait pouvoir la mettre en marche dès demain matin.

– Parfait. Lucien, est-ce que vous avez les notes de votre aïeul ? À quelle profondeur a-t-il enterré ce que nous sommes venus chercher ?

– De mémoire, je dirais qu’il s’agit d'une profondeur de huit mètres. Je vais vérifier cela.

– Selon les calculs de Mademoiselle Viquart, la taille des terrils a augmenté de 154 mètres depuis cette époque. On ne va pas trouver ce qu'on cherche tout de suite. Raison de plus pour ne pas perdre de temps. Messieurs les géologues, vous pouvez d'ores et déjà vous mettre au travail. Je veux un premier rapport demain à l'aube ! Bien, la réunion est terminée. Que l'équipe en charge du repas de ce soir se dépêche.

Lucien se lève et va voir s'il peut se rendre utile. Dans les cuisines, les cocottes-minutes en fonte rejoignent les casseroles en cuivre. Ce soir, ce sera poulet et légumes-vapeur, selon toute vraisemblance. Dans l'effervescence, le bruit des gouttes qui s'écrasent sur la toile de la tente passeraient presque inaperçues s'il ne s'accompagnait pas du son caractéristique de l'acide qui ronge peu à peu leur toit. Après une soirée à vaquer sans but, le jeune homme va se coucher, rêvant des paysages qu'il a vus plus tôt. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait plus eu l'occasion de voir un coucher de soleil avec si peu d'épaisseur de verre entre lui et le spectacle vespéral. Il a encore les yeux remplis de ces nuances rouges, orangées ou rosées, qui se développent en rubans magnifiques. Comme quoi, cet air saturé en charbons peut avoir de bons côtés, ne fut-ce qu'esthétiquement. Il finit par s'endormir, bercé malgré lui par la musique de la pluie, dont les accents mortels ne le touchent plus depuis longtemps.

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