CHAPITRE 13 : Quand l’amour devient un contrat

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Dans nos sociétés, l’amour entre hommes n’est plus un lien de cœur — c’est devenu un contrat silencieux, un échange voilé, un marché d’intérêts. Tu m’aides, je t’aide. Tu me sers, je te garde. Tu me gênes, je t’oublie. Voilà la nouvelle formule du sentiment humain.
Même l’amitié, ce vieux refuge de la sincérité, est contaminée.
On n’est plus l’ami de quelqu’un pour ce qu’il est… mais pour ce qu’il peut.
Le rire partagé est parfois une stratégie.
L’épaule offerte cache une attente.
Le conseil donné dissimule un calcul.
L’amour, tel qu’il devrait être — pur, gratuit, sans contrat — dérange. Il est rare. On le fuit. On s’en méfie. Comme si aimer sans but était une folie. Comme si la bonté sans raison était suspecte. Comme si l’homme ne pouvait plus donner sans penser à recevoir.
Et les rares qui aiment encore sans rien demander deviennent des cibles. On les utilise. On les manipule. On les vide. Puis on les rejette, comme un vieux vêtement qu’on ne porte plus. Et eux, les sincères, se retrouvent seuls, écorchés, meurtris, doutant de tout, même d’eux-mêmes.
Alors, l’amour entre les hommes devient un jeu dangereux.
Un jeu où les règles changent sans prévenir.
Un jeu où l’on gagne rarement sans trahir.
L’homme a perdu sa capacité à aimer sans profit. Il veut du rendement, même dans l’affection. Il investit dans les relations comme dans les affaires : avec prudence, avec calcul, avec clauses.
Mais l’amour n’est pas une entreprise.
Il ne se gère pas.
Il ne se sécurise pas.
Il ne se prévoit pas.
L’amour vrai est risqué, imprévisible, brûlant. Il peut élever ou détruire. Il peut donner sens ou plonger dans le vide. Et c’est peut-être pour cela que l’homme moderne n’en veut plus. Il préfère l’illusion stable au feu incertain.
Mais à force de tout sécuriser, l’homme oublie de vivre.
À force de tout calculer, il oublie de sentir.
Et à force de fuir l’amour vrai, il devient étranger à lui-même.
Car aimer sans raison, sans retour, sans promesse… c’est peut-être la dernière forme de liberté.
Des cœurs en prison dans des corps libres
Ils marchent dans les rues, ces hommes… droits, élégants, confiants.
Mais à l’intérieur, combien sont enfermés ?
Combien portent en eux des chaînes invisibles, forgées par les trahisons, les faux sourires, les promesses piétinées ?
L’amour entre les hommes est devenu une peur.
Une faiblesse qu’on cache.
Un rêve qu’on enterre.
Car celui qui ose aimer devient vulnérable. Et la vulnérabilité, dans notre monde, c’est une faute.
L’homme doit être fort, dur, distant. S’il pleure, il devient fragile.
S’il pardonne, on dit qu’il se soumet.
S’il tend la main, on l’accuse de naïveté.
Alors il enferme son cœur.
Il le scelle derrière des silences, des murs de méfiance, des rires forcés.
Mais ce cœur emprisonné bat fort. Il crie parfois, la nuit. Il rêve de liberté, d’un amour sans masque. Il veut aimer — pas pour dominer, pas pour posséder — mais simplement aimer… pour exister.
Et c’est là que l’illusion éclate.
Car aimer l’autre homme sans peur, sans masque, sans devoir… c’est se retrouver soi-même.
C’est voir en l’autre son propre reflet.
C’est tomber et être relevé.
C’est donner sans se perdre.
C’est souffrir sans regretter.
Mais peu en sont capables.
Trop ont été blessés.
Trop ont été déçus.
Trop ont appris à survivre au lieu de vivre.
Alors ils s’isolent dans des amitiés superficielles, des groupes où l’on rit sans se confier, des échanges où l’on parle beaucoup mais ne dit rien.
Et pourtant…
Un jour, peut-être, un homme regardera un autre et lui dira :
— Je t’aime, frère. Pas pour ce que tu m’apportes. Pas pour ce que tu représentes. Mais parce que tu es toi. Et moi, je suis moi. Et entre nous, il n’y a pas de contrat, pas de jeu. Juste… l’humanité.
Ce jour-là, le cœur sortira de prison.
Et l’amour retrouvera sa voix.

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