Chapitre 19 : L'amour qui juge, l'amour qui pèse
L’amour des hommes est devenu un tribunal.
À chaque geste, chaque parole,
l’homme pèse, soupèse, jauge et suspecte.
Il ne reçoit plus avec innocence,
il questionne l’intention cachée,
il redoute la trahison avant même le don.
On dit aimer,
mais aussitôt, on exige des preuves,
des gestes, des sacrifices, des loyautés aveugles.
On attend que l'autre se conforme à notre vision,
qu'il marche selon notre rythme,
qu’il pense comme nous, aime comme nous, vive pour nous.
L’amour devient condition :
"Aime-moi comme je l'entends, sinon tu m’as trahi."
"Aide-moi même quand je t’écrase, sinon tu n’es pas loyal."
"Protège-moi même de mes erreurs, ou alors tu n’étais qu’un faux frère."
Et celui qui faillit,
celui qui ose dire non,
celui qui se protège un jour…
il devient coupable.
L’amour des hommes n’a pas de place pour l’erreur.
Il punit, il efface, il détruit,
sans chercher à comprendre, sans écouter.
Et pourtant, l’amour réel,
celui qui élève les âmes,
n'est ni un contrat, ni une dette,
mais une offrande libre.
Il ne pèse pas les fautes au trébuchet.
Il n’est pas là pour mesurer le mérite,
mais pour traverser les zones d’ombre sans abandonner.
Il est ce regard qui reste doux
même quand la confiance est ébranlée,
même quand l’autre est tombé.
Mais les hommes ont oublié cela.
Ils aiment à condition d’être flattés,
à condition de ne jamais être déçus,
à condition que l’autre reste parfait.
C’est pourquoi tant d’amours meurent dans le silence,
non pas faute de sentiments,
mais parce que l’homme a fait de l’amour une balance.
Et cette balance ne pardonne rien.
Elle accuse, elle condamne, elle éteint.
Quand l’homme comprendra
qu’aimer, ce n’est pas juger…
mais accueillir,
non pas contrôler,
mais comprendre,
non pas forcer,
mais accompagner…
Alors peut-être naîtra un amour qui ne s’éteint pas.
Un amour vrai, rare,
qui ne cherche ni perfection, ni récompense,
mais seulement la paix d’exister à deux,
en lumière et en vérité.
L’amour qui calcule, l’amour qui attend le retour
L’amour, jadis fluide et pur,
s’est transformé en commerce.
Il donne… mais attend.
Il se sacrifie… mais note.
Il aide… mais réclame tôt ou tard.
Les hommes, dans leurs relations,
ne savent plus aimer gratuitement.
Ils offrent pour posséder,
ils pardonnent pour être félicités,
ils écoutent pour être écoutés en retour.
Chaque geste devient une mise,
chaque tendresse un investissement.
Et si l’autre ne rend pas la pareille,
alors le cœur se ferme,
alors l’amitié se retire,
alors l’amour s’effondre.
Mais l’amour vrai, lui, ne compte pas.
Il est présence même dans l’absence.
Il continue même quand l’autre s’éloigne.
Il ne dépend pas du retour,
parce qu’il n’a jamais été prêté,
mais donné.
Dans la vie quotidienne,
combien de frères, de voisins,
de compagnons,
se sont tournés le dos
pour un "merci" jamais dit,
pour une aide non rendue,
pour un oubli qui n’était peut-être pas volontaire ?
L’homme moderne fait ses comptes
dans ses relations comme dans ses affaires.
Et plus il calcule,
moins il aime.
Car l’amour ne supporte pas d’être compté.
Les blessures les plus profondes
naissent souvent de ces attentes déçues.
"Je l’ai soutenu, il m’a oublié."
"Je l’ai aidé, il ne m’a pas aidé."
Mais avait-on aimé…
ou juste espéré un retour ?
Tant que l’amour restera une monnaie,
il ne sera jamais un abri.
Tant qu’on aimera en attendant,
on ne connaîtra jamais la paix du cœur.
L’amour vrai donne sans perdre.
Il est source, pas contrat.
Et celui qui aime sans compter
reçoit plus que ce qu’il donne :
il reçoit la liberté,
la paix,
et parfois, l’écho d’un cœur
qui, à son tour, apprend à aimer.
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