Épisode 17 - Je te retrouve enfin

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Londres, Angleterre — 1546


Dix ans.

Dix ans qu’il se préparait pour aujourd’hui.

Ce jour où il serait enfin digne de Le retrouver et… et quoi ?

Il déglutit avec nervosité en essayant de ne pas trop regarder dans sa direction. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Ses yeux revenaient sans cesse vers Lui. Ne voyaient que Lui.

Lars Strøm…

Je te retrouve enfin.

L’objet de tous ses désirs était là, juste à quelques tables, installé dans la zone réservée aux privilégiés de l’établissement. Et en charmante compagnie.

La jalousie vint aussitôt lui enserrer la poitrine à la vue de ces hommes et ces femmes qui pouvaient Lui parler, Le toucher, admirer ses traits de si près, se gorger de son sourire… L’envie de tous les tuer le dévorait. Ils n’avaient pas le droit. Lars était à lui !

A lui seul.

Sa respiration devint sifflante, ses poings serrés menaçaient de s’embraser comme à chaque fois que la rage le prenait à la gorge. Mais il ne devait pas. Pas devant Lars. Il avait promis. Il Lui avait promis de ne plus perdre le contrôle…

Pour se calmer, il concentra toute son attention sur Lars.

Lars… Même son nom était à son image : si beau, si parfait.

Le temps n’avait eu aucune emprise sur son immense beauté. Elle restait toujours aussi ensorcelante, irréelle. Peut-être encore plus que la nuit de leur première rencontre.

Ses cheveux d’un noir profond offraient toujours autant un merveilleux contraste avec sa peau laiteuse et parfaite. Ils ondoyaient sur ses épaules avec grâce, une petite mèche lui tombait sur le front juste devant ses améthystes hypnotiques.

Malgré le brouhaha ambiant, son rire résonnait clairement à ses oreilles, il n’entendait plus que ça. Une mélodie caressante, terriblement envoûtante et qu’il ne se lasserait jamais d’écouter. Une merveille qu’il aurait voulue rien que pour lui.

Bientôt.

Pour l’heure, il se contenta de l’admirer de loin, n’osant pas l’approcher. Tout le courage qui l’animait un peu plus tôt s’était envolée dès la seconde où il avait mis les pieds dans la taverne du Luxury Eve. Lorsqu’il avait entendu Sa voix, redécouvert Sa perfection.

Son cœur se fit soudain lourd dans sa poitrine alors que ses yeux Le dévoraient désespérément du regard. Comment avait-il pu se croire digne d’un être aussi magnifique ? Il n’était rien. Peu importe les années à s’entraîner pour être plus fort, à prendre soin de son corps pour être beau et désirable, il se sentait toujours aussi misérable. Monstrueux.

Un bâtard immonde.

— Slange… Tu comptes boire quelque chose ou bien ?

Le ton bourru et mauvais du tavernier le détourna un instant de ses sombres pensées. Juste un tout petit instant. Avant de l’y replonger avec force.

Slange (1).

Serpent.

Il détestait tellement cet immonde surnom qu’on lui avait attribué. Il haïssait comment ils continuaient de le voir et le considérer malgré tous ses efforts pour enfin se faire accepter. A cause de sa filiation, il était et resterait toujours un monstre à leurs yeux. Un vil et abominable serpent dont il fallait se méfier.

Et si Lars le voyait également ainsi ?

— Il prendra la même chose que moi, Salvin : le meilleur de ton vin.

Par Thor ! Cette voix ! C’était… c’était la sienne !

Des effluves mentholés l’enveloppèrent d’emblée, chassant l’odeur de bière, de nourriture et de tabac. Il tourna vivement la tête vers le nouveau venu, cachant toutefois son trouble derrière un masque de froideur et d’indifférence. Il ne laissait absolument rien transparaître alors que son cœur tambourinait furieusement dans sa poitrine.

Son attitude resta de marbre quand ses yeux croisèrent les Siens. Même lorsqu’ils se retrouvèrent happés dans cet océan violet. Un océan qui n’avait cessé de le hanter depuis cette nuit. Et dans lequel il rêvait de plonger et se noyer pour toujours.

— Je vois que le petit chat sauvage s’est transformé en un superbe dragon.

Sa voix était toujours aussi chaude et caressante. Et ses douces paroles réveillèrent un feu ardent au plus profond de son âme brisée. Des frissons de bonheur le traversèrent de toute part. Il s’en souvenait ! Et Il ne le voyait pas comme un serpent…

Adossé sur le comptoir en bois lisse, Lars tirait tranquillement sur une longue et élégante pipe dont la surface était finement gravée de runes argentées.

Les battements de son cœur s’accélèrent en Le regardant savourer lentement le tabac, profitant sans vergogne de cette nouvelle addiction rapportée tout droit d’Amérique et dont la communauté surnaturelle était devenue très friande. Il essaya tant bien que mal de ne pas s'attarder sur la sensualité de ses gestes surtout lorsque ses lèvres délicieusement rosées s’entrouvrirent légèrement pour expirer la fumée presque avec langueur…

Lars Strøm…

Tu es tellement magnifique.

— Pourquoi es-tu là, petit Dragon ?

Sa question directe le tira de sa contemplation béate. Il n’y avait aucune hostilité dans sa voix. Juste de l’amusement. Ses iris violine le fixaient avec une curiosité non voilée.

— Cela fait des semaines que tu viens au Luxury Eve pour m’épier. Alors dis-moi petit Dragon… qu’est-ce que tu me veux ?

Toi. C’est toi que je veux.

Il ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son n’en sortit. L’émotion lui broyait la gorge. Lars était là, face à lui, tout près… Il en avait tellement rêvé ! Il lui suffisait juste d’avancer la main pour toucher son visage, caresser sa peau, suivre le contour de ses lèvres du bout des doigts. Cette simple idée le fit trembler de la tête aux pieds.

Le tavernier déposa deux coupes de vin sur le comptoir, coupant court à ses pérégrinations internes, avant de s’éloigner dans un bruit de sabots, l'œil toujours aussi mauvais.

Il le suivit un instant du regard, rêvant d’arracher les cornes de cet immonde satyre, puis de le plonger dans des braises brûlantes. Il voulait remplacer l'hostilité sur son visage par de la souffrance pure…

L’odeur mentholée de Lars le rappela à l’ordre. Les fragrances envoûtantes s’insinuèrent en lui, calmant la haine qui bouillonnait dans ses veines et menaçait d’exploser à tout instant. Il respira imperceptiblement et se résolut à croiser de nouveau les améthystes de Lars. Ce dernier le fixait sans un mot, sirotant nonchalamment son vin.

— Mon nom est…

— Je me moque royalement de ton nom. Dis-moi juste ce que tu cherches. La vengeance ? Si c’est le cas, saches que je ne serais plus aussi clément que la dernière fois.

Sa voix désormais froide et indifférente lui glaça le cœur, opressant sa poitrine. Et puis soudain, la colère prit le dessus et avec elle, l’impétuosité.

— Je suis ici pour toi, Lars Strøm, osa-t-il répondre sur le même ton. Mais pas pour me venger, rassure-toi (son interlocuteur haussa un sourcil moqueur au dernier mot). Je veux apprendre à contrôler l’essence divine qui coule dans mes veines. Apprend-moi s’il te plait.

Sa requête fut suivie d’un long silence de la part de Lars qui se contenta de le dévisager ouvertement sans un mot. Puis le coin de sa bouche tressauta et Il éclata soudain de rire.

Sa réaction le laissa un instant pantois : il resta interdit, partagé entre l’affliction et l’admiration face à son hilarité. L’amusement transfigurait complètement ses traits, accentuait les fossettes sur ses joues, faisait briller ses yeux. Sa beauté n’en était que plus éblouissante encore. Magnifique. Il est absolument magnifique.

— Non.

La magie fut brutalement rompue par cette réponse sèche et laconique qui fit chuter son cœur au fond de sa poitrine. Lars ne riait plus, désormais. Il recommençait à tirer sur sa pipe avec nonchalance, presque avec dédain. Un petit sourire subsistait au coin de ses lèvres, mais ce n’était pas un sourire de connivence.

— C-comment ?

— La réponse est non. Je n’ai pas le temps de jouer aux précepteurs.

— Et pourtant, tu as beaucoup de temps pour les nuits de débauche au Luxury Eve !

Les mots claquèrent avec virulence et ressentiment. La jalousie vint à nouveau l’enserrer de ses anneaux perfides alors qu’il repensait à toutes ces soirées de frivolités auxquelles il avait assisté à contrecœur. Rien que de repenser aux lèvres de Lars contre celle d’une autre personne que lui… La rage le submergea avec la force d’un raz de marée. Il avait envie de tout brûler, réduire cette méprisable taverne en cendres.

— Surveille ton langage, le nabot, siffla Lars en plissant ses jolis yeux de contrariété. Ce que je fais de mon temps et de mes nuits ne te regarde absolument pas.

— Nous sommes pareils, toi et moi ! Pourquoi refuses-tu de m’aider ? La dernière fois, tu…

— Justement, ne me fais pas regretter d’avoir épargné ta vie, cette nuit-là. Et maintenant vas-t-en, petit Dragon. Arrêtes de m’espionner. Tu m’ennuies.

Tu m’ennuies.

Ces paroles lui firent l’effet d’un coup de poignard. La douleur était insoutenable.

Tu m’ennuies.

Ses poings se serrèrent convulsivement. Ses paumes le brûlèrent à nouveau, un torrent de flammes bouillonna furieusement dans ses veines, ravivant les démons qui l'oppressaient.

Brûler. Tout devait brûler.

— N’y pense même pas, petit Dragon, murmura Lars d’une voix suave.

Son ton était lourd de menace et ses iris violine s’embrasèrent peu à peu à la lueur des chandelles. Sa magie se mit à crépiter tout autour d’eux, tandis que sa bouche s’étirait lentement en un petit sourire cruel qui ne présageait rien de bon.

Il était sublime.

Sublime et dangereux.

Mais s’il fallait en venir aux mains pour lui prouver ses valeurs, alors soit.

Les portes de la taverne s’ouvrirent soudain avec fracas.

— LARS STRØM ! hurla soudain une voix stridente. OU ES-TU SALE CHIEN ?! JE VAIS TE TUER ! Lacerate !

Mais qui ose… ? Son sang ne fit qu’un tour lorsque des éclairs rouge foncèrent droit sur Lars, SON Lars, dans un crépitement meurtrier. Non non non, il ne laisserait jamais personne lui faire du mal ! Son corps réagit de lui-même et il tendit ses deux mains en avant. Un dôme enflammé jaillit de ses paumes, interceptant l’attaque de la nouvelle venue dans une explosion d’étincelles rougeoyantes.

— Maudite sorcière ! cracha-t-il en se plaçant devant Lars sans même s’en rendre compte.

Une rage immense fourmillait désormais dans chaque cellule de son corps. Ses yeux se transformèrent en deux puits d’où jaillissaient les braises incandescentes de sa magie.

— Écarte-toi, Serpent ! rugit la sorcière en pointant un doigt tremblant de hargne dans sa direction. Cette abomination a envouté mon mari ! Je vais lui arracher ses misérables entrailles et en faire de la bouillie pour les porcs !!

Serpent, serpent, serpent… Encore ce surnom !

TRÈS BIEN ! Puisque c’est ainsi…

Il entendit vaguement quelqu’un crier que les bagarres étaient interdites dans la taverne, avant de perdre tout contrôle. Désormais plus rien ne comptait à part une seule et unique chose : la mort de cette sorcière. Par le feu et dans d’atroces souffrances.

Le serpent qu’il était allait l’immoler et il ne restera plus rien d’elle. Même pas des cendres.

Ses paumes se tendirent à nouveau, déversant des colonnes de flammes qui se tordirent immédiatement pour se transformer en immenses reptiles avides de chair et flamboyants de haine. Ses créations fondirent sur cette maudite sorcière dans un sifflement sourd.

Il ne savait plus si les rugissements qui parvenaient à ses oreilles étaient les siens ou ceux de son adversaire. Mais peu importe. Tout devait juste brûler.

Brûler. Brûler.

BRÛLER !

Ils allaient tous mourir cette nuit.

— Il suffit, petit Dragon.

Une main se posa soudain sur ses épaules, tandis que l’odeur et la voix autoritaire de Lars perçaient le brouillard de folie qui l’enveloppait entièrement. Il sentit qu’on attrapait son bras pour le ramener le long de son corps. Les gestes étaient à la fois fermes et doux. Des marques d’attention qui touchèrent son cœur plus que de raison et le firent revenir à lui.

— Je suis… désolée, souffla-t-il d’une toute petite voix honteuse et brisée, tel un enfant pris en faute. Il avait failli à sa promesse et perdu tout contrôle… Il était faible !

Il osa regarder autour de lui pour constater l’ampleur des dégâts et découvrit avec surprise que seule la zone où se tenait la sorcière avait été consumée par ses flammes.

C’est lui.

Ses yeux couvèrent Lars d’un regard reconnaissant, presque adorateur. Il avait sûrement érigé une barrière pour préserver les autres de sa folie meurtrière. Il l’avait aidé !

Merci…

Lars ne lui accorda aucune attention, trop occupé à narguer la sorcière, tout en fumant tranquillement sa pipe. Debout au milieu d’un cratère noirci, celle-ci avait survécu, mais n’était plus qu’un tas de loque fumante, écumant à la fois de rage et d’humiliation.

— Je pense que notre chère Ygrid a compris la leçon.

L’interpellée cracha un chapelet de borborygmes insultants pour toute réponse. Furieux, il amorça un geste pour lui faire ravaler ses insanités, mais Lars fut plus rapide. Rictus glacial aux lèvres, Il agita une main dans un geste négligent, comme s’Il chassait une vulgaire mouche. Un vortex de la couleur de son aura se matérialisa sous les pieds de l’impertinente qui disparut dans le trou en poussant un hurlement d’effroi et de rage mêlés.

— Ha det, heks (2). J’espère pour toi que nos chemins ne se recroiseront plus jamais, très chère, murmura Lars de cette voix charmeuse qui lui faisait tant d’effet.

Oublié son mal être. Le simple fait de l’entendre suffisait à apaiser ses démons.

— C’est bon tout le monde, le spectacle est terminé. Vous pouvez retourner à vos existences ennuyeuses, ajouta celui qui affolait autant son cœur à la cantonade, récoltant une vague de grognement dans l’assistance. Quant à toi, petit Dragon… j’avoue que je suis impressionné. Tu as bien progressé depuis notre dernière rencontre. Dis-moi… quel est ton nom, déjà ?

Ces mots qui n’étaient adressés qu’à lui et lui seul le gonflèrent de joie. Sa gorge se noua de bonheur face à son regard désormais curieux, intéressé.

Enfin !

Il eut beaucoup de mal à répondre à la dernière question sans rien laisser transparaître de tous ces sentiments qui éclataient en lui, tel un feu de joie.

— Ørjan. Mon nom est Ørjan.



Coucou ! Comment allez-vous ? Tout d'abord, je tiens à vous souhaiter une bonne et heureuse année 2022 ! J'espère qu'on va bien s'éclater pour cette nouvelle année ! 

En attendant, je vous propose de l'accueillir en beauté avec un nouvel épisode d'ASG et pas des moindres, puisqu'on retrouve enfin le "monstre" du prologue... pour découvrir qu'il  s'agit en fait d'Orjan ! AHAH ! Alors dites moi ! Qui d'entre vous a fait le lien entre les deux ? Vous en dites quoi de cette révélation ? Sinon, vous avez sûrement remarqué les légères similitudes avec l'épisode 15 quand Leo retrouve Lars ? Voilà pourquoi notre cher Larsou avait un désagréable sentiment de déjà vu ! Vous en pensez quoi ? JE VEUX TOUT SAVOIR ! 

Sinon qu'avez-vous pensé de cet épisode en général ? J'ai  essayé de reproduire le côté poétique du prologue, mais je  sais pas si j'ai réussi XD En tout cas, je suis tellement contente de partager la suite d'ASG avec vous ! J'ai prévu tellement de trucs pour nos deux loulous haha, trop hâte de poster la suite. Je vous fais plein de gros bisous ! A bientôt ! 

PS : (1) Slange : serpent en norvégien 

(2) Ha det, heks : aurevoir, sorcière 

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